Roberto de Mattei, Vatican II – une histoire à écrire – recension par le P. Paul Cocard, fsj

Roberto de Mattei, Vatican II, Une histoire à écrire, Muller, 2013, 499 p.

L’auteur donne une histoire du concile Vatican II, du point de vue de la minorité conservatrice. C’est, semble-t-il, la première fois, depuis l’ouvrage du Père verbiste Ralph M. Wiltgen[1], qu’une telle perspective sur le Concile est proposée. Il se divise en sept chapitres, suivis par 127 pages de notes. Dans son introduction, il remarque que le concile Vatican II, à la différences des précédents conciles œcuméniques, n’a pas émis de définitions dogmatiques, qu’il a suscité deux interprétations (celle de la ‘continuité’ avec Jean-Paul II et Benoît XVI et celle de la ‘rupture’, avec notamment l’‘Ecole de Bologne’) qui continuent de s’affronter, qu’il s’est présenté comme un ‘concile pastoral’ tout en étant appliqué comme un ‘concile dogmatique’ et que cette primauté de la pastorale correspond, d’une certaine manière, au ‘primat de la praxis’ en vogue dans les années soixante.

Dans le premier chapitre, il présente l’Église sous Pie XII, avec force détails sur tous ceux qui travaillaient à l’adapter à son temps et aux nouvelles idées. Le 12 août 1950, le Pape avait dénoncé, dans l’encyclique Humani Generis, le nouveau modernisme théologique, mais aussi biblique. En matière liturgique, il le condamna dans l’encyclique Mediator Dei, du 20 novembre 1947. Peu nombreux furent ceux qui identifièrent et luttèrent contre les résurgences du modernisme, devenue le progressisme.

Le deuxième chapitre évoque les premières années du pontificat de Jean XXIII, jusqu’à l’ouverture du concile Vatican II. Son annonce, à l’abbaye Saint Paul hors-les-Murs le 25 janvier 1959, surprit toute l’Église. Sa préparation suscite divers organismes, tels la Commission anté-préparatoire, puis les dix Commissions et les trois Secrétariats, chargées de préparer les schémas de travail, supervisés par une Commission centrale. Les luttes entre conservateurs et progressistes apparaissent aussitôt avec le rejet de la Profession de Foi, l’affrontement entre le nouveau Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens et la Commission théologique, à travers la controverse biblique, l’œcuménisme, l’attitude vis-à-vis du communisme et la place du latin dans la liturgie.

Le troisième chapitre retrace l’histoire de la première session (1962). Il décrit, dès la cérémonie d’ouverture, la vision optimiste du Pape vis-à-vis du monde et sa critique des ‘prophètes de malheur’ et la présence, avec l’accord du gouvernement soviétique, des observateurs de l’Église orthodoxe russe. Il évoque ensuite les premiers ‘coups de force’ des évêques et des théologiens progressistes, originaires d’Allemagne, de France, de Belgique, de Hollande et du Brésil. Il présente le groupe des théologiens progressistes, leurs réseaux de relations et l’école de Bologne, puis le petit comité des Pères conservateurs. Cette première session se révèle la plus importante, dans la mesure où elle imprime un style au reste du Concile. Les textes du Concile deviennent de longues dissertations théologiques, plus ou moins littéraires, et non plus des formules, des définitions ou des textes denses sur le dogme.

La deuxième session se déroule à la fin de l’année 1963, quelques mois après l’élection de Paul VI. Elle est marquée par la conférence de Fulda et l’influence théologique prédominante de Karl Rahner. Les débats portèrent sur le statut de l’Église, sur la place de la Vierge Marie, sur le rôle de la Curie, le primat de Pierre et la collégialité. Face à l’Alliance européenne progressiste, qui devient mondiale, toujours bien organisée et très active, naît le Cœtus Internationalis Patrum qui demeurera toujours minoritaire.

La troisième session, à la fin de l’année 1964 est précédée par l’encyclique Ecclesiam Suam de Paul VI. Elle est caractérisée par le réveil des théologiens et évêques conservateurs qui vont notamment défendre la théologie traditionnelle sur l’Écriture, la Vierge Marie, l’enfer, la liberté religieuse, la vie religieuse, la collégialité et le mariage. Ils n’obtiendront que des demi-succès, notamment à travers la constitution Lumen Gentium et lors de ce que les plus progressistes ont dénommé la ‘semaine noire’.

La quatrième et dernière session est fixée à la fin de l’année 1965. Face à de profondes remises en question de la foi dans l’Eucharistie, le pape Paul VI publie, à la veille de la réouverture du Concile, l’encyclique Mysterium Fidei. Les évêques conservateurs mènent leurs dernières batailles contre le schéma XIII (Gaudium et spes) et les schémas sur la liberté religieuse et sur les religions non-chrétiennes. En marge, ils essayent en vain d’obtenir une condamnation du communisme et de la franc-maçonnerie. Mais, ils obtiennent un compromis sur Dei Verbum. Toutefois, lors de la clôture du Concile et de la promulgation de ses documents, ces évêques eux-mêmes les signeront.

L’époque du Concile s’achève, en réalité, à la mort de Paul VI. De 1965 à 1978, la mise en œuvre du concile se traduit notamment par la réforme de la Curie, la naissance, en Amérique latine, du CELAM, la conférence de Medellin, la poursuite de l’Ostpolitik, la mise en place d’un nouvel Ordo Missæ et la sécularisation de la liturgie. Parallèlement se développa une crise, dans l’Église, marquée par l’affaire du nouveau catéchisme hollandais, la contestation de l’encyclique Humanæ Vitæ, les conséquences de la Révolution de 1968, le développement de la théologie de la Libération, l’affaire Lefebvre et l’affaire Aldo Moro. Paul VI, à la suite de plusieurs intellectuels, tels Jacques Maritain, Michel de Saint-Pierre, les cardinaux Journet et de Lubac et l’historien Hubert Jedin, sans perdre un certain optimisme, s’en fit l’écho, à partir des années 1970, affirmant : « avoir la sensation que la fumée de Satan a pénétré par quelque fente dans le temple de Dieu ».

Cet ouvrage a le mérite de rappeler que le Concile apparaît aussi, en certains de ses textes, comme un reflet de l’Église de l’époque. Il a refusé d’être un concile dogmatique, de porter des condamnations et de promulguer, à cet effet, des définitions et des décrets, textes habituellement denses et très précis. Il a voulu être un concile pastoral qui a produit, par rapport aux précédents Conciles, de nombreux et longs textes, plus ou moins littéraires, non exempts parfois de confusions. Il a souvent succombé, dans sa vision du monde, à un certain irénisme. Il lui a indéniablement sacrifié les frères persécutés, notamment sous le régime communiste, en refusant toute condamnation de ce dernier. Sa volonté de développer avec le monde d’alors un dialogue l’a conduit à atténuer la vraie mission de l’Église qui demeure, selon son Fondateur, l’évangélisation du monde et la sanctification du peuple chrétien.

[1] Ralph M. Wiltgen, Le Rhin se jette dans le Tibre, Editions du Cèdre, Paris, 1976.

P. Paul Cocard, fsj