Pratique actuelle de nullité matrimoniale – Abbé Jacques-Yves Pertin

La pratique actuelle de la nullité matrimoniale dans l’Église latine

conférence de M. l’Abbé Jacques-Yves Pertin, avocat à la rote romaine à Toulon, le 27 février 2016

Sommaire: Intérêt de la question et problématique. 1. Exposé des principes normatifs fondamentaux : 1-1. Favor veritatis. – 1-2. Favor matrimonii. – 1-3. Certitude morale. – 2. Regards sur quelques cas de nullités matrimoniales liés à notre époque: 2-1. Dictature du relativisme et nullité matrimoniale – 2-2. Addictions et incapacités matrimoniales – Conclusion.

Intérêt de la question et problématique

Dans le peuple chrétien, l’activité judiciaire de l’Eglise est d’ordinaire mal connue. Il faut dire que, pour beaucoup, l’idée même de procès ne fait pas bon ménage avec la mission spirituelle de l’Eglise. Ainsi la justice ecclésiastique évoque encore une mentalité qui serait peu compatible avec la charité ou la miséricorde : un esprit qui compte là où la charité ne compte pas, une gestion administrative et formelle là où l’on ne devrait parler que de charité pastorale, une attitude répressive là où la charité ne sait que pardonner bref tous les lieux communs qui risquent de déformer le concept de vraie justice dans l’Eglise et rendent souvent le droit canonique peu aimable. Pour bien saisir toute la portée de cette question, il faut établir une distinction préalable.

Si d’une part, la théologie catholique affirme que du côté de Dieu le don du salut est amour gratuit, pure miséricorde, il faut reconnaitre d’autre part  qu’on ne peut pas en dire autant pour l’Eglise, car l’Eglise ne choisit pas de donner le salut aux âmes, elle ne fait que de le transmettre car c’est un don déjà conféré par Dieu à tout homme. L’Eglise agit un peu comme le notaire à l’égard des biens d’un testament (notons au passage que c’est par l’appellation juridique de Testament que l’on désigne la transmission de l’oeuvre du salut)[1].

C’est en quelque sorte le bien fondé d’un droit dans l’Eglise qui est concerné ici : en effet, l’acte de transmettre le salut, n’est pas en soi un acte de charité mais bien et avant tout un acte de justice: il s’agit en effet d’un dû par l’Eglise aux destinataires de ce testament que sont les fidèles de l’Eglise et tous les hommes : « je veux, dit Jésus, que tous les hommes soient sauvés ». Le code actuel a bien mis en valeur cet état de choses en parlant du droit pour le fidèle « de recevoir des pasteurs les aides qui découlent des biens spirituels de l’Eglise, surtout la parole de Dieu et les sacrements » c’est même la suprema lex  de l’Eglise (can. 1752) et la théorie pour ainsi dire, la plus fondamentale de son droit. Faire mais aussi dire ce qui est juste comme est censé le faire un procès est non seulement un droit de l’Eglise mais correspond aussi à un réel droit des fidèles (can. 221)[2].

1. Exposé des principes normatifs fondamentaux 

1-1. Favor veritatis

C’est dans cette perspective qu’il existe dans l’Eglise un procès très  spécial qui regarde un point bien précis : la nullité matrimoniale. Ce procès a deux finalités objectives : l’une proche et immédiate celle de connaître la vérité d’un mariage, l’autre éloignée mais absolument fondamentale celle de collaborer au salut des âmes. Le salut des âmes a en effet selon la parole de Jésus un rapport très étroit avec la vérité : la vérité rend libre.[3] Vouloir atteindre le salut de l’âme sans vérité n’a pas de sens.

Pour être plus précis, les causes de nullité de mariage concernent des mariages qui sont en échec. Disons tout de suite que le but de cette procédure n’est pas de constater la vérité de ces échecs, mais de savoir si oui ou non ces mariages ont été nuls ou non. Donc ces procédures ne concernent seulement qu’une partie des mariages en situation d’échec. Ce jugement a pour ainsi dire quelque chose d’un peu borné puisqu’il porte sur un point unique et extrêmement limité, délimité c’est-à-dire si oui ou non, il y a eu mariage. On parle en effet de constater la nullité d’un mariage non de l’annuler comme on l’entend parfois de façon impropre.

Cela a pour conséquence que tout échec de mariage n’est pas forcément le signe d’un mariage nul. Pour bien comprendre cette affirmation, il suffit de savoir de quoi est « fait » principalement un mariage : le code de droit canonique reprenant la sagesse des anciens romains, nous dit que ce qui constitue le mariage « qui facit » c’est le consentement, le oui, des époux, acte fondateur, suprême, souverain (et naturellement indissoluble) sur lequel personne d’autre qu’eux peut intervenir : « aucune puissance humaine » nous dit le code (can.1057, §1), donc ni le prêtre, ni l’Evêque, ni le Pape même ne disposent de ce pouvoir souverain qu’ont les époux de se dire ce fameux oui[4]. Une image peut nous le faire comprendre, ce sont ces couples qui depuis un certain temps, viennent mettre des cadenas sur les ponts des grandes villes d’Europe et jettent la clef à l’eau en signe d’amour indissoluble. Seuls les époux ont en effet la clef de ce cadenas qu’est l’union matrimoniale, cadenas qu’ils ferment et dont ils jettent ensuite à l’eau la clef, ne disposant plus par la suite du pouvoir de le rouvrir, de dissoudre leur union.

C’est pour cela, que l’Eglise n’a pas grande latitude quant aux mariages en échec : certes, en amont, elle peut veiller d’abord à ce qu’ils soient bien célébrés, oui, c’est ce qu’elle a fait en introduisant une modalité juridique ou forme canonique destinée protèger les unions c’est-à-dire la célébration devant un prêtre autorisé et deux témoins. Certes, la préparation à ce sacrement est aussi une autre possibilité d’intervention de l’Eglise sur les mariages, quoique plus récente, les familles n’assumant plus souvent ce rôle formateur primordial : en Italie, par exemple, un prêtre ne peut marier licitement si les époux ne lui présentent pas un certificat de préparation au mariage.

Malheureusement, malgré la préparation et les bonnes intentions, un mariage peut aussi échouer. La marge de manoeuvre qu’a alors logiquement l’Eglise n’est pas de s’immiscer de façon violente pour ainsi dire dans le consentement des époux sur lequel encore une fois elle n’a pas plus la clef que les époux, mais de constater si éventuellement le consentement des époux s’est bien réalisé ce jour-là (si le cadenas a été bien fermé…) : c’est cela précisément qu’on appelle la procédure en nullité. On peut déjà relever ici le paradoxe de ceux qui revendiquent à raison la souveraineté du consentement matrimonial et qui en même temps voudraient de façon incohérente qu’une institution comme l’Eglise puisse dissoudre d’autorité un lien qui a été voulu par la  seule décision irrévocable des époux.

C’est à ce premier type d’incompréhension que se heurtent parfois les opérateurs de justice avec ceux qui identifient à tort échec et nullité matrimoniale. Il faut bien alors toute la charité pastorale possible pour rappeler aux époux que l’objet de la procédure en nullité est de connaitre la vérité de ce mariage au moment de la célébration matrimoniale, non pas au moment de la requête en nullité : la miséricorde ne peut s’opposer en effet à la recherche franche de la vérité. C’est le constat évangélique du « va et ne pèche plus ». Connaitre la vérité, c’est en effet se confronter parfois à ses erreurs, à ses imprudences, voire à ses torts ou à ses manques d’esprit de sacrifice pour sauver ce qui pouvait l’être, circonstances que relevaient si souvent les derniers souverains pontifes dans leurs discours fameux à la Rote romaine[5].

Le procès en nullité ne porte pas non plus sur les fautes des époux : l’objet du procès n’est pas de se prononcer sur la culpabilité de l’un ou de l’autre, même s’il est vrai que la nullité ait pu être aussi provoquée par la responsabilité de l’un des conjoints. Dans l’ancien code de 1917 (can.1971, n.1), le conjoint responsable de la nullité ne pouvait pas attaquer le mariage car on considérait que la personne qui avait mal agi ne devait pas tirer avantage de la situation. Cette condition a totalement disparu de nos jours. Le jugement porte simplement sur le fait de la nullité, sur une situation que l’on doit pouvoir discerner objectivement par des actes et des preuves[6]. Il n’y a donc logiquement pas de gagnant ou de perdant comme dans la plupart des procès qui opposent les personnes : les époux ont beau se dresser peut-être l’un contre l’autre dans le procès, il n’en demeure pas moins que l’issue de celui-ci n’est pas de condamner l’un ou l’autre mais d’accéder à la vérité qui libère : la preuve de cela est que par exemple le droit reconnait aux époux la faculté de se défendre par le même avocat (Instr. Dignitas Connubii, art. 102).

Il est vrai qu’il est difficile de reconstituer la vérité mais c’est précisément la raison d’être d’un procès et parfois de sa longueur (le droit souhaite un an et demi). Dans cette affirmation il y a tout l’optimisme chrétien qui considère l’homme capable de dire, de connaitre la vérité du monde qui l’entoure, sinon il faudrait se condamner au mutisme en tout.

L’Eglise de façon aussi très réaliste distingue dans le procès deux « vérités » qui en soi ne devraient pas être séparées : l’une objective : c’est ce qui s’est réellement passé devant Dieu et qu’on doit chercher bien sûr au cours du procès et la vérité formelle, c’est-à-dire celle déclarée par le juge et qui peut ne pas coincider parfois. Le juge n’est pas Dieu et peut se tromper et il arrive aussi qu’on le trompe, ce qui fait que cette tendance à la vérité peut conduire à réouvrir un procès ancien si l’on est arrivé à connaitre des éléments nouveaux qui changent l’issue du procès, ce que l’on ne fait pas dans les autres procès qui ne concernent pas l’état de vie des personnes par souci de stabilité juridique. De tout cela, il ressort que le souci de la vérité est vraiment un principe qui guide toute la procédure en nullité.

1-2. Favor matrimonii

La nullité matrimoniale est en principe quelque chose de rare car se marier est à la portée de tous. En effet si elle était courante on douterait perpétuellement de la validité de tout mariage. Il découle de cela un autre principe qui doit guider tout ceux qui sont concernés de près ou de loin par une procédure en nullité, c’est que le mariage jouit de la faveur du droit (can. 1060) : c’est-à-dire que le mariage est considéré comme valide par l’Eglise jusqu’à preuve du contraire, de même que le coupable est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire.

Pour expliquer cela, il faut dire d’abord que dans le cas du mariage, on présume habituellement qu’il y a accord entre la volonté manifestée à l’extérieur (le oui que tous ont pu entendre) et la volonté interne (l’intention de contracter, invisible, can. 1101 § 1). On présume également qu’à partir de la puberté tout homme a les capacités psychiques et physiques de contracter mariage : c’est ce qu’on appelle la maturité suffisante. Notez qu’il ne s’agit absolument pas d’une maturité qui vient avec l’âge et l’expérience : la première, la maturité suffisante, tout homme la possède dans la majeure partie des cas tandis que la seconde, pas toujours ; c’est ce qui fait souvent dire de façon impropre aux parents qui eux-même ont acquis avec le temps la maturité de l’âge au sujet de leurs enfants qu’ils sont « totalement immatures » au moment de leur mariage. De la même façon, les époux peuvent rétrospectivement éprouver ce sentiment d’immaturité dû au manque d’expérience au moment de leur mariage même si dans la plupart des cas il n’ont pas manqué de cette maturité suffisante requise par la nature et sanctionnée par le droit (can. 1096).

La présomption de validité est telle que l’Eglise affirme que l’opinion que quelqu’un aurait de la nullité de son mariage peut très bien coexister avec un consentement réellement valide : donc croire que l’on fait un mariage nul n’est pas censé influer directement sur la validité du mariage (can. 1100).

C’est ce qui fait que l’Eglise a comme premier souci de protéger l’institution du mariage, de la promouvoir même au moment d’en constater l’éventuelle nullité. Toutefois, sans la procédure matrimoniale, la justice de l’Eglise resterait incomplète car les fidèles, qui auraient un doute légitime sur la validité de leur mariage se trouveraient dans une situation d’injustice n’ayant pas la possibilité de vérifier dans quel état de vie ils se trouvent.

On a déjà évoqué une partie des mesures que l’Eglise met en place en amont comme garantie d’un mariage bien célébré. Le dossier canonique que l’on considère souvent comme une formalité inutile voire indiscrète peut aider aussi à soulever bien des obstacles au mariage que l’on avait pas forcément perçus au cours de la fréquentation pré-matrimoniale : je pense en particulier à toutes les incapacités au consentement soit d’ordre physiologique comme l’impuissance (can. 1084) soit d’ordre psychique (can. 1095)[7].

Dans le procès lui-même, cette fois, la figure du défenseur du lien est pour ainsi dire un magistrat qui n’existe dans aucun type de procès et qui, devant le tribunal, est chargé non de défendre l’institution matrimoniale en tant que telle mais ce mariage qui semble vivre encore (can. 1432). Ce personnage est si important que la procédure serait nulle sans sa participation. En France, pour introduire une cause, il est même demandé un certificat de divorce pour être certain qu’il n’y a plus rien à faire et qu’on ne peut plus comme le demande le code chercher une réconciliation « s’il y a un espoir de solution favorable » (can. 1676). Heureusement parfois, les personnes qui nous ont contactés dans le diocèse ont pu reprendre la vie commune : le code préconise à cet effet de mettre en oeuvre les moyens pastoraux pour arriver à cette issue. On voit par ces différentes mesures tout le soin que l’Eglise apporte à protéger le bien du mariage, pilier fondamental de la société.

C’est pourquoi, il est très important, comme conséquence de ce principe, de ne pas anticiper trop vite le jugement de l’Eglise. Bien souvent, on peut se convaincre sur de faux motifs et conclure à tort à un mariage nul. Il faut toute la charité des prêtres qui accompagnent ces personnes pour faire conserver cette prudence aux époux en crise afin qu’ils ne fondent pas de faux espoirs qui, déçus pourraient alors se changer en amères revendications. Pour être exhaustif, il faut aussi citer le cas de tant de personnes qui n’osent pas exposer leur cas aux officialités par crainte : soit de remuer un passé douloureux, soit de provoquer une sorte de « batardisation » de leurs enfants.

Il faut enfin beaucoup d’abandon pour les époux, beaucoup d’esprit de prière, ce n’est pas facile, et surtout éviter de s’engager dans de nouveaux liens affectifs tant que l’on est pas sûr devant Dieu de l’issue de la procédure. Dans d’autres cas il faudra aussi mettre en oeuvre les consignes canoniques et pastorales qui concernent les divorcés remariés[8].

1-3. Certitude morale

Pour que le mariage soit déclaré nul il faut que le juge soit convaincu d’une certitude morale de la vérité des faits présentés (can. 1608). Cette certitude se situe au centre des principes précédents : il faut chercher la vérité, en ne la dépassant jamais, en ne la présumant jamais car le bien que l’on touche a la faveur du droit parce qu’il a la faveur de Dieu. Ce qui veut dire que si le juge manque de preuves, il ne peut pas déclarer la nullité même si dans son for intérieur, il aurait l’intuition que ce mariage est nul[9].

Au sujet de la certitude morale, la jurisprudence de la Rote Romaine rappelle souvent les discours fondamentaux des papes de 1942 et 44 et 1980. Celui de 1942, en particulier dit que « la certitude du juge doit exclure tout doute raisonnable » : c’est ce qui se passe quand les opérateurs de justice font leur travail avec diligence. On réunit ainsi tous les document et témoignages qui semblent nécessaires à la cause sans rien négliger et on conclut à partir de cela et non à partir de tous les documents possibles imaginables. Le discours de 1980 met en garde le juge à qui  «  il n’est permis (…) de prononcer une sentence en faveur de la nullité d’un mariage s’il n’a pas acquis d’abord la certitude morale de l’existence de cette même nullité. La probabilité seule ne suffit pas pour décider d’une cause. Ce qui a été dit sagement par les autres lois relatives au mariage vaudrait pour chaque fléchissement à cet égard : chaque relâchement a en soi une dynamique contraignante « pour laquelle, si on prend l’habitude, la voie est préparée à la tolérance du divorce dans l’Église, sous couvert d’un autre nom » (lettre du Cardinal-Préfet du Conseil pour les affaires publiques de l’Église au président de la Conférence épiscopale des États-Unis, 20 juin 1973) »[10].

 

2. Regards sur quelques cas de nullités matrimoniales liés à notre époque

          Il est impossible d’énumérer toutes les possibilités de nullité, cela nécessiterait une étude qui dépasse largement le cadre de cette intervention. On se limitera ici à actualiser quelques circonstances qui offrent en ce moment soit au niveau de la doctrine canonique soit de la jurisprudence matière à réflexion.

         De façon très générale, il existe trois grands groupes de nullité matrimoniale : je laisse ici volontairement de côté un quatrième groupe qui serait constitué par les empêchements au mariage. Le premier groupe concerne des vices ou manques graves de liberté, le deuxième est constitué par les incapacités au mariage, tandis que le troisième cible les défauts du volontaire.

 2-1. Dictature du relativisme et nullité matrimoniale

 Il n’y a pas longtemps a circulé sur internet un scénario qui, s’il n’était pas le triste reflet d’une réalité qui est en train de se mettre en place pourrait faire sourire : « Je m’appelle Charlotte, enfant… un couple d’hommes m’a adoptée. J’ai maintenant 18 ans un père adoptif ‘Jean’ et une mère adoptive ‘Pierre’ car c’est lui la « femme  » du couple et ils sont mariés bien sûr. J’ai vite senti une certaine attirance physique aussi bien avec Jean qu’avec Pierre. Ce qui devait arriver, arriva : j’ai eu un enfant avec mon père adoptif ‘Jean’ (sans qu’il y ait d’inceste), puis un enfant avec ma mère adoptive ‘Pierre’. Ce qui n’est pas encore défini c’est la position de ma mère vis-à-vis de l’enfant que j’ai eu avec mon père, son mari et vice-et-versa ». Le cas est un peu exagéré, certes, mais va bien dans le sens des nouvelles théories développées dans les manuels scolaires de 1ère : « le sexe biologique affirme en effet l’un d’eux, nous identifie mâle ou femelle, mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de féminin ou de masculin »[11], affirmation d’ailleurs complètement contradictoire scientifiquement puisque l’on sait aujourd’hui que ce qui distingue les hommes et les femmes n’est pas simplement leur apparence mais le code génétique lui-même[12].

Le Pape François notait dans son discours à la Rote de 2015[13] que c’est « sur le contexte humain et culturel [que] se forme l’intention matrimoniale », en tout cas qu’elle en subit malheureusement les influences, qu’on le veuille ou non. Il est indubitable que ces théories qui pénètrent de toute part la société alliée à la fragilité affective des personnes qui se fait de plus en plus sentir et que relevait la Relation Synodale de 2014[14], risquent vraiment de modifier la perception de l’institution matrimoniale et de ses propriétés essentielles, voire de la famille elle-même[15]. Le Pape citait le cas « d’un grand nombre de fidèles en situation irrégulière, dont l’histoire personnelle a été fortement influencée par la mentalité mondaine diffuse » et il concluait que « le manque de connaissance des contenus de la foi [et j’ajouterais surtout de la nature] pourrait conduire à ce que le Code appelle une erreur déterminant la volonté (cf. can. 1099) ». C’est à ce propos que le Pape concluait que « cette éventualité ne doit plus être considérée exceptionnelle comme par le passé, étant donné justement la prédominance fréquente de la pensée mondaine sur le magistère de l’Église ». Ce que veut dire le Pape ici est qu’il est fort à craindre que dans certains cas ces fausses théories puissent vraiment prendre le pas sur  l’inclination naturelle ou tout au moins la contrarier et puisse de ce fait créer de plus en plus fréquemment des nullités matrimoniales soit à cause d’erreurs qui déterminent la volonté soit à cause du refus ou de l’exclusion de l’une ou l’autre des propriétes essentielles du mariage comme le prévoit le code  au can. 1101[16].

Bien souvent en effet, on voit des couples qui se séparent suite à de faux raisonnements qui ont fini par avoir raison de leur union matrimoniale : une dame déclarait par exemple « j’ai rencontré l’amour avec cet homme ; j’ai toujours pensé que si  il n’y a plus d’amour, il n’y a plus de mariage…» ; une autre affirmait « mon mari ne voulait pas d’enfants car il pensait que cela nuirait à notre entente et à ses aspirations professionnelles» ou encore « je ne vois pas comment aujourd’hui on peut rester toute une vie avec le même conjoint ». La passion peut faire parfois parler ainsi, mais comment ne pas voir aussi l’émergence toujours plus forte d’une mentalité ambiante fortement opposée à toute idée de famille et qui comme le dit la jurisprudence finit par s’inviter et entrer dans le consentement lui-même jusqu’à  le détruire par un acte positif de volonté absolument contradictoire avec une véritable intention matrimoniale[17]. Un prêtre de paroisse citait l’exemple d’un enfant du catéchisme tentant d’être exhaustif dans la liste des sacrements : « il y a  le baptême, la communion, le divorce… ».

On voit que toutes ces théories participant d’une ingénierie sociale bien plus vaste et qu’il convient de dénoncer, par les conditionnements de destructuration mentale qu’elle impose aux individus dès leur plus jeune âge, touche à la fois et à la liberté nécessaire aux futurs conjoints pour effectuer un vrai consentement, et au volontaire en risquant de faire porter leurs intentions par un ersatz de consentement, vers un ersatz de mariage[18]. Chaque cas mérite bien évidemment d’être vérifié mais, comme on le concevra volontiers, ces situations représentent en même temps un véritable casse-tête pour les opérateurs de justice qui ont parfois de réelles difficultés à acquérir la certitude morale sur la vérité d’un mariage.

2-2. Addictions et nullité matrimoniale

Une autre problématique malheureusement d’actualité mérite d’être enfin soulevée, en partie liée à ce qui a été dit précédemment ; il s’agit de comportements de plus en plus courants induits pas de nouveaux modes de vie mais qui nuisent gravement à la vie matrimoniale. C’est le cas particulier des addictions, vraies plaies de notre société : il y a les addictions à la drogue ou à l’alcool, les plus connues, mais il y en a aussi de nouvelles : l’addiction au travail (workalcoholism), et désormais à l’ordinateur, spécialement aux jeux en ligne. Quand on se réfère à une addiction à l’ordinateur par exemple, cela concerne généralement des personnes qui peuvent passer après leur travail plus 7 heures devant leur ordinateur, ne gérant plus rien à la maison, à en faire hâter le repas du soir en famille pour aller jouer en ligne, d’y passer toute la nuit et se réveiller le matin habillés comme ils s’étaient endormis, c’est-à-dire devant leur écran. En Italie, l’accès libre aux machines à sous a provoqué l’addiction pathologique de plus de 800 000 italiens, épidémie reconnue officiellement par le ministère de la santé italien mais contre laquelle aucune mesure n’est prise devant les intérêts financiers qu’elle génère. Que dire alors du nombre de ceux qui jouent seuls devant leur ordinateur ?

Il est évident, et cela ressort de l’expérience de ceux qui ont subi de telles difficultés, que celui qui est victime d’une addiction peut causer des ravages irréversibles dans un foyer : au niveau financier par exemple (cas d’un père de famille qui achète un jeu plutôt qu’un vêtement pour ses enfants) mais aussi sur le plan affectif puisque l’addiction est un Moloch qui dévore toutes les actions de celui qui en est dépendant.

De tels comportements peuvent être les signes révélateurs de perturbations psychiques : les pathologies au jeu existent et sont reconnues comme telles (ludopathies), de même l’usage de stupéfiants chez certains individus prédisposés peuvent se comporter comme de véritables détonateurs de pathologies gravement invalidantes pour la vie matrimoniale[19].

Le droit de l’Eglise reconnait que l’impossibilité d’assumer pour cause de nature psychique les obligations essentielles du mariage provoque une incapacité juridique du contractant et rend nul le consentement (can. 1095, n.3). La jurisprudence de l’Eglise s’est aperçue en la matière qu’il ne suffit pas d’accepter théoriquement les trois biens traditionnels du mariage (fidélité, indissolubilité,  et ouverture à la vie), il faut encore avoir la capacité d’instaurer et de supporter la communauté de vie. Il va de soi que certaines addictions rendent impossibles la vie en commun en raison de l’egocentrisme qu’elles engendrent malgré tous les efforts que peut faire l’autre conjoint pour supporter les comportements déréglés de l’autre : « les personnes dépendantes perdant le sens moral finissent par perdre aussi les sentiments les plus délicats et en général les caractéristiques les plus positives de leur personnalité qui constituaient les qualités premières du sujet avant cette dépendance »[20].

Ce sont à tous ces cas et à bien d’autres que les officialités diocésaines et le tribunal de la Rote romaine sont de plus en plus confrontés[21].

Conclusion

             Comme on aura pu sans doute le remarquer au-delà de la complexité des situations qui demandent une connaissance technique de la science canonique et de ses implications multiples, il y a des êtres humains à secourir. Recourir à la justice de l’Eglise au cours d’un procès matrimonial peut être un précieux secours pour aider à guérir certaines blessures que connaissent des couples du fait de leur situation mais cela ne fait pas tout. On peut être parfois conduit à penser, quelle que soit la place que l’on occupe dans ce type de situations : partie, juge, avocat mais aussi tous ceux qui réfléchissent à ces cas douloureux « de mesurer, comme le dit St Jérôme, les commandements de Dieu selon notre propre faiblesse »[22]. A cette objection qui ressemble plus à une tentation d’ailleurs, il faut répondre avec toute la force possible que les plaies que l’homme est impuissant à panser et guérir, Dieu par sa grâce peut les changer en motif de gloire dans le Ciel en vue du salut des âmes. C’est à cette vérité de foi, à cette finalité, au service de cette mission de l’Eglise, que participe de façon très actuelle, quoique à sa place et avec d’humbles moyens,  la procédure de nullité matrimoniale.

[1] Voir par exemple l’épître aux Galates.

[2] Ce fut un point qui fut défini comme principe de la réforme du code au cours du premier Synode des évêques en 1967. Cf. Communicationes, I (1969), p.82 et suiv ; J. Llobell, Il sistema giudiziario canonico di tutela dei diritti. Riflessioni sull’attuazione dei principi 6° e 7° approvati dal Sinodo del 1967, in I Principi per la revisione del Codice di Diritto Canonico. La ricezione giuridica del Concilio Vaticano II, a cura di J. Canosa, Milano, 2000, p.501 et suiv. Le principe n.7 souhaite en effet que tout soupçon de jugement arbitraire soit écarté concernant l’administration ecclésiastique.

[3] Jn 8, 32.

[4]  Il s’agit de « la limite du pouvoir du Souverain Pontife en matière de mariage conclu et consommé, qui « ne peut être dissous par aucune puissance humaine ni par aucune cause, sauf par la mort » (CIC, can. 1141; CCEO, can. 853). Cette formulation du droit canonique n’est pas de nature exclusivement disciplinaire, mais correspond à une vérité doctrinale maintenue depuis toujours dans l’Eglise.Toutefois, l’idée se diffuse selon laquelle la puissance du Pontife Romain, étant vicaire de la puissance divine du Christ, ne serait pas l’une de ces puissances humaines auxquelles se réfèrent les canons mentionnés, et pourrait donc peut-être s’étendre dans certains cas également à la dissolution des mariages conclus et consommés. Face aux doutes et aux troubles qui pourraient en découler, il est nécessaire de réaffirmer que le mariage sacramentel conclu et consommé ne peut jamais être dissous, pas même par le pouvoir du Pontife Romain. L’affirmation contraire impliquerait la thèse qu’il n’existe aucun mariage absolument indissoluble, ce qui serait contraire au sens selon lequel l’Eglise a enseigné et enseigne l’indissolubilité du lien matrimonial » (S. Jean-Paul II, Discours à la Rote Romaine, 21 janvier 2000).

[5] « Dans la conception chrétienne, l’homme est appelé à adhérer à Dieu comme fin ultime dans lequel il trouve sa propre réalisation malgré tous les obstacles dans l’actuation de cette vocation à cause des résistances de sa concupiscence (Cfr. Concile de Trente: Denz.-Schönm. 1515). Les déséquilibres dont souffre le monde contemporain « sont à rapprocher d’un autre déséquilibre plus profond enraciné dans le coeur de l’homme » (Gaudium et Spes, 10). Dans le domaine matrimonial cela comporte comme conséquence que la réalisation de la signification de l’union conjugale, à travers le don réciproque des époux, ne devient possible qu’à travers un effort continuel, qui inclut aussi le renoncement et le sacrifice. L’amour entre les époux doit en effet se modeler  sur l’amour même du Christ qui « a aimé et s’est donné lui-même pour nous, s’offrant en sacrifice d’agréable odeur » (Eph. 5, 2; 5, 25) » (S. Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 5 février 1987) ; « L’aspect personnaliste du mariage chrétien comporte une vision intégrale de l’homme qui, à la lumière de la foi, assume et confirme tout ce que nous pouvons connaître par nos forces naturelles. Cette vision se caractérise par un sain réalisme dans la conception de la liberté de la personne, située dans les limites et les conditionnements de la nature humaine sur laquelle pèse le péché, et l’aide jamais insuffisante de la grâce divine. Dans cette optique, qui est propre à l’anthropologie chrétienne, entre aussi la conscience de la nécessite du sacrifice, de l’acceptation de la souffrance et de la lutte, comme des réalités indispensables pour être fidèles à ses devoirs. Dans le traitement des causes matrimoniales, serait donc totalement erronée une conception pour ainsi dire trop « idéalisée » du rapport entre les conjoints, qui pousserait à interpréter comme une authentique incapacité à assumer les charges du mariage la difficulté normale que l’on peut constater dans le cheminement du couple vers l’intégration sentimentale pleine et réciproque » (S. Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 5 février 1997).

[6] Le Synode d’octobre 2015, dans son rapport final s’est exprimé en ces termes au n.85 : « En outre, on ne peut nier que, dans certaines circonstances, « l’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées » (CCC, 1735) à cause de divers conditionnements. En conséquence, le jugement sur une situation objective ne doit pas porter à un jugement sur l’« imputabilité subjective » (Conseil Pontifical pour les textes législatifs, Déclaration du 24 juin 2000, 2a) » ce qui doit conduire le pasteur à redoubler de patience et de bonté tout en maintenant un esprit de vérité car « tout en soutenant une norme générale, il est nécessaire de reconnaître que la responsabilité quant à certaines actions ou décisions n’est pas la même dans tous les cas. Le discernement pastoral, tout en tenant compte de la conscience correctement formée des personnes, doit prendre en charge ces situations» (Rapport final du Synode des Evêques au Pape François, 24 octobre 2015).

[7] « La dimension canonique de la préparation au mariage n’est peut-être pas un élément immédiatement perceptible. En effet, d’une part, l’on observe comment, pendant les cours de préparation au mariage, les questions canoniques occupent une place peu importante, voire insignifiante, dans la mesure où l’on tend à penser que les futurs époux portent peu d’intérêt aux problématiques réservées aux spécialistes. D’autre part, bien que n’échappe à personne la nécessité des activités juridiques qui précèdent le mariage, visant à vérifier que «rien ne s’oppose à sa célébration valable et licite» (C. de D.C, can. 1066), il existe une mentalité diffuse selon laquelle l’examen des époux, les publications des bans et les autres moyens opportuns pour accomplir les enquêtes prématrimoniales nécessaires (cf. ibid., can. 1067), parmi lesquels se trouvent les cours de préparation au mariage, constitueraient des actes de nature exclusivement formelle. En effet, on considère souvent que, dans l’admission des couples au mariage, les pasteurs devraient procéder avec largesse, étant en jeu le droit naturel des personnes à se marier (…) Le droit de se marier, ou ius connubii, doit être considéré dans cette perspective. Il ne s’agit donc pas d’une prétention subjective qui doit être satisfaite par les pasteurs à travers une pure reconnaissance formelle, indépendamment du contenu effectif de l’union. Le droit de contracter un mariage présuppose que l’on puisse et que l’on entende le célébrer véritablement, donc dans la vérité de son essence, telle qu’elle est enseignée par l’Eglise. Personne ne peut vanter le droit à une cérémonie nuptiale. Le ius connubii se réfère, en effet, au droit de célébrer un authentique mariage. On ne nierait donc pas le ius connubi là où il apparaîtrait évident que ne subsistent pas les prémisses pour son exercice, c’est-à-dire si manquait de façon évidente la capacité demandée pour se marier, ou bien si la volonté se fixait un objectif qui est en opposition avec la réalité naturelle du mariage.» (Benoît XVI, Discours à la Rote Romaine, 22/01/2011).

[8] Il convient de rappeler à ce propos les différentes normes qui concernent les divorcés remariés : Familiaris Consortio, 22.11.1981, n.84, AAS 74, 1982, 185 ; Congregatio pro doctrina fidei, Epistula de receptione sanctae Eucharistiae a fidelibus qui post novas inierunt nuptias, 14.9.1994, in AAS 86, 1994, 974-979 ; voir aussi : Erklärung des päpstlichen Rates für die Gesetzestexte, 20.06.2000 in DC 97, 2000, p.700. Le synode de 2015 propose, quant à lui, un parcours d’accompagnement à la fois formatif et spirituel destiné à permettre à ces personnes de vivre selon les principes de la morale chrétienne : « Le parcours d’accompagnement et de discernement oriente ces fidèles à la prise de conscience de leur situation devant Dieu. Le colloque avec le prêtre, dans le for interne, concourt à la formation d’un jugement correct sur ce qui entrave la possibilité d’une participation plus entière à la vie de l’Église et sur les étapes à accomplir pour la favoriser et la faire grandir. Étant donné que, dans la loi elle-même, il n’y a pas de gradualité (cf. FC, 34), ce discernement ne pourra jamais s’exonérer des exigences de vérité et de charité de l’Évangile proposées par l’Église. Pour qu’il en soit ainsi, il faut garantir les conditions nécessaires d’humilité, de discrétion, d’amour de l’Église et de son enseignement, dans la recherche sincère de la volonté de Dieu et avec le désir de parvenir à y répondre de façon plus parfaite» (Rapport, op. cit., n.86). Saint Augustin, dès les premiers temps de l’Eglise conseillait déjà à ces personnes : «Qu’on ne s’effraie pas du fardeau de la continence ; il sera léger si on le porte pour Jésus-Christ, et on le portera pour Jésus-Christ si on s’inspire de la foi qui obtient de Celui qui commande l’accomplissement de ce qu’il ordonne. Qu’on ne se laisse point abattre devant cette pensée que la continence est le fruit de la nécessité et non le choix libre de la volonté. Est-ce que ceux qui l’ont embrassée volontairement ne s’en sont pas fait une véritable nécessité ? Peuvent-ils y renoncer sans se précipiter dans la damnation ? Que ceux donc pour qui la continence est une nécessité, fassent de cette nécessité un acte libre, et pour cela qu’ils se confient non pas en eux-mêmes, mais en Celui de qui procèdent tous les biens. Les uns ont embrassé la continence parce qu’elle est plus parfaite et mérite une gloire plus grande; les autres y ont trouvé un refuge et une dernière planche de salut ; que les uns et les autres persévèrent dans cette voie, qu’ils y marchent jusqu’à la fin, qu’ils s’embrasent de zèle, qu’ils multiplient leurs supplications, car là pour eux est le salut, qu’ils tremblent donc de tomber ; les derniers enfin ne doivent pas désespérer de parvenir à la gloire, s’ils restent fidèles par amour à cette continence que leur a imposée la nécessité » (De Coniugiis adulterinis, L. II, ch. XIX, n. 20, In Œuvres complètes de Saint Augustin, traduites pour la première fois sous la direction de M. Raulx, Bar-Le Duc, 1869, Tome XII).

[9] Il convient de remarquer à propos du récent motu proprio Mitis Judex, que même si la qualité principale de la procédure brève est précisément d’être rapide,  elle impose en même temps aux opérateurs de justice la plus grande diligence et attention: il y a, si l’on peut dire et sous ce rapport, moins de « droit à l’erreur ». En effet, la seconde condition pour déclencher une procédure brève selon nouveau canon 1683 retient qu’il doit s’agir d’une cause où « reviennent des circonstances de faits et de personnes, soutenues par des témoignages ou des documents qui ne nécessitent pas des recherches ou une enquête plus approfondie et rendent manifeste la nullité». Autrement dit, « ces circonstances de faits et de personnes » doivent être si bien connues et établies qu’il ne puisse s’agir en aucune manière d’une simple présomption du juge (celles-ci devant être conjecturées qu’à partir de faits certains et déterminés ayant un rapport direct avec l’objet du litige ; cf. can. 1586 et art. DC 216). Il ne s’agit donc pas que d’une pré-évaluation trouvant son fondement juridique dans le fumus boni iuris (bon droit requis avant de commencer un procès ordinaire et qui peut être établi par un bureau ou une personne qui ne fait pas partie du tribunal ; cf. DC art. 113 § 1), mais déjà d’une certitude morale (« rendent manifeste la nullité » dit le canon) qui autorise à utiliser ce type de procédure sinon il faudrait renvoyer la cause à l’examen ordinaire. Il faut avouer que d’expérience, ce type de situation aussi évidente arrive rarement et que c’est justement pour obtenir la certitude des faits allégués dans le libelle introductif de la cause que l’on recourt à la procédure judiciaire.

[10] S. Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 4 février 1980, AAS 72 (1980), p. 172-178, n. 6. Voir à ce sujet l’article de Mgr D. Le Tourneau, La protection de la vérité dans les discours de S.S. le Pape Jean-Paul II à la rote romaine (1979-2005) in http://www.dominique-le-tourneau.fr/LA-PROTECTION-DE-LA-VERITE-DANS.

[11] Hachette éducation, 1ère L/ES, p.170. On se reportera pour plus d’informations sur ces manuels à la brochure  publiée par la fondation Jérôme Lejeune, Théorie du genre et SVT, décryptage des manuels de 1ère, Clermont Ferrand, 2013.

[12] Voir à ce sujet Veritatis Splendor, n. 53 : « Si l’on remettait en question les éléments structurels permanents de l’homme, qui sont également liés à sa dimension corporelle même, non seulement on irait contre l’expérience commune, mais on rendrait incompréhensible la référence que Jésus a faite à « l’origine », justement lorsque le contexte social et culturel du temps avait altéré le sens originel et le rôle de certaines normes morales (cf. Mt 19, 1-9). Dans ce sens, l’Eglise « affirme que, sous tous les changements, bien des choses demeurent qui ont leur fondement ultime dans le Christ, le même hier, aujourd’hui et à jamais ».

[13] Pape FranÇois, Discours à l’occasion de l’inauguration de l’année judiciaire du Tribunal de la Rote Romaine, 23 janvier 2015.

[14] Cf. Relatio Synodi, octobre 2014, n. 10, 24.

[15] Le can. 1096 §1 du CIC va dans ce sens lorsqu’il demande un degré connaissance minimum sur le plan naturel pour contracter mariage : « Pour qu’il puisse y avoir consentement matrimonial, dit en effet le canon, il faut que les contractants n’ignorent pas pour le moins que le mariage est une communauté permanente entre l’homme et la femme, ordonnée à la procréation des enfants par quelque coopération sexuelle ». Le Code latin précise ensuite que « cette ignorance n’est pas présumée après la puberté », ce qui veut dire qu’elle devra être en principe démontrée sans qu’elle soit exclue a priori.

[16] Au sujet du lien entre erreur déterminante et exclusion voir coram Turnaturi, sent. diei 21 iulii 2005, RRDec., vol. XCVII, p.407 n. 19 et 20. La sentence concerne un cas similaire qui se rapporte à l’exclusion de la dignité sacramentelle, toutefois on entend ici des erreurs qui vicient principalement le consentement au niveau de la nature même du mariage.  En effet,  la qualité de la foi des époux en le sacrement de mariage  « n’est pas une condition essentielle du consensus matrimonial, qui, selon la doctrine de toujours, ne peut être touché qu’au niveau naturel (cf. CIC, can. 1055 1 et 2). En effet, l’habitus fidei est communiqué au moment du baptême et continue à avoir une influence mystérieuse dans l’âme, même quand la foi n’a pas été développée et semble psychologiquement absente. Il n’est pas rare que les futurs époux, poussés au mariage véritable par l’instinctus naturae, aient au moment de la célébration une conscience limitée de la plénitude du projet de Dieu, et que ce ne soit qu’après, dans la vie de famille, qu’ils découvrent tout ce que le Dieu créateur et rédempteur a établi pour eux. Le manque de formation dans la foi, ainsi que l’erreur à propos de l’unité, de l’indissolubilité et de la dignité sacramentelle du mariage ne vicient le consensus matrimonial que s’ils déterminent la volonté (cf. CIC, can. 1099). C’est précisément pour cela que les erreurs qui concernent la sacramentalité du mariage doivent être évaluées très attentivement » (Pape FranÇois, Discours à l’occasion de l’inauguration de l’année judiciaire du Tribunal de la Rote Romaine, 22 janvier 2016).

[17] Comme le rappelle la jurisprudence romaine l’acte d’exclure une propriété essentielle du mariage n’est pas un simple acte intellectuel, il doit descendre dans la volonté pour pouvoir toucher le consentement donc il ne s’agit pas de «iudicia, opiniones, dubia, praevisiones, sive imperfectae voluntatis motiones contra eadem matrimonii bona, sicut inclinationes, propensiones, desideria, dispositiones vel habitus voluntatis, cum ad formationem actus positivi voluntatis haud perveniant, eoque minus voluntatis inertia vel indifferentia erga memorata matrimonii bona» (c. Stankiewicz, 22 februariis 1996, RRTDec. LXXXVIII, p. 125, n. 16). L’acte d’exclusion doit avoir lieu : «in momento manifestationis consensus matrimonialis (…) modo actuali vel virtuali elicitum atque simplici forma aut conditione seu pacto vestitum — matrimonialem contractum nullum reddit» (c. Ragni, 4 iulii 1995, RRT Dec. LXXXVII, p. 455, n. 9). Ainsi par exemple, l’acte positif d’exclure les enfants est définie ainsi : « exclusio absoluta et perpetua, illis scilicet qui dum verba consensum exprimentia profert, firmum gerit propositum in perpetuum excludendi prolis generationem. Hoc sane in casu invalide contrahit » (c. Gianecchini, 28 marzo 1995, RRT Dec. LXXXVII, p. 254, n. 8). Ainsi l’acte positif de la volonté est identifié par la jurisprudence comme le propos ferme d’exclure la génération des enfants au moment de manifester le consentement. Il ne semble pas qu’il y ait comme un double acte de volonté : l’un qui voudrait le mariage et l’autre en même temps qui exclurait la génération des enfants et ainsi annulerait l’acte précédent. Au moment de l’exclusion il n’y qu’un acte de volonté qui se porte sur un objet erroné : un mariage qui exclut la génération des enfants, un mariage qui n’existe pas par nature.

[18] Toutefois, « les approfondissements qui concernent la complexité et les conditionnements de la vie psychique ne doivent pas faire perdre de vue cette conception de l’homme, appelé par Dieu et sauvé de ses faiblesses par l’action de l’Esprit-Saint (Gaudium et Spes, 10 et 13), cela en particulier lorsqu’on veut définir une authentique vision du mariage, voulu par Dieu comme institution fondamentale pour la société et élevé par le Christ comme source de grâce et de sanctification » (S. Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 5 février 1987).

[19] «Cannabis Dependence and Abuse usually develop over etablish an extended period of time. Those who become dependent typically etablish a pattern of chronic use that gradually increases in both frequency and amount (…) A history of Conduct Disorder in childhood or adolescence and Antisocial Personality Disorder are risk factors for the development of many Substance-Related Disorders, including Canabis-Related-Disorders” (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition. DSM IV, p.220. Pro aliis psychologis necessitudo cannabis in persona concitat perturbationes anxietatis, formidinis, delirationis, etc..;, uti aggravat condiciones psychicas et mentales: “dans certains cas, surtout lorsque l’intoxication a lieu dans des conditions d’insécurité ou sur une personne fragile, le tableau clinique comporte des manifestations anxieuses (…) et peut aboutir, au maximum, à une réaction psychotique aiguë avec troubles de jugement, mode de pensée persécutoire et conduites agressives“ (J.D. Guelfi – P. Boyer – S. Consoli – R. Olivier Martin, Psychiatrie, PUF, Paris, 1987, p.573) » (c. Alwan, 15 novembris 2005, RRTDec. XCVII, p. 572, n. 11).

[20] D. De Caro, Trattato di psichiatria, Torino, 1979, p.366 in una coram Boccafola, 20 octobris 2005, RRTDec. XCVII, p. 536, n. 4).

[21] Des statistiques encore récentes montrent que 80% des causes introduites dans le monde obtiennent la nullité en première instance et 96% en seconde. Quant aux motifs de nullité, cette recherche faisait état, malgré les efforts de la Signature Apostolique de ces dernières années pour atténuer ces résultats d’une « fréquence absorbante et totalisante » du motif d’incapacité pour cause de nature psychique (Massimo del Pozzo, Statistiche delle cause di nullità matrimoniale 2001-2005 in Verità del consenso e capacità di donazione a cura di Héctor Franceschi e Miguel Ortiz, Roma, 2009). Il y a sans doute un fondement dans notre réalité sociétale qui explique ses résultats mais il y a aussi la tendance de nombreuses officialités, spécialement outre-Atlantique à considérer ce type de nullité comme un « fourre-tout ».

[22] Commentaire sur St Mathieu, L.1, ch.5.