L’institution de femmes « lecteurs » et « acolytes » est contraire à la Tradition – Prof. Cyrille Dounot

Le motu proprio Spiritus Domini du 10 janvier 2021

Reproduit de l’Homme Nouveau 1728 du 30 janvier 2021, p. 8-9

Par la lettre apostolique Spiritus Domini, rendue motu proprio le 10 janvier 2021, le pape a modifié le can. 230, § 1 du Code de droit canonique pour ôter l’adjectif « hommes » venant qualifier les « laïcs » pouvant « être admis d’une manière stable, par le rite liturgique prescrit, aux ministères de lecteur et d’acolyte ». Entré en vigueur immédiatement, ce texte permet donc aux femmes d’être instituées lectrices ou acolytes (au service de l’autel). Est-ce une évolution ou une révolution ? Nous laissons Paul VI répondre : « Être institué lecteur et acolyte, conformément à la vénérable tradition de l’Église, est réservé aux hommes » (lettre apostolique Ministeria Quaedam, 15 août 1972, § VII).

Cette question de l’accès des femmes au chœur est liée aux abus liturgiques de l’après-concile. La S. Congrégation pour le culte divin rappelle, en 1970, que « selon les règles traditionnelles de l’Église, il n’est pas permis aux femmes (jeunes filles, femmes mariées, religieuses) de servir le prêtre à l’autel » (instr. Liturgicæ instaurationes, n°7), mais leur permet « de proclamer les lectures, à l’exception de l’Évangile ». On aurait pu croire que cette possibilité accordée en 1970 était retoquée par l’institution des ministères masculins en 1972, mais l’instruction Inaestimabile donum de la même congrégation, du 17 avril 1980, interdit seulement aux femmes « les fonctions d’acolyte (celui qui sert à l’autel) », et leur autorise « la lecture de la parole de Dieu et la proclamation des intentions de prière des fidèles » (n°18). Le Code de droit canonique de 1983 rassemble les deux possibilités : le ministère institué (lecteur ou acolyte) est réservé aux hommes (can. 230, § 1) ; une aide ponctuelle peut être apportée par un laïc (homme ou femme) à la fonction de lecteur (can. 230, § 2).

Un changement juridique intervient en 1992, confirmé liturgiquement en 1994 puis en 2004 : « Les filles ou les femmes peuvent être admises à ce service de l’autel, au jugement de l’évêque diocésain » (instr. Redemptionis Sacramentum, 25 mars 2004, n°47). Il faut alors une autorisation explicite de l’évêque pour admettre une femme à l’autel. Toutefois, l’exercice par les laïcs de « certaines fonctions dans le cadre de la célébration de la sainte Liturgie » doit se faire « selon la tradition » (n°43), c’est-à-dire en les réservant aux hommes.

L’ouverture aux femmes d’un ministère (stable) d’acolyte, et non plus seulement d’une députation temporaire, est contraire à la tradition millénaire telle que résumée dès le IVe siècle : « Il ne convient pas d’autoriser les femmes de s’approcher de l’autel » (Concile de Laodicée, can. 44). En effet, bien que nous soyons ici en face de ministères institués (catégorie juridique créée par Paul VI en 1972, en remplacement des défunts ordres mineurs) et non de ministères ordonnés (relevant du sacrement de l’ordre, réservé aux hommes de droit divin), la confusion créée entre le sacerdoce ordonné et le sacerdoce commun (baptismal) est patente.

La réforme de Paul VI, dans l’intention de faire apparaître « la distinction entre clercs et laïcs, entre ce qui est propre aux clercs et leur est réservé, et ce qui peut être demandé aux laïcs », a manqué son but. Elle renomme les ordres mineurs en ministères (§ II) et les ouvre aux laïcs « de telle sorte qu’ils ne soient plus réservés aux candidats au sacrement de l’ordre » (§ III). Cependant, pour être institué ministre, il faut à la fois remplir certaines conditions (sexe, âge, qualités), être accepté par l’évêque et se voir conférer le ministère « selon les rites liturgiques » (§ IX), ce qui s’approche fort des anciens ordres mineurs, comme préparation au sacrement de l’ordre.

Certes, le pape François parle ici de « charismes, appelés ministères » qui « sont distincts, dans leur essence, du ministère ordonné reçu avec le sacrement de l’Ordre », mais il affirme dans ce même document que « dans certains cas, cette contribution ministérielle trouve son origine dans un sacrement spécifique, l’Ordre sacré » et que, « selon une vénérable tradition, la réception des ‘ministères laïcs’ […] précédait en tant que préparation la réception du sacrement de l’Ordre ». Une sorte d’en même temps pontifical qui annihile les clarifications de l’exhortation apostolique Sacramentum caritatis (22 février 2007), distinguant des « ministères, liés au sacrement de l’Ordre » et « d’autres ministères liés au service liturgique, accomplis de manière appréciable par des religieux et par des laïcs formés » (§53).

En pratique, ce texte ne devrait pas bouleverser les habitudes paroissiales, déjà très largement illégales. Que ce soit pour la lecture des Écritures ou la distribution de la sainte communion, les prescriptions canoniques ne sont pas observées dans notre pays. Dans le premier cas, à défaut de lecteur institué, d’autres laïcs peuvent suppléer « pour proclamer les lectures de la sainte Écriture, à condition qu’ils soient vraiment aptes et soigneusement préparés à accomplir cette fonction » (Présentation générale du Missel romain, § 101), mais qui a jamais reçu une telle préparation ? Dans le second cas, cette fonction supplétive requiert « la nécessité de l’Église par défaut de ministres [ordonnés] » (can. 230, § 3). Il faut donc, d’une part, l’absence de ministre ordinaire (évêque, prêtre, diacre), d’autre part un cas de nécessité. De surcroît, ce ministre extraordinaire est l’acolyte, et à défaut seulement, un autre fidèle désigné expressément pour cela par l’Ordinaire du lieu ad actum ou ad tempus.

En définitive, le pape a juridiquement bien la possibilité d’ouvrir aux femmes ces deux ministères institués, qui ne sont pas des ministères ordonnés. Cependant, l’accès des femmes aux fonctions liturgiques va à l’encontre de la Tradition. Ici, la question n’est plus juridique, mais théologique.