Res novæ – juin 2022

Res novæ juin 2022

Si le pape se tait, que parlent les évêques !

Par l’abbé Claude Barthe

Soixante-quatorze évêques, dont quatre cardinaux, ont adressé une lettre, le 14 avril dernier, à leurs confrères allemands au sujet des risques de schisme que comportait le processus dit de « Chemin synodal »[1]. Cette intervention est en soi un événement considérable : des évêques prennent d’eux-mêmes l’initiative d’exercer leur sollicitude de Successeurs des Apôtres sur une partie de l’Église universelle gangrenée par de graves erreurs doctrinales, sans en référer d’abord au pape. C’est en soi tout à fait possible, le pape ayant ensuite toute latitude pour intervenir, approuver, infirmer, mais ce processus est tout à fait inouï dans l’Église d’après-Vatican II : ces évêques parlent, de fait, parce que le pape se tait.

Les petits évêques de Vatican II

Dans un article d’octobre 2019, « Où sont les Successeurs des Apôtres ? »[2], nous observions que les évêques d’aujourd’hui se retrouvent en majorité, au sein d’une Église en crise gravissime, dans un consensus mou, alors qu’ils ont dans leur être même de pasteurs et docteurs tout ce qui est nécessaire pour « jeter le feu sur la terre », notamment pour embraser l’Église de l’amour de Dieu et de sa vérité.

Paradoxalement, Vatican II, dont on disait qu’il devait être le concile des évêques, destiné à  rétablir l’équilibre faussé par Vatican I, concile du pape, n’a qu’instauré une autre forme de centralisation, l’évêque conciliaire enserré dans un réseau idéologique, se trouvant bien plus dépendant de Rome qu’il ne l’était jadis.

Le consensus idéologique s’établit à trois niveaux :

  • En haut, le Synode des Évêques, purement consultatif, qui fonctionne par réunion d’assemblées régulières, lesquelles, de manière très moderne, visent en fait à établir – comme l’avait d’ailleurs fait le dernier concile – des accords de compromis, qui se conclurent longtemps dans un sens favorable à « l’herméneutique du renouveau dans la continuité », et qui sont aujourd’hui dans un sens de « progrès ». Les exhortations apostoliques qui s’appuient sur les travaux de ces assemblées, aussi bonnes qu’aient été certaines, émettent en suite, non pas un magistère d’explicitation du Credo, mais un enseignement qui requiert une adhésion en-deçà de l’adhésion de foi, et qui peut donc toujours être corrigé, comme on a pu le voir.
  • En dessous, sont les conférences épiscopales, qui par des décisions et des prises de positions majoritaires, dont on prend grand soin de les donner comme pratiquement unanimes, ce qui est au reste le cas, ligotent plus encore les initiatives personnelles importantes que pourraient prendre les pasteurs diocésains.
  • Enfin, dans son diocèse lui-même, l’évêque prend certes une sorte de revanche, dans la mesure où l’indépendance de ses curés a été considérablement rognée (ils ne sont plus curés inamovibles, démissionnent à 75 ans, et sont entourés, voire remplacés par des équipes de laïcs). L’évêque n’est pas pour autant empereur en son royaume : il dépend de fait de collaborateurs et de conseils qui reflètent les tendances dominantes de l’épiscopat national.

Et puis, les mots d’ordre, hier de collégialité, aujourd’hui de synodalité, ne changent rien au fait que la centralisation institutionnelle n’a jamais été aussi forte. Pratiquement sans exception, les évêques de rite latin sont aujourd’hui nommés par le pape, qui n’hésite pas, tout scrupule synodal bu, à obliger les déviants à se démettre, comme par exemple les évêques d’Albenga, San Luis, San Rafael…

Un élément principal de ce surcroît de centralisation se trouve dans la décision prise par Paul VI, de contraindre les évêques diocésains à présenter leur démission à 75 ans[3] (le pape se réservant d’accepter ou de prolonger le mandat de l’évêque). Cette disposition, passée dans le canon 401, donne au pouvoir romain une possibilité de renouveler les épiscopats qu’il n’a jamais eu à ce degré. Certes, il a toujours été possible qu’un évêque, y compris celui de Rome, renonçât librement à sa charge, ou encore que le pape le lui demandât pour de graves raisons. Si l’évêque résistait, il est même arrivé que le pape le démît : ainsi procéda Pie VII avec les évêques français qui n’avaient pas voulu librement renoncer à leur charge après le Concordat de 1801 avec Bonaparte. Mais désormais, depuis 1966, c’est tout évêque que le droit canonique – donc le pape – contraint de se démettre à 75 ans.

Cette mesure est d’ailleurs tellement inouïe que la rédaction législative semble hésiter : « L’évêque diocésain qui a atteint soixante-quinze ans accomplis est prié – rogatur – de présenter la renonciation à son office », dit le canon. Qu’adviendrait-il s’il restait sourd à cette « prière » ? En fait, il est rarissime que des évêques aient suffisamment de force – ce fut pourtant le cas de l’archevêque de Buenos Aires, Jorge Bergoglio – pour omettre de présenter leur démission lorsque survient l’anniversaire-guillotine. On peut se demander si cette nouvelle règle, qui n’avait jamais existé[4], est parfaitement conforme à la divine constitution de l’Église qui veut que son gouvernement soit fondé sur le Successeur de Pierre et les Successeurs des Apôtres unis à lui. À chaque évêque diocésain est confiée par le Pape une portion du troupeau, une Église particulière, dont il devient l’époux mystique, et le seul fait d’avoir 75 ans ne semble pas un motif suffisant pour présumer que l’évêque est devenu inapte et que son lien « matrimonial » doive être rompu, d’autant qu’il n’en est pas ainsi pour le pape. Ainsi les évêques « époux » de leurs Églises (cf. 1 Tm 3, 2), tendent à devenir des sortes de préfets-fonctionnaires. Esprit synodal, où es-tu ?

Des évêques de droit divin

Sur la fonction des évêques, Vatican II rappelait pourtant de hautes vérités. L’Église étant missionnaire par sa nature (Redemptoris missio n. 5), la charge essentielle des Successeurs des Apôtres est de faire connaître le message évangélique. Les évêques sont en premier lieu les « hérauts de la foi, amenant au Christ de nouveaux disciples » (Lumen gentium, n. 25 § 1). Quand pape et évêques enseignent ensemble, réunis en concile ou bien dispersés sur toute la terre mais parlant d’une seule voix, dans ce qu’on nomme le « magistère ordinaire universel », le soin de tous et de chacun des évêques pour l’ensemble du troupeau apparaît sans qu’il soit besoin d’insister.

Mais en outre, cette sollicitude ainsi exercée pour toute l’Église les caractérise en toute occasion : légitimes Successeurs des Apôtres, « les évêques sont tous tenus, à l’égard de l’Église universelle, de par l’institution et le précepte du Christ, à cette sollicitude qui est, pour l’Église universelle, éminemment profitable, même si elle ne s’exerce pas par un acte de juridiction. » (Lumen gentium, n. 23 § 2). Ce disant, le Concile se référait à l’encyclique Fidei donum de Pie XII, sur les missions, du 21 avril 1957, qui insistait pour que les évêques engageassent certains de leurs prêtres à partir en pays de mission : la vie de l’Église universelle est de la responsabilité particulière de chacun d’eux[5].

La charge universelle du pape n’absorbe pas la contribution des autres évêques : telle est la véritable synodalité. Les évêques manifestent leur communion avec l’évêque de Rome et la communion existant entre eux en participant au magistère et au soin pastoral du Successeur de Pierre ou en y adhérant.

En communion prévenante

Mais qu’advient-il lorsque le pape se tait alors qu’on est dans l’attente de sa parole ? Aussi longtemps que Pie VI n’avait pas fait connaître sa condamnation du serment d’adhésion à la Constitution civile du Clergé, les évêques de France ont suppléé par leurs indications et leur exemple. On pourrait aujourd’hui qualifier (faiblement) ces manquements de « silences du pape » quant à la doctrine morale (Amoris lætitia qui ne défend pas l’indissolubilité du mariage), quant à la règle de foi que représente la liturgie (Traditionis custodes qui nie à la liturgie tridentine sa qualité de lex orandi), quant aux errements à condamner (le « Chemin synodal » allemand parmi bien d’autres). Dans ce cas, la communion au pape – une communion en quelque sorte prévenante – ne consiste-t-elle pas pour les Successeurs des Apôtres à parler, non pas à la place du Successeur de Pierre, mais dans l’attente de l’approbation ou de l’infirmation qu’il exercera un jour en vertu de son charisme ? Autrement dit, très concrètement, l’acte de communion ne consiste-t-il pas pour les évêques à parler pour que le pape cesse de se taire ?

« Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment, dit Jésus à Pierre, mais moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas : toi donc, quand tu seras revenu, confirme tes frères » (Lc 22, 31-32). Lorsque Pierre, pour n’importe quelle raison, s’éclipse ou se dérobe, ses frères doivent le solliciter de toutes les manières pour qu’il les confirme. Dire cela n’est nullement prôner une sorte de conciliarisme (qui veut que les évêques, spécialement en concile, puissent juger le pape). Et d’ailleurs, le concile de Constance, sur lequel s’appuyait le conciliarisme des gallicans, n’était-il pas une tentative extrême et comme désespérée de faire en sorte qu’un pape confirmât ses frères – et qui y est parvenu en déposant Grégoire XII, Benoît XIII, Jean XXIII, pour élire Martin V ? Tant il est vrai que la sollicitude universelle des évêques ne se conçoit pas hors de celle du pape, y compris dans les manifestations les plus paradoxales de cette sollicitude, ou tels évêques se trouvent apparemment plus papistes que le pape.

Ces soixante quatorze évêques (dont quatre cardinaux : Arinze, Napier, Burke, Pell), qui sont en majorité des États-Unis (Samuel Aquila, Salvatore Cordileone, etc.), mais aussi d’Afrique, font ainsi un pas important vers la condamnation des hérésies qui blessent gravement l’Église. De quelque manière qu’on se dirige demain vers le redressement de l’Église, dans les étapes qui conduiront vers cette vraie réforme sub Petro, l’intervention de la pars sanior de l’épiscopat sera cruciale, comme toujours elle l’a toujours été dans l’histoire.

Abbé Claude Barthe

[1] Le blog de Jeanne Smits: Le “Chemin synodal” allemand mène au “schisme” : la mise en garde de 74 évêques et cardinaux
[2] Église: où sont les successeurs des Apôtres? – Res Novae – Perspectives romaines
[3] Motu proprio Ecclesiæ sanctæ, 6 août 1966, n. 11 ; rescrit, 5 novembre 2014.
[4] Et qui va au-delà des indications du Concile : le décret Christus Dominus disait seulement que les évêques diocésains « sont instamment priés de donner leur démission, soit d’eux-mêmes, soit sur l’invitation de l’autorité compétente, si, du fait de leur âge avancé, ou pour toute autre raison grave, ils deviennent moins aptes à remplir leur charge » (n. 21).
[5] Il est plaisant de remarquer que Mgr Marcel Lefebvre, alors archevêque de Dakar et délégué apostolique pour l’Afrique française, est donné pour un des rédacteurs principaux de cette encyclique.

Réforme de la Curie et amenuisement du pouvoir des évêques

Par l’abbé Jean-Marie Perrot

La constitution apostolique Prædicate Evangelium affirme, dans son préambule, la position de service que doit occuper la Curie romaine, tant vis-à-vis du pape que des évêques ; car c’est à eux que, par institution divine, donc de manière inamissible, est confiée la responsabilité première de la mission et de l’unité de l’Église. La Curie ne s’interposera donc pas, est-il écrit, entre le premier et les seconds, comme un degré intermédiaire d’autorité. Tel est le principe.

Mais, on a pu noter que la présente réforme, par nombre de ses dispositions, conduit à renforcer singulièrement le pouvoir papal. Qu’en est-il de celui des évêques ? Sans doute le temps montrera quelles formes concrètes prendra la « salutaire décentralisation » au service du « mystère de communion » qu’est l’Église, au-delà ou en-deçà de ce qui est prôné. Au-delà si, par exemple, le chemin synodal allemand devenait le modèle de ce qui, sans être recommandé, est accepté, en tout cas n’est pas condamné. En-deçà si la pesanteur administrative de la Curie et des conférences épiscopales empêchait toute modification importante. En-deçà encore si, suite à un prochain conclave et par la volonté d’un nouveau pape, la Curie et le Synode des évêques étaient enrôlés au service d’un nouveau changement de direction, comme les pontificats de Jean-Paul II et de François l’ont montré.

Une logique « synodale » qui confirme la marginalisation des évêques diocésains

Quoi qu’il en soit, une chose paraît confirmée et amplifiée, à savoir la marginalisation de l’évêque diocésain. Discrètement. Le préambule, que nous continuons de scruter, cite au n°6 le début du n°23 de la constitution Lumen gentium sur l’Église, où il est affirmé que « les évêques sont, chacun pour sa part, le principe et le fondement de l’unité dans leurs Églises particulières », le pontife romain l’étant pour l’Église universelle. Puis, aussitôt, paraphrasant un autre paragraphe du document conciliaire, le texte mentionne, comme effets de la « Providence divine », les organes de la collégialité épiscopale que sont les « antiques Églises patriarcales » et, plus récentes, les conférences épiscopales. (n°7) Cet adossement au concile doit être interprété à l’aune d’une autre interprétation faite par Prædicate Evangelium en ses premières lignes. Dans une reprise de l’ecclésiologie de communion, on lit en effet, au n°4 : « dans l’Église, la mission est… étroitement liée à la communion […] Cette vie de communion donne à l’Église le visage de la synodalité, c’est-à-dire une Église d’écoute mutuelle où chacun a quelque chose à apprendre. Peuple fidèle, Collège des évêques, évêque de Rome : les uns écoutent les autres, et tous écoutent l’Esprit Saint, l’Esprit de vérité, pour savoir ce qu’il dit aux Églises. »

Il paraît clair que cette logique synodale favorise, au niveau épiscopal, les instances collégiales que sont le Synode des évêques – ainsi l’Église universelle va-t-elle, ces dernières années, de synode en synode – et les conférences épiscopales, au détriment de l’évêque, pasteur propre de son diocèse. On pourrait certes objecter que le texte de Lumen gentium déjà cité se voit complété par le deuxième des « principes et critères » généraux, garantissant ainsi à l’évêque diocésain le plein exercice de son pouvoir, dans le cadre d’une saine collégialité dont on ne saurait dénier la légitimité : « Cette réforme propose, dans l’esprit d’une « décentralisation » salutaire[1], de laisser à la compétence des Pasteurs la faculté de résoudre, dans l’exercice de « leur propre tâche de maîtres » et de pasteurs, les questions qu’ils connaissent bien et qui ne touchent pas à l’unité de doctrine, de discipline et de communion de l’Église, en agissant toujours avec cette coresponsabilité qui est le fruit et l’expression de ce mysterium communionis spécifique qu’est l’Église. »

Une telle perspective positive, malheureusement, n’est rien moins que certaine. En effet, il faut rapprocher de ce principe énoncé la lettre apostolique en forme de motu proprio Competentias quasdam decernere du 11 février 2022, soit quelques courtes semaines avant Prædicate Evangelium. Or, si l’on fait abstraction de mesures techniques ou disciplinaires, le motu proprio établit principalement un transfert de compétences aux conférences épiscopales pour l’érection de séminaires interdiocésains, la formation sacerdotale qui y est dispensée et la publication des catéchismes. Et cela au nom d’une « salutaire décentralisation » et de « l’universalité partagée et plurielle de l’Église qui intègre les différences sans les uniformiser, et dont l’unité est garantie par le ministère de l’évêque de Rome ». Alors quand, dans le paragraphe suivant, les décisions du motu proprio sont aussi justifiées par la nécessité d’ « une action pastorale de gouvernement plus rapide et efficace de la part de l’autorité locale, facilitée par sa proximité avec les personnes et les situations qui en ont besoin », l’on sait que cette autorité locale n’est pas, pour des sujets d’importance qui devraient le regarder au premier chef, l’évêque diocésain.

L’évêque, « pasteur propre » très encadré

Certes, on ne peut retirer à celui-ci le fait d’être le pasteur propre du peuple qui lui est confié et, par là, de posséder certains pouvoirs. Mais l’on peut encadrer cet exercice de telle sorte qu’il s’en dessaisisse au bénéfice d’instances collégiales. Qui s’y refuserait serait suspect. Un des « principes et critères » de Prædicate Evangelium laisse planer comme une menace sur d’éventuels indépendants : Le « service de la Curie à la mission des évêques et à la communion est proposé, également à travers l’accomplissement, dans un esprit fraternel, de tâches de vigilance, de soutien et d’accroissement de la communion mutuelle, affective et effective, du Successeur de Pierre avec les évêques. » (n°3)

L’on n’a pas attendu cette réforme de la Curie pour regarder d’un œil suspicieux de tels évêques indépendants, et pour que, parfois, de fâcheuses conséquences en découlent. De manière tout à fait contemporaine des documents envisagés jusqu’à présent – et cette concomitance frappe -, Mgr Hector Aguer, archevêque émérite de La Plata, s’est publiquement ému du renvoi de Mgr Fernandez Torres de son siège d’Aracibo à Porto Rico, au début de mars 2022. Si les motifs de la décision restent secrets, on sait tout de même qu’on avait suggéré à Mgr Fernandez Torres de démissionner, ce qu’il avait refusé. Il semble qu’il ait déplu par ce qui fut jugé être un manque d’esprit collégial en des circonstances répétées : sur l’obligation vaccinale, sur le motu proprio Traditionis custodes ou encore par sa volonté de conserver un séminaire diocésain. Quoi qu’il en soit de ces points, ou d’autres, Mgr Aguer a protesté, dans un article au titre évocateur (« Conférences épiscopales ? Liberté des évêques ! »), sur le site d’information InfoCatólica, en date du 22 avril 2022, non pas seulement contre le renvoi, mais aussi contre le type de collégialité qui s’est imposée et ne souffre maintenant plus d’exception. Ces critiques, évidemment, il n’est ni le premier ni le seul à les avancer : organisation centralisatrice modelée sur les parlements séculiers, jeux des commissions, des majorités et des minorités, règne d’un légalisme moutonnier et d’un moralisme impératif sur l’unité à conserver, tropisme pastoral, thèmes et calendrier dépendants de l’actualité médiatique et des groupes de pression. La charge est sévère, et l’auteur s’en rend compte ; mais il est selon lui impensable qu’un évêque diocésain n’ait pas le premier et le dernier mot en des matières aussi fondamentales que la liturgie et la formation des prêtres, ce que le droit de l’Église lui reconnaît d’ailleurs. En théorie.. Or, celui qui a été renvoyé est l’évêque d’un diocèse – que l’archevêque émérite connaît bien – où les prêtres se font remarquer par leur piété et où fleurissent les vocations sacerdotales… Est-ce cela en définitive dont on lui a fait grief ?

Les évêques non-collégiaux effacés

Renvoyé : d’après Mgr Arguer, le mot est trop faible. Mgr Fernandez Torres a été « effacé » (cancelled, dirait-on dans le vocabulaire woke). Si le pape n’a pas à justifier ses actes, la déclaration de la conférence épiscopale de Porto Rico a, par son caractère sibyllin et abrupt, manqué de la plus élémentaire charité, jeté la suspicion d’actes graves sur leur confrère, et l’a fait disparaître purement et simplement du paysage ecclésiastique. Mgr Arguer renvoie alors à un sien article à peine plus ancien (« Aux prêtres effacés », du 16 mars 2022), dans lequel il s’élevait contre un phénomène inquiétant par son ampleur croissante et sa dureté, et ce depuis une décennie, l’effacement de prêtres dans l’Église.

N’est-ce pas, pour ce qui regarde la méthode, ce qui est arrivé à l’ancien archevêque de Paris, Mgr Aupetit ? Le pape n’a-t-il pas lui-même reconnu que sa « démission » était le fruit amer, mais accepté, d’un jeu de rumeurs, relayées complaisamment ou à dessein par les média ?

N’est-ce pas cela aussi qui a été tenté, et continue de l’être, à l’encontre de l’archevêque de Cologne, le cardinal Woelki, dans une puissante campagne de presse, à propos de la gestion des abus contre des enfants par des clercs ? Si l’on se souvient que cette thématique – si grave soit-elle – est le paravent d’une lutte du chemin synodal allemand contre ce qu’il nomme cléricalisme, permettant aux activistes de faire sauter tous les verrous doctrinaux, ecclésiaux, disciplinaires, les uns après les autres ; si l’on note que le cardinal est un farouche opposant à ces menées et que ceux qui l’attaquent (par exemple le mouvement féministe Maria 2.0) sont ceux qui sont à la manœuvre dans les instances du synode, le doute sur les intentions réelles des protestations contre Woelki est permis. En mars 2022, il a présenté, pour la seconde fois, sa démission au pape qui, à cette date, n’y a pas donné de réponse.

Le wokisme brutal, dont nous avions déjà mentionné qu’il s’insinue dans l’Église, et la synodalité déniant subrepticement aux pasteurs propres des Églises particulières le droit d’exercer pleinement et librement leur mission, n’ont pas en leur source partie liée ; mais – on le voit dans la société civile – le second est la condition du premier; et l’on peut penser que la disparition des médiations traditionnelles conduit, à rebours de la paix et de l’unité invoquées, aux coteries et à la violence.

Abbé Jean-Marie Perrot

[1] Citation de Evangelii gaudium n°16, qu’il peut être opportun de citer plus largement : « Je ne crois pas non plus qu’on doive attendre du magistère papal une parole définitive ou complète sur toutes les questions qui concernent l’Église et le monde. Il n’est pas opportun que le Pape remplace les épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problématiques qui se présentent sur leurs territoires. En ce sens, je sens la nécessité de progresser dans une « décentralisation » salutaire. ».