Résumé du Bref examen critique des cardinaux Ottaviani et Bacci – par M. l’Abbé Cyrille Debris

Résumé du

BREF EXAMEN CRITIQUE DE NOUVELLE MESSE

par les Cardinaux Ottaviani et Bacci

Lettre d’accompagnement

Le nouvel ORDO MISSAE, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendus ou impliqués, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXe session du Concile de Trente, qui, en fixant définitivement les ‘canons’ du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte l’intégrité du Mystère.

Les raisons pastorales avancées pour justifier une si grave rupture, même si elles avaient le droit de subsister en face de raisons doctrinales, ne semblent pas suffisantes. Tant de nouveautés apparaissent dans le nouvel ORDO MISSAE, et en revanche tant de choses éternelles s’y trouvent reléguées à une place mineure (…) que pourrait se trouver (…) changé en certitude le doute (…), selon lequel des vérités toujours crues par le peuple chrétien pourraient changer ou être passées sous silence sans qu’il y ait infidélité au dépôt sacré de la doctrine auquel la foi catholique est liée pour l’éternité. Les récentes réformes ont suffisamment démontré que de nouveaux changements dans la liturgie ne pourront pas se faire sans conduire au désarroi le plus total des fidèles qui déjà manifestent qu’ils leur sont insupportables et diminuent incontestablement leur foi. Dans la meilleure part du clergé cela se marque par une crise de conscience torturante dont nous avons des témoignages innombrables et quotidiens. (…) Toujours les sujets, pour le bien desquels est faite la loi, ont eu le droit et plus que le droit, le devoir, si la loi se révèle tout au contraire nocive, de demander au législateur, avec une confiance filiale, son abrogation. C’est pourquoi nous supplions instamment Votre Sainteté de ne pas vouloir que (…) nous soit enlevée la possibilité de continuer à recourir à l’intègre et fécond Missel romain de saint Pie V.

Bref examen critique

I

Le Synode épiscopal à Rome d’octobre 1967 sur la célébration expérimentale d’une « messe normative », élaborée par le Comité pour l’application de la Constitution conciliaire sur la liturgie, s’opposa vivement (43 non placet sur 187 votants) ou demanda de nombreuses et substantielles réserves (62 juxta modum) et 4 abstentions. Un journal (l’Avvenire ?) écrivit : « On veut faire table rase de toute la théologie de la Messe. En substance, on se rapproche de la théologie protestante qui a détruit le sacrifice de la Messe »[1]. Pourtant, le nouvel ORDO MISSAE, promulgué par la Constitution apostolique Missale romanum du 3 avril 1969, reprend cette « messe normative ».

L’ancien Missel codifié par S. Pie V (Bulle Quo Primum, 19 juillet 1570) remonte en grande partie à Grégoire le Grand voire à une antiquité plus haute (De Sacramentis de la fin du IVe – début Ve s.) et que « d’innombrables saints trouvèrent la nourriture surabondante de leur piété envers Dieu » (Missale Romanum).

Le prétexte de soutenir la ferveur d’une culture liturgique du peuple chrétien – principalement sous S. Pie X – n’impliquait aucun changement voire mutilation de la liturgie mais de mieux comprendre l’immuable liturgie[2]. Les réels motifs d’une telle réforme n’existaient pas car elle n’a pas suivi le désir du concile Vatican II (Sacrosanctum Concilium 50) qui désirait juste que les différentes parties de la Messe fussent réordonnées « de telle sorte que la raison propre de chacune de ses parties ainsi que leurs connexions mutuelles apparaissent plus clairement ».

II

 

La définition de la messe : « La Cène dominicale est la synaxe (assemblée religieuse pour la prière, la lecture et l’eucharistie) sacrée ou le rassemblement du peuple de Dieu se réunissant sous la présidence du prêtre pour célébrer le mémorial du Seigneur[3]. C’est pourquoi vaut éminemment pour l’assemblée locale de la sainte Église la promesse du Christ : ‘Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux’ » (Institutio generalis 7).

La Messe est donc réduite à une « cène » (cf. n°8, 48, 55, 56), assemblée présidée par le prêtre afin de réaliser « le mémorial du Seigneur » rappelant le Jeudi Saint. Rien n’implique ce qui est dogmatisé par le concile de Trente :

  • la Présence réelle : « le saint Concile enseigne et confesse ouvertement et absolument que, dans l’auguste sacrement de la sainte Eucharistie, Notre Seigneur Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme est présent réellement et substantiellement sous les apparences sensibles du pain et du vin après leur consécration» (Denziger 1636).
  • la réalité du Sacrifice et non pas une représentation symbolique : « Notre Seigneur Jésus-Christ voulut laisser à l’Église un sacrifice visible… serait rendu présent le sacrifice sanglant qui allait s’accomplir une unique fois sur la .. dont la vertu salutaire s’appliquerait à la rédemption des péchés que nous commettons chaque jour» (Denziger 1740).
  • le caractère sacramentel du prêtre qui consacre : Jésus-Christ opère instrumentalement par le prêtre célébrant la messe : « II offrit, à Dieu son Père, son Corps et son Sang sous les espèces du pain et du vin et, sous ces mêmes signes sensibles, il les distribua à manger à ses apôtres qu’il établissait alors prêtres du Nouveau Testament ; à eux et à leurs successeurs dans le sacerdoce il donna l’ordre de les offrir par ces paroles : ‘Faites ceci en mémoire de moi’, comme l’Église l’a toujours compris et enseigné». C’est le prêtre, consacré pour cette fonction qui célèbre, offre, sacrifie, et non pas l’assemblée du peuple de Dieu : « Si quelqu’un dit que par ces paroles :Faites ceci en mémoire de moi’, le Christ n’a pas institué prêtres les apôtres, ou bien n’a pas ordonné qu’eux et les autres prêtres offrent son corps et son sang, qu’il soit anathème » (Denziger 1752).
  • la valeur intrinsèque du sacrifice eucharistique indépendamment de la présence de l’assemblée : la messe est un vrai sacrifice PROPITIATOIRE et non une simple commémoration du sacrifice de la Croix : « Si quelqu’un dit que le sacrifice de la Messe n’est qu’un sacrifice de louange et d’action de grâces, ou une simple commémoration du sacrifice accompli sur la Croix, mais non pas un sacrifice propitiatoire ; ou qu’il n’est profitable qu’à ceux qui reçoivent le Christ et qu’on ne doit l’offrir ni pour les vivants, ni pour les morts, ni pour les péchés, les peines, les satisfactions et autres nécessités, qu’il soit anathème» (Denzinger 1753).

Ces omissions des données dogmatiques essentielles à la messe et en constituent la véritable définition sont volontaires. L’équivoque est accentuée par « Là où deux ou trois d’entre vous sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » qui n’est qu’une présence spirituelle du Christ par sa grâce et non pas substantielle réelle, corporelle. Cette assimilation est grave, tout comme la division de la messe en deux parties (n°8) : liturgie de la parole et liturgie eucharistique appelées « table de la parole de Dieu » et « table du Corps du Christ ».

Le nouvel ORDO MISSAE désigne la messe par des expressions nombreuses toutes acceptables relativement mais toutes à rejeter car elles sont employées séparément et dans l’absolu : « action du Christ et du peuple de Dieu », « Cène du Seigneur », « repas pascal », « participation commune à la table du Seigneur », « prière eucharistique », « liturgie de la parole et liturgie eucharistique ». On insiste obsessionnellement sur la mémoire de la cène et non sur le renouvellement non sanglant du sacrifice de la Croix. De même, « Mémorial de la Passion et de la Résurrection du Seigneur » est fausse puisque la messe se réfère formellement au seul Sacrifice rédempteur dont la Résurrection est le fruit.

III

  1. Finalité ultime de la messe

 

La fin ultime de la Messe consiste en ce qu’elle est un sacrifice de louange à la Très Sainte Trinité, conformément à l’intention primordiale de l’Incarnation : « Entrant dans le monde il dit : ‘Tu n’as voulu ni victime ni oblation, mais tu m’as formé un corps’ » (Ps 40, 7-9 ; He 10, 5) mais disparaît dans le nouvel ORDO MISSAE qui supprime :

– à l’offertoire la prière Suscipe Sancta Trinitas (ou Suscipe Sancte Pater) ;

– à la conclusion de la messe, le Placeat tibi Sancta Trinitas ;

– la Préface de la Sainte Trinité qui ne sera plus prononcée qu’une fois l’an.

  1. Finalité prochaine

 

La fin prochaine de la Messe consiste en ce qu’elle est un sacrifice propitiatoire, rendant Dieu propice, par une expiation procurant la rémission des péchés pour les vivants et les morts.

Le Christ institua le sacrement pendant la dernière Cène et se mit alors en état de victime pour nous unir à son état de victime. Cette immolation précède la manducation (action de manger dans un cadre religieux) et renferme plénièrement la valeur rédemptrice qui provient du sacrifice sanglant (même si l’on ne communie pas).

Le nouvel ORDO met l’accent sur la nourriture et la sanctification des membres présents de l’assemblée. Les trois nouvelles prières eucharistiques éliminent le Memento des morts et toute mention de la souffrance des âmes du Purgatoire, auxquels le sacrifice propitiatoire est appliqué.

  1. Finalité immanente

 

La fin immanente de la Messe consiste en ce qu’elle est primordialement un sacrifice.

Tout sacrifice, de quelle que nature, doit être agréé de Dieu. Dans l’état de péché originel, aucun sacrifice ne serait, en droit, acceptable par Dieu. Le seul acceptable est celui du Christ. L’offertoire doit donc référer le sacrifice de la messe au sacrifice du Christ. Le nouvel ORDO MISSAE dénature l’offrande en la dégradant comme si elle consistait en une sorte d’échange entre Dieu et l’homme : l’homme apporte le pain et Dieu le change en pain de vie ; l’homme apporte le vin, et Dieu en fait une boisson spirituelle : « Tu es béni, Seigneur Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes. Nous te le présentons, il deviendra le pain de la vie » et « ce vin, fruit de la terre et du travail des hommes. Nous te le présentons, il deviendra le vin du Royaume éternel ».

Et « pain de vie » (panis vitae) et « boisson spirituelle » (potus spiritualis) sont absolument indéterminées : le pain et le vin sont changés spirituellement et pas substantiellement. Pourtant l’encyclique Mysterium fidei de 1965 dénonçait l’introduction de formules nouvelles, d’expressions des Pères ou du Magistère absolutisées car sorties de leur contexte (« spiritualis alimonia », « cibus spiritualis », « potus spiritualis »).

Dans la préparation des oblats (le pain et le vin apportés sur l’autel pour être consacrés), la suppression des deux admirables prières introduit la même équivoque

Deus qui humanae substantiae… ; « O Dieu qui avez créé la nature humaine d’une manière admirable et qui d’une manière plus admirable encore l’avez rétablie dans sa première dignité » rappelle pourtant l’état d’innocence première de l’homme et son rachat par le sang du Christ en récapitulant toute l’économie du salut depuis Adam.

Offerimus tibi, Domine… s’exprime sur le mode propitiatoire. Elle demande que le calice s’élève cum odore suavitatis en présence de la Majesté divine dont on implore la clémence.

Supprimer la référence permanente à Dieu élimine toute distinction entre le sacrifice qui procède de Dieu et celui qui vient de l’homme. Ayant détruit la clef de voûte, on a fabriqué des échafaudages : supprimant les finalités véritables de la messe, on en invente des fictives en soulignant l’union entre le prêtre et les fidèles, et des fidèles entre eux. On superpose les offrandes matérielles faites pour les pauvres et l’Église à l’offrande de l’hostie destinée au sacrifice. L’immolation de la victime devient une réunion de philanthropes.

IV

L’essence du sacrifice dans le nouvel ORDO MISSAE.

Le mystère de la Croix n’est plus explicité mais dissimulé :

  1. Le sens donné à la « prière eucharistique » :

 

« Le sens de la prière eucharistique consiste en ce que toute l’assemblée des fidèles s’unisse au Christ pour confesser les grandeurs de Dieu et offrir le sacrifice » (Institutio generalis 54) sans préciser quel sacrifice ni qui l’offre. « Voici que commence maintenant ce qui constitue le centre et le sommet de toute la célébration, la Prière eucharistique, ou prière d’action de grâces et de sanctification ». Les effets se substituent à la cause (la finalité ultime de la messe contenue dans le Suspice supprimé, n’est remplacée par rien).

  1. L’oblitération du rôle de la présence réelle dans le sacrifice

La Présence réelle, mis en une éclatante lumière dans le Missel de S. Pie V n’est mentionnée qu’une fois en passant (note 63 du n°241), uniquement en tant que nourriture, alors qu’elle est permanente avec son Corps, son Sang, son Âme et sa Divinité dans les espèces transsubstantiées. Transsubstantiation ne figure nulle part. Le Saint-Esprit n’est plus invoqué comme dans le Veni Sanctificator pour descendre sur les oblats comme jadis dans le sein de la Vierge pour y accomplir le miracle de la Divine Présence.

Sont aussi abolis ou altérés des gestes exprimant spontanément la foi en la Présence réelle :

  • plus que 3 génuflexions pour le prêtre et une seule pour l’assistance, à la consécration
  • la purification des doigts du prêtre au-dessus du calice et dans le calice
  • la préservation de tout contact profane pour les doigts du prêtre après la consécration
  • la purification des vases sacrés, qui peut être différée et faite hors du corporal
  • la pale protégeant le calice
  • la dorure intérieure des vases sacrés
  • la consécration de l’autel mobile
  • la pierre sacrée et les reliques pour un autel mobile, voire une table pour des « eucharisties domestiques » dans les maisons particulières
  • les trois nappes d’autel, réduites à une seule
  • l’action de grâces à genoux remplacée par un remerciement assis, aboutissement de la communion debout
  • le cas où une hostie consacrée tombe à terre « reverenter accipiatur » (n°239).

  1. Le rôle assigné à l’autel

L’autel est presque toujours appelé table (n°49 et 262, sauf 259). Il doit maintenant être séparé des parois pour en faire le tour et célébrer face au peuple (n°262). Mais placé au centre des fidèles, on attire l’attention sur une table dépouillée et nue car le Saint Sacrement n’est plus conservé sur l’autel majeur (n°262 et 276), instaurant une irréparable dichotomie entre la Présence du Souverain Prêtre dans le célébrant et cette même Présence réalisée sacramentellement, contrairement à Pie XII : « Séparer le tabernacle de l’autel, c’est séparer deux choses qui doivent rester unies par leur origine et leur nature » (allocution au Congrès de liturgie, 18-23 septembre 1956). Il est désormais conservé à part, soi-disant pour favoriser la dévotion privée des fidèles, comme s’il s’agissait d’une relique.

Le tabernacle est méprisé car il faudrait faire communier aux hosties consacrées durant la messe et même à celle du prêtre. On dissocie l’adoration du maître-autel. Le mot hostie indiquant le sacrifice disparaît pour insister sur la nourriture. On induit en erreur en assimilant la Présence réelle à la présence dans la parole (n°7 et 54 et « Le Christ est présent au milieu de ses fidèles par la parole » est très protestant : n°33 reprenant SC 33 et 77) alors que seule la première est permanence objective. La présence de Dieu dans la parole est liée à un acte de l’esprit humain, temporel. Funeste conséquence : on perçoit la Présence réelle comme la présence dans la parole, liée à l’usage que l’on en fait, et qu’elle cesse en même temps que lui.

  1. Les formules de la consécration

L’antique formule est proprement sacramentelle, du type intimatif et non narratif.

  • Le récit de l’Ecriture n’y est pas repris à la lettre. L’insertion paulinienne : « mysterium fidei» est une confession de foi immédiate du prêtre dans le mystère réalisé par le Christ dans l’Église au moyen de son sacerdoce hiérarchique.
  • Le Missel de saint Pie V, ponctue et met en évidence les paroles sacramentelles de la Consécration. Le HOC EST ENIM est en effet séparé par un point à la ligne du « …manducate ex hoc omnes» qui précède, ce qui marque le passage du mode narratif au mode intimatif propre à l’action La typographie plus grande, au centre de la page, d’une couleur différente manifeste leur valeur propre et leur autonomie[4].
  • L’anamnèse HAEC QUOTIESCUMQUE FECERITIS, IN MEI MEMORIAM FACIETIS se réfère au Christ opérant, et pas seulement en souvenir du Christ ou de la Cène comme événement historique dont il faudrait se ressouvenir. Jésus invite à refaire ce qu’il fit, comme il le fit. Or, « faites cela en mémoire de moi » (Hoc facite in meam commemorationem paulinien) déplace l’accent vers le souvenir du Christ. La « mémoire» du Christ devient terme de l’action eucharistique alors qu’elle en est le « Faire mémoire du Christ » ne sera plus qu’un but humainement poursuivi, une « commémoration » au lieu d’une action réelle sacramentelle.

Ce nouveau mode narratif est explicite au n°55 par « récit de l’institution » et l’anamnèse y est décrite comme : « L’Église fait mémoire (memoriam agit) de ce même Christ ». Les paroles de la consécration sont désormais énoncées par le prêtre comme une narration historique, et non plus comme affirmant un jugement catégorique et intimatif proféré par celui en la Personne de qui le prêtre agit : HOC EST CORPUS MEUM et non HOC EST CORPUS CHRISTI.

Enfin, l’acclamation de l’assistance : « Nous annonçons ta mort, Seigneur… jusqu’à ce que tu reviennes » repousse sa présence à l’eschatologie, au retour du Christ à la fin des temps alors qu’il vient de se rendre présent substantiellement sur l’autel ! L’autre formule possible : « Chaque fois que nous mangeons ce pain et buvons ce calice, nous annonçons ta mort, Seigneur, jusqu’à ce que tu viennes » est encore plus ambiguë entre d’une part l’immolation et la manducation, d’autre part entre la Présence réelle et le second avènement du Christ.

V

 

Au point de vue de l’accomplissement du sacrifice.

  1. Situation des fidèles dans le nouveau rite

Le nouvel ORDO MISSAE présente faussement le rôle des fidèles comme autonome. Outre « la Messe est la synaxe sacrée » ou « rassemblement du peuple de Dieu » (n°7) et continue avec : « Le prêtre, par une salutation, exprime à la communauté réunie la PRÉSENCE du Seigneur. Par cette salutation et par la réponse du peuple est manifesté le mystère de l’Église assemblée » (n°28). Cette présence n’est encore que spirituelle et l’Église la manifestant ou sollicite. Ce caractère communautaire revient obsessionnellement (n°74-152) au point de distinguer entre messe avec ou sans peuple (n°77-231). La « prière universelle, ou prière des fidèles » (n°45) souligne « le rôle sacerdotal du peuple » comme s’il n’était pas subordonné à celui du prêtre alors que le prêtre, consacré comme médiateur, se fait l’interprète de toutes les intentions du peuple dans le Te igitur et dans les deux Memento de la messe traditionnelle.

La « Prière eucharistique III » va jusqu’à dire au Seigneur : « Ne cesse pas de rassembler ton peuple POUR QUE (ut) du lever du soleil à son coucher une oblation pure soit offerte en ton Nom » comme si le peuple, plutôt que le prêtre, était l’élément indispensable à la célébration d’autant que n’est pas précisé qui est l’offrant. Cela explique pourquoi on a vu des prêtres laisser des laïcs prononcer les paroles de la consécration.

  1. Situation du prêtre dans le nouveau rite

Le rôle du prêtre est minimisé, altéré, faussé :

  • par rapport au peuple. Il en est le « président » et « frère » mais plus le ministre consacré célébrant in persona Christi.
  • par rapport à l’Église. Il en est un membre parmi d’autres, un quidam de populo. Pour l’épiclèse (n°55), les invocations sont attribuées anonymement à l’Église : le rôle du prêtre s’évanouit.
  • dans le Confiteor devenu collectif, le prêtre n’est plus juge, témoin et intercesseur auprès de Dieu. Il ne donne plus l’absolution et est intégré aux « frères » par l’enfant de chœur de la messe sans peuple.
  • la distinction entre la communion du prêtre et des fidèles est supprimée. Le prêtre, au cours de la Messe, agit in persona Christi, s’unissant intimement à la victime offerte. D’une manière propre à l’ordre sacramentel, il exprime l’identité du Prêtre et de la Victime propre au sacrifice du Christ, montrant que le sacrifice de la Croix et le sacrifice de la messe est substantiellement le même.
  • plus un seul mot désormais sur le pouvoir du prêtre comme ministre du sacrifice, ni sur l’acte consécratoire qui lui revient en propre, ni sur la réalisation par son intermédiaire de la Présence eucharistique. Quelle différence avec un ministre protestant ?
  • l’usage de nombre d’ornements est aboli ou facultatif : l’aube et 1’étole suffisent (n°298) alors qu’ils signifient la conformation du prêtre au Christ. Le prêtre ne se présente plus comme revêtu des vertus du Christ ; il ne sera plus qu’une sorte de grade ecclésiastique, à peine distingué de la masse par un ou deux galons. Par exemple, le vendredi saint en passant au rouge fait du martyre du Christ sur la Croix l’un d’une longue liste alors que le noir exprimait le deuil de l’Épouse pour le Bien-Aimé.

  1. Situation de l’Église dans le nouveau rite

C’est-à-dire : relation de l’Église au Christ. Seul le n°4 admet que la Messe est une « action du Christ et de l’Église » (messe sans peuple) tandis qu’autrement, son but serait de « faire mémoire du Christ » et sanctifier l’assistance. Le n°60 au lieu d’écrire : « Le prêtre célébrant… s’associe le peuple… en offrant le Sacrifice à Dieu le Père par le Christ dans le Saint-Esprit » aurait dû dire : « associer le peuple au Christ, qui s’offre Lui-même à Dieu le Père… ».

C’est dans ce contexte que s’insèrent :

  • la très grave omission du per Christum Dominum nostrum, qui signifie et fonde, pour l’Église de tous les temps, l’assurance d’être exaucé (Jn 14, 13-14 ; 15, 16 ; 16, 23-24)
  • l’eschatologisme présentant la communication de la grâce, réalité à fois actuelle et éternelle comme le fruit d’un progrès à venir
  • le peuple de Dieu est « en marche » : l’Église est pérégrinante et non plus militante, combattant contre la puissance des ténèbres ; vers un avenir temporel et plus lié à l’éternel (aussi à l’au-delà actuel).

La « Prière eucharistique IV » remplace le très objectif « pour tous ceux qui font profession de la vraie foi catholique et apostolique (pro omnibus orthodoxis atque catholicae fidei cultoribus) par « tous ceux qui te cherchent d’un cœur sincère » (subjectif).

Le Memento des morts au lieu des morts « marqués du signe de la foi et qui dorment du sommeil de la paix » (cum signo fidei et dormiunt in somno pacis) n’évoque plus que « ceux qui sont morts dans la paix du Christ » et les défunts « dont toi seul connais la foi », ce qui est une atteinte à l’unité de l’Église dans sa manifestation visible.

Aucune des trois nouvelles « prières eucharistiques » ne fait la moindre allusion à la souffrance des trépassés, émoussant la foi en la nature propitiatoire et rédemptrice du sacrifice.

Diverses omissions avilissent le mystère de l’Église en le désacralisant. La hiérarchie sacrée des anges et des saints est réduite à l’anonymat dans la fin du Confiteor et supprimée en son début (comme témoins et juges en S. Michel Archange). Les hiérarchies angéliques disparaissent de la nouvelle Préface de la « Prière eucharistique II » tout comme dans le Communicantes, la mémoire des Saints, Pontifes et Martyrs sur qui l’Église de Rome demeure fondée. Le Libera nos supprime la Bienheureuse Vierge Marie, les Apôtres et tous les saints, leur intercession n’est plus demandée, même au moment du péril.

L’unité de l’Église est compromise par la suppression des noms des Apôtres Pierre et Paul, fondateurs de l’Église de Rome, et des noms des autres Apôtres, fondement et signe de l’unité et de l’universalité de l’Église (plus que dans le Communicantes du Canon romain). Le dogme de la communion des saints est attaqué en supprimant, pour la messe d’un prêtre seul,  toutes les salutations et la bénédiction finale (et l’Ite Missa est avec servant).

Le double Confiteor au début de la messe montre comment le prêtre, revêtu de ses ornements qui le désignent comme ministre du Christ, et s’inclinant profondément, se reconnaît indigne d’une si haute mission, indigne du tremendum mysterium qu’il se dispose à célébrer. Puis, ne se reconnaissant (dans l’Aufer a nobis) aucun droit d’entrer dans le Saint des Saints, il se recommande (dans l’Oremus te Domine) à l’intercession et aux mérites des martyrs dont l’autel renferme les reliques. Ces deux prières et le double Confiteor sont supprimés !

L’autel peut être remplacé par une simple table sans pierre consacrée ni reliques (n°260-265).

La désacralisation est à son comble pour l’offrande. On insiste sur le pain ordinaire plutôt que l’azyme. Enfants de chœur et laïcs, pour la communion sous les deux espèces, peuvent toucher les vases sacrés (n°244). Une invraisemblable atmosphère se trouvera créée dans l’église alternant sans trêve le prêtre commentant ses actions par des monitions, diacre, psalmiste, lecteurs (dont les femmes au n°70 !), laïcs accueillant les fidèles, faisant la quête, portant les offrandes. Avec la manie de la concélébration sera ainsi détruite la piété eucharistique du prêtre et s’estompera la figure centrale du Christ, unique Prêtre et Victime,  dissoute dans la présence collective des concélébrants.

VI

 

La seconde « prière eucharistique » a scandalisé les fidèles par sa brièveté et peut être employée par un prêtre ne croyant plus ni la transsubstantiation ni au caractère sacrificiel de la Messe, comme un ministre protestant.

Ce « texte plus pastoral que juridique » pourra être modifié par les Conférences épiscopales suivant le génie respectif des différents peuples. La première section de la « Congrégation pour le culte divin » sera responsable de « l’édition et de la constante révision des livres liturgiques ». L’intemporalité et l’universalité du culte sont définitivement brisés, ainsi que la mort du latin et du grégorien sont donc des faits acquis malgré Vatican II (SC 116).

II est évident que le nouvel ORDO MISSAE renonce en fait à être l’expression de la doctrine que le Concile de Trente a définie comme étant de foi divine et catholique. Et cependant la conscience catholique demeure à jamais liée à cette doctrine. Il en résulte que la promulgation du nouvel ORDO MISSAE met chaque catholique dans la tragique nécessité de choisir.

VII

 

Malgré l’affirmation de se rapprocher de l’esprit oriental, dans une visée œcuménique (multiplicité des anaphores, diacre, communion sous les deux espèces), en perdant la romanité, on s’en éloigne par l’esprit pour se rapprocher de certains rites protestants. Le nouvel ORDO MISSAE aura la faveur des groupes proches de l’apostasie qui, s’attaquant dans l’Église à l’unité de la doctrine, de la liturgie, de la morale et de la discipline, y provoquent une crise spirituelle sans précédent.

VII

 

Saint Pie V avait conçu l’édition du Missel romain comme un instrument d’unité catholique qui devait empêcher que pût s’introduire dans le culte divin aucune des subtiles erreurs dont la foi était menacée par la Réforme protestante. Il finit la Bulle de promulgation du Missel romain (Quo primum, 19 juillet 1570) : « Celui qui oserait porter la main contre cette œuvre, qu’il sache encourir la colère du Dieu Tout-Puissant et des bienheureux Apôtres Pierre et Paul » et ces raisons subsistent et sont même encore plus graves.

On a pratiqué l’archéologisme insensé condamné par Pie XII dans Mediator Dei : « Il n’est pas sage ni louable de tout ramener en toute manière à 1’antiquité. De sorte que, par exemple, ce serait sortir de la voie droite de vouloir rendre à l’autel sa forme primitive de table, de vouloir supprimer radicalement des couleurs liturgiques le noir, d’exclure des temples les images saintes et les statues, de faire représenter le divin Rédempteur sur la Croix de telle façon que n’apparaissent point les souffrances aiguës qu’il a endurées… Une telle façon de penser et d’agir ferait revivre cette excessive et malsaine passion des choses anciennes qu’excitait le Concile illégitime de Pistoia, et réveillerait les multiples erreurs qui furent à l’origine de ce faux Concile et qui en résultèrent, pour le plus grand dommage des âmes, erreurs que l’Église, gardienne toujours vigilante du ‘dépôt de la foi’ à elle confié par son divin Fondateur, a réprouvées à bon droit ».

L’abandon d’une tradition liturgique qui fut pendant quatre siècles le signe et le gage de l’unité de culte, son remplacement par une autre liturgie qui ne pourra être qu’une cause de division par les licences innombrables qu’elle autorise implicitement, par les insinuations qu’elle favorise et par ses atteintes manifestes à la pureté de la foi : voilà qui apparaît, pour parler en termes modérés, comme une incalculable erreur.

 

 

 

 

M. l’Abbé Cyrille Debris

[1] « Le Canon romain, tel qu’il est aujourd’hui, remonte à saint Grégoire le Grand. Il n’existe ni en Orient ni en Occident aucune prière eucharistique qui, demeurée en usage jusqu’à nos jours, puisse se prévaloir d’une telle antiquité. Non seulement au jugement des orthodoxes, mais également au regard des anglicans et même à ceux des protestants qui ont conservé un certain sens de la tradition, rejeter ce Canon équivaudrait, de la part de l’Église romaine, à renoncer pour toujours à la prétention de représenter la véritable Église catholique ». (P. Louis Bouyer, lui-même converti du protestantisme).

[2] « Si quelqu’un dit que le Canon de la Messe contient des erreurs et qu’il faut pour cette raison l’abroger, qu’il soit anathème » (Denzinger 1756) et « Si quelqu’un dit que les Messes où le prêtre communie sacramentellement sont illicites et que, pour cette raison, il faut les abroger, qu’il soit anathème » (Denzinger 1758).

[3] La note renvoie à deux textes sans aucun rapport avec cette définition. PO : « Les prêtres sont consacrés à Dieu par le ministre de l’évêque ; en sorte que… dans les célébrations sacrées, ils agissent comme ministres de celui qui exerce en notre faveur dans la liturgie son sacerdoce permanent… et cela est vrai principalement lorsque, dans la célébration de la messe, ils offrent sacramentellement le sacrifice du Christ… » et SC 33 : « Dans la liturgie Dieu parle à son peuple, et le Christ continue d’annoncer l’Évangile. Le peuple à son tour répond à Dieu par la prière et par le chant. Et les prières adressées à Dieu par le prêtre qui préside l’assemblée en la Personne du Christ (in Persona Christi) sont dites au nom de tout le peuple saint et de tous les assistants ».

[4] Par ailleurs, est ajouté dans la messe moderne quod pro vobis tradetur : ainsi, en cet instant, bien que la Présence soit déjà réalisée, le sacrifice auquel est ordonné cette présence n’est pas encore réalisé. De plus le démonstratif ce calice devient un indéfini avant la consécration du vin en sang du Christ : « Accipiens et HUNC (ce) praeclarum calicem in sanctas ac venerabiles manus suas… ».