Bref examen critique de la communion dans la main – Paix liturgique 787 du 18 mai 2021
BREF EXAMEN CRITIQUE DE LA COMMUNION DANS LA MAIN
UN LIVRE BILAN A PROPOS D’UNE REVOLUTION RITUELLE |
Les éditions Contretemps viennent de publier un Bref Examen Critique de la Communion dans la main (avril 2021), ouvrage collectif dirigé par Jean-Pierre Maugendre, Délégué Général de Renaissance Catholique, qui fait un point historique, doctrinal, canonique, sur cette véritable révolution rituelle qui a accompagné la réforme liturgique de Vatican II : la réception de la communion dans la main, justifiée comme un retour à d’antiques usages, mais qui est de fait un amoindrissement considérable de l’adoration de la présence réelle typiquement moderne. Dans la préface de l’ouvrage, le cardinal Raymond Burke rapporte les souvenirs de sa première communion, « jour le plus important de la vie d’un catholique ». Pour les enfants que l’on instruisait de la foi, la manière traditionnelle dont on recevait la communion à genoux et sur les levres « exprimait admirablement la merveille qu’est la saint communion ». 65 ans plus tard, l’émerveillement qui a accompagné sa foi eucharistique, grâce à la révérence qu’on lui a inculquée dès l’enfance, est toujours intact. Qu’en sera-t-il pour ces petits enfants auxquels on apprend à recevoir l’hostie consacrée selon le mode nouveau ? Jean-Pierre Maugendre souligne que ce nouveau mode de recevoir le sacrement de l’autel est lié à la conception théologiquement affaiblie que véhicule le nouveau rite la messe. Il rappelle à ce propos la version initiale du n. 7 de l’Institutio generalis, qui exprimait comme un aveu l’intention des réformateurs, disant que la messe est « le rassemblement du peuple de Dieu sous la présidence du prêtre pour célébrer la mémoire du Seigneur ». Il explique ainsi que le choix du titre de l’ouvrage qu’il a dirigé, le Bref Examen Critique concernant la communion dans la main, renvoie volontairement aux paroles très fortes des cardinaux Ottaviani et Bacci dans le Bref Examen Critique concernant la messe de Paul VI : la messe nouvelle, disaient les cardinaux, s’éloigne « de manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe » définie par le Concile de Trente ; de même, la théologie eucharistique sous-tendue par la manière nouvelle et irrévérente de communier s’éloigne de façon impressionnante de la foi eucharistique traditionnelle. Le P. Réginald-Marie Rivoire, de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, fait un état précis de « la situation juridique de la communion dans la main », compte tenu des diverses mesures prises à l’occasion de l’épidémie de coronavirus. Il examine entre autres avec précision deux interventions discutables à divers points de vue de la Congrégation pour le Culte divin. Il rappelle un principe est clair : « Si un évêque peut parfaitement refuser d’autoriser la communion dans la main dans son diocèse (c’est un indult dont l’application lui est réservée), il ne peut en aucun cas interdire le rite de la communion dans sur les levres (c’est la loi universelle qui s’impose à lui) ». Jeanne Smits traite de « cinquante ans de communion dans la main : bilan et perspective ». De son riche chapitre nous retiendrons le rappel qu’un évêque diocésain, Mgr Laise, évêque de San Luis en Argentine et auteur ensuite d’un livre contre la communion dans la main, l’avait purement et simplement interdite dans son diocèse. Ce qui créa une intense polémique, mais ce qui montre aussi qu’un processus révolutionnaire n’est jamais fatal, et que la volonté des hommes d’Église, spécialement celle d’évêques, peut parfaitement le stopper. Le chanoine Grégoire de Guillebon, de l’icrsp, fait un exposé très complet et très opportun sur « la communion dans la main aux temps apostoliques ». On retiendra notamment que, si la communion sur les lèvres fut entérinée par les conciles du VIIe siècle, il semble bien que, sans être majoritaire, elle ait existé auparavant. Au reste, la communion sur la paume, la plupart du temps recouverte d’un linge sacré, était intégrée dans l’Antiquité à toutes sortes de manifestations d’adoration, auxquelles s’est finalement et tout naturellement ajoutée – progrès notable de la lex orandi – la prescription de la communion sur les lèvres « de nette supériorité latreutique ». La communion dans la main, pourrait-on ajouter, est typique pour la liturgie de l’équivalent d’une régression dogmatique, semblable, toute chose égale, aux affaiblissements concernant l’expression du sacrifice dans la nouvelle messe. Enfin, du chapitre historique de l’abbé Claude Barthe sur « le processus de la communion dans la main », nous avons, avec l’aimable autorisation de l’éditeur reproduit ici quelques pages qui traitent : – D’une part, du lien entre deux novations : la communion reçue dans la main par des laïcs et de la communion donnée par la main des laïcs ; – Et d’autre part, comment une loi faible permet à une exception de caractère révolutionnaire de devenir la norme. De la communion distribuée par la main des laïcs à la communion reçue dans la main des laïcs Il faut dire aussi que c’est tout naturellement qu’on est passé de la distribution de la communion par la main de laïcs à la réception de cette même communion dans la main de laïcs. Ces deux traitements identiques de la communion se sont l’un et l’autre confortés. Les deux phénomènes sont apparus de manière concomitante, dans la mesure où ils se fondent sur le même principe, ou plutôt sur le renversement du même principe de respect qui voulait que les espèces consacrées ne puissent être touchées que par les ministres consacrés que sont les prêtres et les diacres. En fait, la distribution de la communion par des laïcs avait été validée subrepticement dans la Présentation générale du nouveau missel : au n. 68 de l’édition typique de 1970, elle évoquait comme un état de fait « ceux qui donnent la communion comme ministres extraordinaires », sans autre précision. Certes, deux ans après, le motu proprio Ministeria quædam, de Paul VI, du 15 août 1972, aurait pu être interprété comme réservant ce rôle de ministres extraordinaires aux acolytes. Son n. 6 précisait qu’il appartenait aux acolytes de distribuer la communion comme « ministres extraordinaires », chaque fois que les prêtres et diacres ne seraient pas en mesure de la distribuer en raison d’un grand nombre de communiants. Sauf que ces acolytes étaient désormais des laïcs. Ministeria quædam abolissait, en effet, cinq des six ordres traditionnels conduisant à l’ordination sacerdotale (les quatre ordres mineurs de portier, lecteur, exorciste et acolyte, et le premier ordre majeur, le sous-diaconat), de même que la tonsure, qui les précédait et faisait juridiquement entrer dans la cléricature. Ne subsistait plus que l’ordre majeur du diaconat, par lequel on devenait désormais clerc. À la place des ordres cléricaux supprimés, Paul VI créait deux « ministères institués » de lecteur et d’acolyte, qui n’étaient pas conférés au titre d’ordinations cléricales mais comme de simples mandats donnés à des laïcs se préparant ou non au sacerdoce. Dispositions enregistrées par le Code de Droit canonique de 1983 (Canon 266 § 1). Un an plus tard, l’instruction Immensæ caritatis du 29 janvier 1973, notifiera ensuite : si des motifs de vraie nécessité y invitent, un fidèle non-ordonné peut être député en qualité de ministre extraordinaire, théoriquement par l’évêque diocésain, pour distribuer la communion y compris en dehors de la célébration eucharistique, ad actum, pour une fois, ou ad tempus, de façon stable, pour un temps. Dans des « cas de vraie nécessité » l’autorisation peut être concédée ad actum par le prêtre qui préside la célébration. Et le n. 162 de la Présentation générale du missel, dans l’édition typique de 2002, précisera : « Pour distribuer la communion, le prêtre peut se faire aider par d’autres prêtres qui seraient là. S’il n’y en a pas et que le nombre des communiants soit vraiment élevé, le prêtre peut faire appel pour l’aider à des ministres extraordinaires, c’est-à-dire à un acolyte institué ou même à d’autres fidèles qui sont députés pour accomplir ce rite. En cas de nécessité, le prêtre peut, pour l’occasion, députer des fidèles capables ». Concrètement, cette autorisation est donnée par le fait que le prêtre désigne un laïc, homme ou femme, pour cet office, ou confie une ou plusieurs hosties à ceux qui en font la demande pour être distribuées en dehors de la messe à des malades ou à des personnes qui n’ont pu assister à la messe. La diffusion de la communion dans la main grâce à une loi faible, l’instruction Memoriale Domini À partir de 1965, en Allemagne, Luxembourg, Belgique, Hollande, Suisse et France, entre autres, sans aucune autorisation, il arrivait que la communion soit donnée dans la main, comme le constatait le cardinal Lercaro dans sa conférence prononcée le 1er mars 1965 citée ci-après. En septembre 1965, le Secrétaire du Consilium, Annibale Bugnini, fit une visite aux Pays-Bas, où il releva cet « abus » parmi d’autres. Il était couvert par des évêques, il le sera bientôt par les conférences des évêques. Sur le fond, les raisons pour lesquelles étaient justifiée l’introduction de cette pratique nouvelle, conjuguaient d’une part le retour à une pratique primitive – retour supposé, car intervenant hors du contexte tardo-antique –, et d’autre part des raisons d’accord avec une théologie qui « comprenait mieux » que tout fidèle est investi du sacerdoce royal. Le fidèle se communiant lui-même comme le ministre de l’eucharistie. En outre, le geste paraissait plus conforme à la gestuelle contemporaine, si du moins le communiant ne le faisait pas précéder d’une génuflexion. […]Le Saint-Siège organisa alors une étrange enquête auprès des évêques du monde pour savoir si cette pratique « sauvage » était, malgré tout, légitime. Le Consilium adressa à tous les évêques du monde une lettre de consultation, datée du 29 octobre 1968. Cette lettre avait été minutieusement corrigée de la main même du pape Paul VI, les corrections manifestant qu’il était très préoccupé par la diffusion de cet usage. Le 12 mars 1969, l’enquête, composée de trois questions, s’acheva, alors que 2.136 évêques y avaient répondu. La majorité des évêques rejetaient cette manière nouvelle de recevoir la communion. – À la première question : « Pensez-vous qu’il faille exaucer le vœu que, outre la manière traditionnelle, soit également autorisé le rite de la réception de la communion dans la main ? » 567 évêques répondent oui (placet), 315 oui avec réserves (placet juxta modum), tandis que 1.233 répondent non (non placet). – À la seconde question : « Aimeriez-vous que ce nouveau rite soit expérimenté d’abord dans de petites communautés, avec l’autorisation de l’ordinaire du lieu ? » 751 évêques répondent oui et 1.125 non. – Enfin, à la troisième question : « Pensez-vous qu’après une bonne préparation catéchétique, les fidèles accepteraient volontiers ce nouveau rite ? » 835 évêques répondent oui et 1.185 non. Comme le releva le Consilium, dans un rapport édité à la suite de cette consultation et remis au Pape le 10 mars 1969 : « Quoique n’atteignant pas les deux tiers, une forte majorité est opposée à la nouvelle pratique » (Mgr Athanasius Schneider, Dominus est, Tempora, 2008, p. 72). Et cependant l’instruction Memoriale Domini du 29 mai 1969, tout en rapportant ces réponses et précisant qu’« il est évident qu’une forte majorité d’évêques estiment que rien ne doit être changé à la discipline actuelle, et que si on la changeait, cela offenserait le sentiment et la sensibilité spirituelle de ces évêques et de nombreux fidèles », fit accéder la communion dans la main au statut d’« exception ». La communion traditionnelle restait en soi la règle : « C’est pourquoi, compte tenu des remarques et des conseils de ceux que « l’Esprit-Saint a constitués épiscopes pour gouverner » les Églises, eu égard à la gravité du sujet et à la valeur des arguments invoqués, il n’a pas paru opportun au Souverain Pontife de changer la façon selon laquelle depuis longtemps est administrée la sainte communion aux fidèles ». Et cependant, le Saint-Siège s’en remettait au jugement des conférences épiscopales… pour permettre la communion dans la main : « Mais là où s’est déjà introduit un usage différent – celui de déposer la Sainte Communion dans la main – le Saint-Siège, afin d’aider les Conférences épiscopales à accomplir leur tâche pastorale, devenue souvent plus difficile dans les circonstances actuelles, confie à ces mêmes Conférences la charge et le devoir de peser avec soin les circonstances particulières qui pourraient exister, à condition cependant d’écarter tout risque de manque de respect ou d’opinions fausses qui pourraient s’insinuer dans les esprits au sujet de la Très Sainte Eucharistie, et d’éviter soigneusement tous autres inconvénients ». Il était donc possible, là où la pratique « sauvage » s’était manifestée, de légaliser cette pratique à titre de concession, le Saint-Siège se réservant l’approbation finale : « De plus, en pareils cas, pour que cet usage s’établisse comme il faut, les Conférences épiscopales prendront, après prudent examen, les décisions opportunes, par vote secret et à la majorité des deux tiers. Ces décisions seront ensuite soumises au Saint-Siège, pour en recevoir la nécessaire confirmation ». […] Pour la France, cet examen attentif par le Saint-Siège dura… une semaine. Le vote des évêques eut lieu immédiatement, à moins qu’il n’ait précédé l’instruction, et l’autorisation du pape fut notifiée seulement 8 jours après la publication de Memoriale Domini. Le 6 juin 1969, le cardinal Gut, Préfet de la Congrégation pour le Culte divin, qui avait remplacé la Congrégation des Rites depuis le 8 mai précédent, répondait à une demande d’autoriser la communion dans la main suite à un vote de la Conférence des Évêques de France : « Le Saint-Père a pris en considération les motifs invoqués à l’appui de Votre demande et les résultats du vote qui est intervenu à ce sujet. Il accorde que, sur le territoire de Votre Conférence Épiscopale, chaque Évêque, selon sa prudence et sa conscience, puisse autoriser dans son diocèse l’introduction du nouveau rite pour distribuer la Communion, à condition que soient évités toute occasion de surprise de la part des fidèles et tout danger d’irrévérence envers l’Eucharistie ». Et tous les évêques donnèrent cette permission. […] La grande majorité des conférences des évêques adoptèrent les unes après les autres ce nouveau mode de réception de la communion, avec approbation de la Congrégation pour le Culte divin. Celle d’Italie ne franchit le pas qu’en 1989. Au témoignage de Mgr Schneider, c’est le nonce au Kazakhstan, qui a imposé à cette Église l’introduction de la communion dans la main. En pratique, l’exception ainsi accordée devint le mode largement majoritaire, et la communion sur les lèvres l’exception. Déjà, comme si cela était en passe d’advenir, le Conseil permanent de l’épiscopat français, prenant acte de la permission que venait de lui donner la Congrégation pour le Culte divin, déclarait dans une note du 19 juin 1969 : « La majorité des évêques n’est pas favorable à ce que d’une manière générale [c’est nous qui soulignons], la communion dans la main soit substituée à l’actuelle manière de faire ». Et parfois même la concession en droit devint obligation en fait, la communion étant refusée à qui la demandait à genoux ou simplement sur les lèvres. […] Ainsi, avant même la fin du concile Vatican II, au début de 1965, la manière traditionnelle de distribuer la communion dans l’Église latine commençait à être subvertie. Et moins de quatre ans plus tard, au cours de l’été 1969, le nouveau mode de réception était en passe de devenir, en certains endroits, concrètement obligatoire. Cette réception de l’hostie consacrée dans la main brisait ainsi une longue tradition de respect religieux et conduisait à la banalisation d’un des moments liturgiques les plus importants pour les participants aux saints mystères. On sait à quel point l’effet a été dévastateur pour le respect et la foi des catholiques dans le sacrement des sacrements. Reference du livre Bref examen critique de la communion dans la main |