Res Novæ – septembre 2023

Des évêques pour refuser l’Église synodale

Par l’abbé Claude Barthe

 

Tout le monde constate, pour s’en réjouir ou en être horrifié, que le projet d’Église synodale qui sera étudié par la XVIème assemblée du Synode des Évêques emporte un infléchissement de la divine constitution de l’Église dans un sens démocratique. Mais cette novation vient de loin. La modification du mode d’être du magistère qui avait été opérée par le dernier concile, la pastoralité, était grosse de la démocratisation proposée aujourd’hui sous l’appellation de synodalité. L’enseignement faible du Concile pouvait en effet devenir tout naturellement un enseignement synodal, entendu comme une sorte d’auto-enseignement par les fidèles du Christ.

Qu’est-ce que la synodalité ?

L’adjectif synodal, comme d’ailleurs l’adjectif pastoral, renvoient à des réalités ecclésiales traditionnelles, celle, pour synodal, des réunions d’évêques, synodes, destinées à traiter de doctrine, de discipline, ou encore d’harmonisation du gouvernement d’un ensemble d’Églises particulières. Cela se pratique en Orient, où existe une organisation synodale de l’épiscopat, dans le cadre de laquelle on procède notamment à l’élection de nouveaux évêques, qui sont ensuite confirmés par le pape.

Mais au cours du présent pontificat ce terme a reçu une acception nouvelle très spécifique : celui d’une amplification du thème de la collégialité de Vatican II. Le terme de synodalité a été forgé en utilisant d’ailleurs l’appellation de la principale manifestation de cette collégialité, le Synode des Évêques, institué par Paul VI et dont les assemblées se réunissent régulièrement à Rome. On entend donc passer de la collégialité conciliaire, qui ne concernait que les évêques, à la synodalité, qui va concerner l’ensemble du peuple chrétien. La collégialité voulait imiter, de loin (les assemblées ne sont que consultatives) et sans l’avouer, le parlementarisme de la démocratie libérale. La synodalité veut en quelque sorte imiter, également de manière lointaine et non avouée, une sorte de suffrage universel pour le Peuple de Dieu.

La publication du document de préparation de la première session (il y en aura deux) de la XVIème assemblée du Synode qui traitera de la synodalité, dit Instrumentum laboris (“Instrumentum laboris” della XVI Assemblea Generale Ordinaria del Sinodo dei Vescovi (vatican.va)) a dévoilé de manière crue la réalité du projet d’Église synodale.

Dans le but d’aider des membres de la hiérarchie à réagir en conséquence, nous avons pour notre part isolé au sein de cet Instrumentum laboris, cinq propositions, comme on le faisait jadis pour bien déterminer l’hétérodoxie d’un document :

  1. Sur l’ordination d’hommes mariés – Est-il possible, comme le proposent certains continents, d’ouvrir une réflexion sur la possibilité de revoir, au moins dans certains domaines, la discipline sur l’accès au presbytérat d’hommes mariés ? (IL, B 2-4 question 9)
    Dans l’Église latine, des hommes mariés accéderaient ainsi au presbytérat, et pas seulement dans de rares exceptions, ce qui constitue l’abandon d’une des plus saintes disciplines de l’Église basée sur les enseignements du Christ concernant le célibat.
  2. Magistère des laïcs – Comment faire de l’écoute du peuple de Dieu la forme habituelle de la prise de décision dans l’Église à tous les niveaux de sa vie ? (IL B 3-4 question 1 a)
    La consultation des fidèles d’une Église particulière ou de l’Église universelle devrait donc habituellement précéder les actes de gouvernement ou de magistère des pasteurs de l’Église.
  3. Laïcisation de l’Église – Est-il possible, en particulier dans les endroits où le nombre de ministres ordonnés est très faible, que des laïcs assument le rôle de responsables de communautés ? (IL B 2-4 question 8).
    Du fait de la pénurie de prêtres, des laïcs pourraient donc exercer, en lieu et place de ces prêtres, des fonctions impliquant le gouvernement et l’enseignement.
  4. Diaconat féminin – La plupart des Assemblées continentales ainsi que les synthèses de nombreuses Conférences épiscopales demandent que la question de l’accès des femmes au diaconat soit réexaminée. Peut-on l’envisager et comment ? (IL B 2-3 question 4)
    Le diaconat, partie du sacrement de l’ordre, pourrait être conféré à des femmes.
  5. Soumission du Pape au consensus des Églises – Dans quelle mesure la convergence de plusieurs groupements d’Églises locales (Conseils particuliers, Conférences épiscopales, etc.) sur une même question engage-t-elle l’Évêque de Rome à la prendre en charge pour l’Église universelle ? (IL B 3- 4 question 4 c)
    Des décisions juridiques ou doctrinales prises par des réunions d’Églises locales pourraient obliger en quelque mesure le pape à les adopter.

Toutes ces propositions produisent scandale. Les deux dernières au moins sont clairement non catholiques.

La clé de lecture de ces propositions, et par le fait du projet synodal, est bien la démocratisation de la constitution de l’Église[1] : décléricalisation, « magistère » de consultation et de consensus.

Entendons-nous bien cependant : cette démocratisation, sous le pape François, prend la forme d’un despotisme éclairé, car jamais le pouvoir pontifical n’a été exercé de manière aussi autoritaire. Les évêques par exemple, obligatoirement démissionnaires à 75 ans, souvent mutés, recevant lors de leur nomination de la part des nonces du pape de véritables « feuilles de route » à appliquer, révoqués s’ils ne suivent pas une bonne ligne, ressemblent de plus en plus à des fonctionnaires du pape.

Par ailleurs cette démocratisation de l’Église ne veut pas dire que l’on va vers l’élection des évêques et du pape au suffrage universel. On aurait d’ailleurs beaucoup de surprises si on donnait le bulletin de vote au peuple chrétien ! Ce système synodal qui relève du catholicisme libéral, comme nous l’expliquerons plus loin, conserve nécessairement des formes catholiques, spécialement celle d’une organisation hiérarchique. Pour user d’une image vraiment très imparfaite, on dira que l’Église postconciliaire est entrée dans la démocratie comme la Chine communiste dans l’économie de marché, en restant intrinsèquement autoritaire. La démocratisation de l’Église se trouve en réalité dans le fait que sa doctrine est adaptée, tendanciellement, avec beaucoup de retards et de prudences, à une sorte de « volonté générale », un relativisme largement partagé par les chrétiens (d’où l’œcuménisme, l’assouplissement de la morale du mariage, par exemple). En somme, de la démocratie moderne, l’Église d’aujourd’hui retient l’essence de son fonctionnement – encore une fois de loin –, à savoir l’inspiration du gouvernement par des laboratoires idéologiques lesquels se chargent de traduire ou de fabriquer les idées dans l’air du temps, la « volonté générale ».

Un magistère faible

Il faut avoir toujours présent à l’esprit ce qu’est le catholicisme libéral dont procède Vatican II. Celui-ci, depuis la Révolution, dans l’espoir de donner à l’Église une place reconnue dans la société postrévolutionnaire, a voulu adapter en partie le catholicisme au monde moderne, non dans l’intention de détruire l’Église, mais afin que, avec un visage renouvelé, il puisse trouver une place reconnue au sein de la société moderne et de pouvoir y continuer sa mission sur un mode mineur (prétendant lui donner un « supplément d’âme »). Espérance de reconnaissance toujours déçue, en tout cas à terme.

Bien des catholiques sincères, a priori non libéraux, n’ont pas éprouvé vis-à-vis des nouveautés conciliaires le même rejet qu’ils éprouvent pour les nouveautés du pontificat actuel. Ces nouveautés conciliaires étaient en effet modérées et encadrées, sous Jean-Paul II et Benoît XVI, par ce que ce dernier avait nommé « l’herméneutique de renouveau dans la continuité ». D’autre part, l’enseignement moral pratiquement en continuité avec le magistère antérieur, qui avait perduré en suite d’Humanæ vitæ, compensait ces novations ecclésiologiques (liberté religieuse, œcuménisme, principes du dialogue avec les religions).

En revanche, ce qui a lieu aujourd’hui, beaucoup plus violent, les choque. Mais le présent pontificat n’est rien d’autre qu’une apocalypse au sens littéral, c’est-à-dire une révélation, en l’espèce une révélation du grand virage qu’avaient opéré volens nolens les Pères de Vatican II.Le pape François porte à un degré maximum, cet événement tout à fait unique, ou en tout cas en rend la nature beaucoup plus tangible.

Quand on lit l’histoire des premiers jours de Vatican II en octobre 1962, on peut faire le rapprochement, certes lointain mais éclairant, avec le basculement d’un ancien vers un nouveau régime que décrit Emmanuel de Waresquiel, dans Sept Jours. 17-23 juin 1789. La France entre en révolution[2]: un personnel nouveau, inspiré par une idéologie nouvelle, a pris les guides. Semblablement, à Vatican II, en quelques journées, ou quelques semaines, le pouvoir magistériel a changé de mains, et les textes préparés par la Curie de ligne Pie XII ont été balayés.

Car, à la grande différence des anciennes manifestations du catholicisme libéral, lors de Vatican II, il a ni plus ni moins pris le pouvoir magistériel. Sur le fond, il s’agissait d’un nouvel avatar, plus perfectionné théologiquement si l’on veut, du catholicisme libéral, la « nouvelle théologie » des années cinquante. Bien entendu, la nouvelle théologie, comme le libéralisme de Montalembert et de Lamennais, comme aussi le modernisme, etc., apportait en même temps que ses lâchages doctrinaux (pour Vatican II, la liberté religieuse, par exemple), un ensemble de vraies questions et de réflexions intéressantes (sur les rapports de l’Écriture avec la tradition, par exemple). En ses aspects nocifs, elle avait été condamnée par l’encyclique Humani generis de Pie XII en 1950. Et voilà que douze ans plus tard, les membres des nouveaux courants qui la composaient, notamment en France l’école dominicaine du Saulchoir ou l’école jésuite dite de Fourvière, en vinrent à être les inspirateurs du Concile. Pour le dire brutalement, après avoir été condamné durant deux siècles par le magistère, le catholicisme libéral est devenu « magistère » avec Vatican II. « Magistère » nouveau sur le fond et dans la forme.

  • Nouveau sur le fond. Pour délivrer quel contenu ? Essentiellement un contenu ecclésiologique, la nouveauté de Vatican II consistant à affaiblir la nécessité de l’appartenance à l’Église pour le salut. L’œcuménisme, avec sa « communion imparfaite » des séparés, le dialogue interreligieux, avec son « respect sincère » des autres religions, la liberté religieuse rendant obsolète l’État catholique défenseur de l’Église, posaient en principe que tout homme est présumé avancer dans la voie du salut. Ce qui revenait à dire qu’une certaine forme d’appartenance à l’Église est présumée exister chez tout homme.
  • Et nouveau dans la forme. C’est pourquoi nous mettons des guillemets à magistère, car cet ensemble de nouveautés relativistes (un relativisme se voulant modéré) ne peut pas l’être à strictement parler. Cela a conduit à faire que cette novation dans le contenu de l’enseignement soit portée par une novation dans le contenant, laquelle réside en ceci : cet enseignement du Pape ou des évêques en communion avec le Pape, bien qu’il soit donné comme un enseignement public et non comme un enseignement de théologiens privés exprimant une opinion, n’a pas pour autant une force définitive (Lumen Gentium, n. 25 § 1). À la différence de ce que dit Humani generis, qui voulait que le magistère du pape restât constamment ouvert à l’infaillibilité[3], cet enseignement-là reste toujours en soi (respectueusement) discutable. Il peut ainsi se dispenser d’une stricte continuité avec le magistère antérieur. Ainsi, les ambiguïtés ecclésiologiques de Vatican II et les ambiguïtés morales d’Amoris lætitia.

La novation dans le contenu et dans le contenant sont donc intrinsèquement liées, mais la seconde, commandée par la première (pour énoncer du non-orthodoxe on l’exprime pastoralement)est bien plus radicale. C’est pourquoi elle spécifie le dernier concile, concile pastoral, le distinguant de ce fait de tous les conciles du passé, en tout cas des conciles qui se sont exprimés pour préciser le Credo.

D’où une incertitude intrinsèque engendrant une guerre des interprétations, comme en témoignait le célèbre discours de Benoît XVI à la Curie romaine, sans pour autant que la « bonne » interprétation que le pape défendait, celle de « la réforme dans la continuité », veuille elle-même s’imposer comme magistérielle, ce qui serait pourtant le vrai moyen de régler le débat. On pourrait parler de magistère faible, par allusion au Pensiero debole, à la pensée faiblede la modernité selon Gianni Vattimo, magistère faible en l’espèce parce qu’il ne revendique pas l’autorité du magistère comme tel, et faible par le contenu relativiste qu’il délivre.

De pastoralité en synodalité

Vatican II, un concile qui n’enseigne pas à proprement parler. C’est ce que ne cesse de développer dans ses écrits Christoph Theobald, du Centre Sèvres, à Paris. Il le fait sous un autre angle, qui a l’avantage de lier plus encore contenant et contenu de Vatican II. La théologie de Theobald est une sorte de quintessence du catholicisme libéral en ses développements les plus actuels. Il fait partie du groupe des théologiens jésuites qui ont l’oreille du pape François et participera aux travaux de la prochaine assemblée du Synode des Évêques. Pour lui, la pastoralité de Vatican II est intiment liée au fait que c’est un concile qui, au lieu d’enseigner à l’ancienne, s’est mis à l’école du monde, lequel a aujourd’hui cette particularité d’être irrémédiablement diversifié[4]. Le pastoral n’est donc plus un message donné avec autorité par l’Église aux hommes, mais un message ajusté en fonction de ce que les hommes d’aujourd’hui apprennent à l’Église : l’autorité « magistérielle » a changé de camp.

C’est ce que Christoph Theobald développe dans un récent article, « L’Église au sein de l’histoire messianique de l’humanité. Pour une vision polyédrique de la Communio Ecclesiarum à l’âge de l’anthropocène »[5]. Il y explique que la pastoralité introduite par Jean XXIII à Vatican II continue toujours à développer ses virtualités : elle permet de mieux rejoindre les hommes d’un monde aujourd’hui intrinsèquement différencié en profondeur, et de continuer, pour pouvoir leur parler adéquatement, à apprendre d’eux (c’est-à-dire d’apprendre aussi des chrétiens qui sont partie prenante du monde moderne) et spécialement à apprendre de leur diversité.

On arrive ainsi à un degré extrême du catholicisme libéral, où les concessions faites à la modernité deviennent maximales. Elles sont cependant censées donner encore la possibilité aux chrétiens (aux chrétiens plus qu’à l’Église) de délivrer un message, lequel devient quant à lui minimal. La mission des chrétiens, selon Christoph Theobald, se résume à délivrer au monde une « vision messianique ». Cette « vision messianique », qui constitue l’Église, depuis Vatican II, en « peuple messianique » au sein du réseau œcuménique du judaïsme, de l’islam, des autres religions et composantes spirituelles de l’humanité, pousse l’Église à faire concorder sa manière de prophétiser, d’émettre son message, avec le monde avec lequel elle veut le partager. Cette manière de prophétiser est inséparable du message lui-même : le message chrétien est en effet l’interprétation des Écritures pour le monde présent, ou plutôt en fonction du monde présent. Il s’agit finalement pour le christianisme de faire prendre conscience au monde de ce qu’il est, grâce à cette clé herméneutique qu’est le message de paix du Christ. En très ramassé : les chrétiens ont à appuyer la conscience qu’ont les hommes qu’ils sont faits pour la paix.

Prophétie émise par des chrétiens, comme hommes parmi les hommes, en commun. Il faut pour cela « donner toute sa place au modus pastoralis comme interprétation, vécue par tous [c’est nous qui soulignons] des Écritures », c’est-à-dire réaliser un « ajustement de la figure interne de l’Église » à sa présence dans le monde. Les chrétiens peuvent le faire parce qu’ils sont comme eux, des hommes qui s’expriment à égalité. Et du coup, dans l’Église elle-même, pour être crédibles, les chrétiens doivent aussi vivre et s’exprimer à égalité. Ils ont en effet à proposer aux hommes une présence « hospitalière et fraternelle, fondée sur l’égalité entre tous les humains ». Cette égalité doit donc être « le principe fondamental de l’existence ecclésiale. » Dès lors, il importe qu’au sein d’une « Église constitutivement synodale », les ministères retrouvent leur « identité diaconale » et leur « enracinement charismatique » qu’ils ont perdus du fait qu’ils ont été indument sacralisés. La synodalité va ainsi de pair avec la décléricalisation.

Au terme de la pastoralité conciliaire est donc la synodalité démocratique. En effet, si l’on y réfléchit bien, l’enseignement de type pastoral que nous qualifions de magistère faible n’a nul besoin en soi d’être hiérarchique. Il cherche en fait à établir une sorte d’état présent du consensus à propos de l’héritage chrétien.

Mais il faut y insister, comme nous le faisions plus haut, cette démocratisation de la constitution de l’Église ne peut qu’être virtuelle, si l’on ne veut pas qu’explose tout cadre institutionnel, comme chez les protestants. C’est pourquoi les nouveautés ne doivent pas être trop violentes, ce qu’a parfaitement compris le pape François. On peut être sûr, par exemple, que les propositions radicales du Chemin synodal de l’Église allemande feront l’objet de négociations modératrices : qu’au lieu d’adopter un sacerdoce des femmes, on se dirigera vers des moyens termes, présence à l’autel, prédication ; et ainsi de suite.

Des évêques pour un retour dogmatique

Le contenu particulièrement choquant de l’Instrumentum laboris a déjà entraîné des réactions épiscopales de rejet. Ainsi :

  • du cardinal Müller (Le cardinal Müller accuse le Synode de vouloir détruire l’Église – FSSPX.Actualités / FSSPX.News) : « Cela donne l’impression qu’il est réellement possible que l’Église puisse changer et que le Saint-Esprit n’est qu’une fonction pour les organisateurs du synode. C’est une façon de saper la foi catholique et l’Église catholique. »
  • de Mgr Strickland, évêque de Tyler aux États-Unis, dans une lettre pastorale du 22 août 2023 (https://www.benoit-et-moi.fr/2020/2023/08/26/synode-la-lettre-dun-vrai-pasteur-a-ses-ouailles-mgr-strickland/) : « Le terrain le plus sûr que nous puissions trouver est de nous appuyer fermement sur les enseignements pérennes de la foi. Malheureusement, certains pourraient qualifier de schismatiques ceux qui ne sont pas d’accord avec les changements proposés. Sachez cependant qu’aucun de ceux qui restent fermement sur le chemin de notre foi catholique n’est un schismatique. Nous devons rester sans réserve et véritablement catholiques, indépendamment de ce qui peut être proposé. »
  • du cardinal Burke : « La synodalité et son adjectif, synodal, sont devenus un slogan derrière lequel se cache une révolution pour changer radicalement l’auto-compréhension de l’Église[6]. »
  • ou encore de Mgr Schneider (https://renaissancecatholique.fr/blog/une-nouvelle-eglise-synodale-sape-leglise-catholique-un-appel-a-la-priere-et-a-la-reflexion/) : « Ce document de travail ou Instrumentum semble saper la constitution divine et le caractère apostolique de la vie et de la mission de l’Église catholique, en leur substituant une “Église synodale” inventée, inspirée principalement par des catégories protestantes, sociales et anthropocentriques. »

D’autres suivront. Contre les dangers qui menacent le peuple fidèle, seules importent en effet la réaction de membres de la hiérarchie. À cet égard, l’Instrumentum laboris constitue une providentielle opportunité pour provoquer une réponse adéquate (voir notre article dans l’Homme nouveau : https://hommenouveau.fr/document-preparation-synode-sur-la-synodalite/.

Adéquate par manière d’agere contra, en allant au rebours du magistère faible dont relève l’entreprise synodale. Elles doivent obliger à un débat dogmatique, pour à la fin presser un retour dogmatique. Intervention indispensable, pour reprendre notre distinction utilisée plus haut :

  • À propos du fond, en isolant précisément des propositions doctrinales répréhensibles au regard de la doctrine catholique dans le texte de l’Instrumentum et d’autres semblables, comme on le faisait jadis en présence de documents s’éloignant de la foi catholique, comme nous le suggérions plus haut par nos cinq propositions.
    Notamment la 4ème, envisageant la possibilité de conférer à des femmes un degré du sacrement de l’ordre, le diaconat, et la 5ème prônant un recours au consensus Ecclesiæ de type gallican pour l’élaboration d’actes du Souverain Pontife. Elles paraissent spécialement propres à se voir opposer la tradition de l’Église et le magistère antérieur. La 4ème ayant en outre l’avantage, si l’on peut dire, de contredire la Lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis de Jean-Paul II, du 22 mai 1995, dans la mesure où ce qui vaut pour une partie du sacrement de l’ordre, le presbytérat, vaut pour cette autre partie du sacrement qu’est le diaconat. Si cette Lettre de 1995 n’était pas un acte infaillible du pape, comme semblait l’indiquer curieusement la réponse la Congrégation pour la Doctrine de la foi du 28 octobre 1995[7], l’occasion serait donnée de demander son élévation au statut d’acte en soi définitif.
  • Et à propos de la forme, en militant pour un retour à un magistère à l’ancienne, autrement dit à un magistère infaillible ou fondé sur l’infaillibilité.

Quand bien même, on ne nous suivrait pas dans nos raisonnements sur l’état a-magistériel actuel, rien n’empêcherait d’exiger en toute hypothèse une solution à la présente crise synodale par une intervention magistérielle.

Et quand bien même, on estimerait que cette intervention n’est pas possible ou opportune pour l’instant, il resterait hautement souhaitable, sans attendre les réunions synodales d’octobre 2023 et d’octobre 2024, que les cardinaux et évêques qui n’acceptent pas la synodalité telle qu’elle est présentée à la réflexion dans l’Instrumentum laboris intervinssent pour exprimer leur non-réception de cette synodalité.Ce serait par ailleurs prendre date pour l’avenir, à savoir en vue du prochain conclave et de ses enjeux.

Abbé Claude Barthe


[1] Le cardinal Raymond Leo Burke parle de « rhétorique populiste » https://acnmex.com/retorica-populista-dentro-de-la-iglesia-disrtorsiona-la-doctrina-y-confunde-a-los-fieles-cardenal-burke/.

[2] Tallandier, 2020.

[3] « Si les Papes portent expressément dans leurs actes un jugement sur une matière qui était jusque-là controversée, tout le monde comprend que cette matière, dans la pensée et la volonté des Souverains Pontifes, n’est plus désormais à considérer comme libre de discussion entre les théologiens ».

[4] « La “pastoralité” de l’enseignement du concile Vatican II. Bilan d’une réception controversée », dans Angelo Maffeis (dir.), Una Chiesa « Esperta in Umanità ». Paolo VI interprete del Vaticano II. Colloquio internazionale di Studio, Brescia, Edizioni Studium, Rome, 2019, pp. 73-85; et « Le Concile et la forme “pastorale” de la doctrine », dans Bernard Sesbouë (dir.), Histoire des dogmes t. IV, DDB, 1996, pp. 471-510.

[5] Recherches de Science Religieuse, juillet-septembre 2023, pp. 405-419.

[6] Préface à Julio Loredo, Jose Antonio Ureta, Processo sinodala : un vaso di Pandora (Associazione Tradizione Famiglia Proprietà, 2023).

[7] Elle précisait qu’il s’agissait « d’un acte du magistère pontifical ordinaire, en soi non infaillible, [qui] atteste le caractère infaillible de l’enseignement d’une doctrine déjà en possession de l’Église ».