Justice et miséricorde chez S. Grégoire le Grand – Abbé Jacques-Yves Pertin

Justice et miséricorde dans le Registre des Lettres de Saint Grégoire le Grand

 

conférence tenue MARDI 17 MAI 2016, TOULOUSE, Institut Catholiqu

par Abbé Jacques-Yves Pertin, Avocat à la Rote Romaine,

cabinet.lesquilin@yahoo.fr

tel. : 07 51 64 52 54.

Sommaire: Intérêt de la question et problématique. 1. La miséricorde comme propre de Dieu : 1-1. Miséricorde et toute-puissance de Dieu. – 1-2. Miséricorde divine et pardon des péchés.– 2. Miséricorde dans la société ecclésiale: 2-1. Le pasteur, « maître ès miséricorde » – 2-2. L’équité canonique, perfection du juste gouvernement ecclésial – Conclusion.

            Intérêt de la question et problématique

 

Depuis quelques années déjà, chez certains spécialistes en droit canonique est apparue la nécessité de redonner ses lettres de noblesse à la juridicité de l’Eglise, en la confrontant à la définition classique du droit c’est-à-dire à « ce qui est juste », à « ce qui est juste dans l’Eglise » essayant de reproposer une véritable théorie fondamentale du droit canonique. Partant de là, et pour tenter de dépasser des anti-juridismes qui ont la vie dure à l’intérieur de l’Eglise, il convenait justement de s’attacher à montrer par le biais d’études spécifiques notamment sur les écrits de certains auteurs anciens comme ceux de S. Grégoire-le-Grand par exemple, que le droit de l’Eglise est donc non seulement un vrai droit mais qu’il est surtout une réalité intrinsèque à l’Eglise elle-même.

Ainsi, la justice dans l’Eglise ne se limitant pas à un ensemble de règles, ce qui intéresse notre sujet se trouve plutôt sur le plan des motivations qui causent le droit dans l’Eglise. C’est dans ce sens qu’est abordé ici l’ensemble de la correspondance de S. Grégoire ou Registrum qu’on peut qualifier de véritable « jurisprudence grégorienne»[1]. C’est dans cette approche de théorie fondamentale que j’aborderai donc le thème qui m’a été confié aujourd’hui : justice et miséricorde dans les Lettres de S. Grégoire le Grand.

               Le fait que « toute œuvre de justice divine présuppose toujours une œuvre de miséricorde et se fonde sur elle » peut parfois provoquer de sérieux malentendus dans la compréhension du droit ecclésial comme par exemple l’absorption systématique du concept de justice dans celui, vague et mal défini de miséricorde[2]. S’il est indubitable que la racine première de toute oeuvre de Dieu doit être recherchée dans sa miséricorde, il est clair que tout ce qui a été donné gratuitement, par pure miséricorde divine donc, peut ou doit être en conséquence exigé en justice dans le cadre de la société ecclésiale qui ne fait que transmettre le don premier totalement divin et gratuit du salut[3]. C’est donc, on l’aura compris, davantage le propre de Dieu d’être miséricordieux que celui des hommes d’où le premier emploi du mot miséricorde chez Grégoire[4].

1. La Miséricorde comme propre de Dieu

Sur un plan terminologique, le mot miséricorde n’est que peu représenté dans le Registre : environ 54 fois[5] pour les 847 lettres du Registre ; il l’est si peu que les tables analytiques que nous possédons, en particulier celle très fournie de Ewald-Hartmann, ne recensent pas même cette clef de lecture[6]. Il ne semble pas non plus y avoir de monographie ou d’article ayant traité du sujet.

Ainsi, sur  cette cinquantaine de références littérales à la miséricorde que compte le Registre, 32 se rapportent à la miséricorde de Dieu, soit la majeure partie, comme si saint Grégoire n’avait préféré attribuer cette vertu de miséricorde qu’à Dieu seul[7].

1.1.   Miséricorde et toute-puissance divine

Dans un tel contexte, le mot de miséricorde apparait en premier lieu, dans des souhaits que le saint docteur adresse à ses correspondants comme par exemple celui-ci : « Et nous prions Dieu tout-puissant qu’il vous protège par sa miséricorde »[8]. Il est à remarquer, dans cette première catégorie, que Grégoire adjoint le plus souvent à la miséricorde la toute-puissance divine : il souhaite en effet des biens qui ne peuvent être obtenus que par la toute-puissance créatrice de Dieu  et qui contrastent singulièrement avec l’indigence humaine.

Le bien souhaité le plus fréquemment et aussi le plus fondamental est d’abord celui de la vie[9] ou de la santé[10], dont Dieu seul est le maître. A l’ex-prêteur Libertinus, il écrit « Nous sommes poussés plus intensément à prier la miséricorde du Dieu tout-puissant pour la vie de votre Gloire»[11]. C’est le même souhait qu’il adresse à la reine des Francs Brunehilde avec en prime l’idée que les rois détiennent de Dieu non seulement leur vie mais encore leur pouvoir: « Nous prions la miséricorde du Dieu tout-puissant afin qu’il vous conserve en sa protection sur la terre et de même qu’il vous fait régner en ce monde parmi les hommes, vous puissiez aussi, et après de nombreuses années de vie terrestre, régner dans la vie éternelle »[12]. La protection des bons gouvernants est d’ailleurs un gage de la miséricorde divine envers la chose publique elle-même : « qu’il protège Votre Eminence dans sa miséricorde, écrit-il à l’exarque Gennadius, pour l’assistance de la Sainte République »[13].

Presque à la manière d’une oraison liturgique, le Pape souhaite ensuite à l’ex-préfet Maurilionus cet autre bien qu’est la protection de Dieu, non seulement dans la vie mais aussi dans les œuvres, qu’il soit libéré de toute embûche : « Que Dieu tout-puissant vous protège par la grâce de sa miséricorde et vous délivre de toute adversité et vous garde indemne »[14]. De la même manière, il espère qu’un groupe de Juifs catéchumènes puisse arriver au baptême « avec la protection de la miséricorde du Dieu tout-puissant »[15].

Grégoire recommande à la miséricorde divine ceux aussi qui demandent ou reçoivent une grâce, tel l’évêque Colombus pour qui, dit-il, « je me réjouis beaucoup de tes mérites (…). Comme je sens que cela t’est accordé par la majesté divine, je t’en félicite, et je bénis de toutes les manières Dieu notre créateur qui ne refuse pas les dons de sa miséricorde à ses humbles serviteurs »[16]. Pour l’évêque Dominicus, Grégoire écrit que c’est non seulement un don de la miséricorde de prêcher mais mais c’est aussi un don « d’accomplir ce qui a été prêché par nous»[17]. Tout ce qui arrive dans la vie humaine donc, depuis la naissance d’un homme en passant par sa conservation dans le bien selon la pensée de Grégoire doit être objet de la miséricorde divine[18] jusqu’aux saints désirs qui doivent être comblés par les prévenances de Dieu comme ceux de Callinicus, exarque d’Italie désirant faire un pélerinage à Rome et à qui Grégoire souhaite que la miséricorde de Dieu tout-puissant exauce sa pieuse résolution[19].

1.2.   Miséricorde divine et pardon des péchés

La miséricorde de Dieu ne se révèle pas simplement dans la toute-puissance créatrice mais elle éclate davantage dans le pardon des péchés[20]. Grégoire ne dissimule pas cette réalité, « suppliant la miséricorde de Dieu que nous soyons enfin libérés de nos péchés »[21].  Ce qui tire ordinairement l’homme de son péché et des cataclysmes qu’ils provoquent est donc la divine miséricorde. La ville de Narni, par exemple, est menacée, écrit Grégoire, « à cause de ses péchés » d’une épidémie mortelle : « ainsi ou bien la miséricorde divine viendra en aide [à ses habitants] pour se convertir dès cette vie, ou bien s’il arrive qu’ils meurent, que ce soit absous de leurs fautes, ce qui est encore plus désirable »[22]. De même, pour se préserver du « fléau des barbares incrédules » (« flagellum perfidarum gentium ») provoqué par l’action des mauvais (« sceleratorum actione ») il recommande à la reine des Francs Brunehilde de se « hâter de se convertir à la miséricorde de Notre Rédempteur »[23]. « Personne n’est sans péché, écrit-il à l’évêque de Carthage Dominicus, rappelons-nous des flatteries de nos pensées, des intempérances de notre langue, des œuvres peccamineuses et, autant qu’il nous est possible, lavons les souillures de nos iniquités par beaucoup de prières afin que notre Rédempteur, juste et bon ne nous punisse pas selon nos mérites mais se laisse fléchir au pardon selon sa miséricorde »[24]. Remarquons que la miséricorde de Dieu considérant avant-tout son pouvoir suprême, c’est elle qui a ici le dernier mot et non sa justice qui regarde les mérites déficients des hommes[25].

Ces derniers exemples sont explicites : aller à la miséricorde signifie une conversion qui inclut la crainte nécessaire du châtiment divin : si ses interlocuteurs veulent éviter les effets de leurs péchés que sont les épidémies, les invasions des « barbares incrédules » ou que Dieu use de sa justice pour les rétribuer strictement selon leurs mérites, alors il n’ont qu’à se convertir. Il n’est pas inintéressant de remarquer que, pour Grégoire, être objet de la miséricorde de Dieu implique le fait d’être exposé à un danger réel, d’en être conscient et enfin de reconnaître sérieusement que Dieu, puisqu’il s’agit de sa miséricorde et que précisément sa miséricorde ne saurait qu’être gratuite, Dieu n’est pas obligé de l’accorder si on ne la lui demande pas. Grégoire demande précisément cette peur salutaire en cette vie : « nous supplions la miséricorde de notre Dieu que, nous étant propice, il dispose notre vie dans sa crainte afin que nous puissions le servir ici en tant que prêtres et nous présenter dans le futur à ses côtés sûrs et sans peur »[26]. Etre délivré de toute peur vaut pour l’autre vie, là où le péché n’est plus possible et ne risque plus de compromettre le salut de l’âme.

Cette gratuité de la miséricorde (et donc en filigrane cet aspect risqué du salut) est affirmé clairement quand, au moment de faire venir à Rome des évêques schismatiques qui craignent de venir voir le Pape, Grégoire leur écrit : « si la miséricorde divine touche votre cœur»[27] , alors ils seront d’accord mais si cette grâce ne leur est pas donnée (peu importe pourquoi d’ailleurs) alors ils pourront retourner chez eux sans crainte pour leur vie. Ceux qui ont eu, parmi les schismatiques, la grâce spéciale de se convertir, c’est en fin de compte à la miséricorde de Dieu qu’ils la doivent (ils ont risqué de ne pas se convertir mais Dieu gratuitement leur a fait cette grâce) :  comme ce « Jean, homme pieux, (…) [qui] s’est converti par la miséricorde de Dieu de l’erreur des Istriens, revenu à l’unité de la Sainte Eglise »[28]. Grégoire respecte la grâce de Dieu à l’œuvre dans le cœur des hommes.

La miséricorde divine considérée en elle-même est tout le contraire d’un droit, idée qui contraste singulièrement parfois avec la mesquinerie des correspondants de Grégoire qui voudraient pour le confondre s’appuyer sur leur autorité terrestre, sur leur justice humaine, sans faire état du dominium divin: « pécheur et indigne, répond-il alors à l’empereur Maurice, je fais plus confiance en la miséricorde de Jésus qui va venir que dans la justice de votre Excellence (…) demandant au même Seigneur tout-puissant qu’il gouverne par sa main, ici, le très pieux empereur, et que ce terrible Jugement le trouve exempt de tout péché»[29]. Il y a de l’ironie dans ses propos mais il y a aussi la reconnaissance de la préséance absolue de la miséricorde divine sur toute œuvre de justice humaine.

A ceux qui seraient tentés de désespérer par l’excès de leurs péchés comme Gregoria femme de chambre de l’impératrice, Grégoire réaffirme ce propos tout en l’adaptant: « J’ai reçu la lettre (…) dans laquelle vous vous employez à vous accuser d’une multitude de péchés. Mais je sais que vous aimez avec ferveur le Dieu tout-puissant et je suis sûr que, dans sa miséricorde, de la bouche de vérité vous est venue cette parole prononcée à l’égard d’une femme vénérable : ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé »[30]. Pareillement, la persévérance finale fait partie de ces grâces complètement gratuites concédées par la divine miséricorde : « personne ne peut aspirer au désir [de la vie éternelle] sans la grâce de la miséricorde divine»[31]. Entendons : puisque vous la désirez, c’est déjà le fruit de la miséricorde en vous.

Grégoire ne se voile pas la face et sait qu’il s’expose lui-même en raison de sa charge au jugement divin ; à deux évêques schismatiques d’Istrie, il affirme : « Veillons donc à ce que rien ne se perde ; et si par hasard quelque chose avait été pris, ramenons-le au troupeau du Seigneur par les mots même des divines Ecritures, afin que Celui qui est le pasteur des pasteurs daigne, dans sa miséricorde, reconnaître, dans son jugement, que nous avons bien veillé à sa bergerie »[32]. Ceux qui sont justement rentrés dans le giron de l’Eglise sont invités par une promesse à jurer que « sur l’instigation de personne  et de quelconque autre façon, [ils ne retourneront] au schisme duquel [ils ont] été arrachés par la miséricorde rédemptrice qui libère »[33]. Quant à ceux qui sont tentés par l’exemple du mal qu’ils ont on sous les yeux, Grégoire, tel un précurseur de la voie d’enfance, indique le remède de la miséricorde divine et spécialement de la confiance en elle : « Ne cherchez pas à acquérir quelque chose par des moyens illicites – rien avec le péché – comme si c’était inéluctable, mais mettant votre espérance dans la miséricorde de notre Rédempteur qui n’abandonne aucun de ceux qui lui font confiance, supportez patiemment les dommages que vous avez subis »[34]. La vraie confiance en la miséricorde divine exclut à la fois le péché de la conduite de l’homme comme elle incluait tout-à-l’heure en elle la peur du châtiment.

Elle renforce pour finir l’espérance du chrétien qui se trouve contrarié par toute sorte de souffrances car « confiants dans sa miséricorde », il supporte avec patience toutes les adversités « parce que nous souffrons beaucoup moins de ce que nous mériterions »[35]. Aucune situation de la vie humaine pas même la plus désespérée ne doit détourner l’homme de la miséricorde divine[36], véritable « certitude » qui invite l’homme à une espérance qualifiée d’ « incontestable »[37] et d’« unique consolation »[38].

 

2. Miséricorde dans la société ecclésiale

Si S. Grégoire attribue le plus souvent la miséricorde à Dieu, il emploie aussi ce terme, quoique beaucoup plus rarement, pour désigner pour ainsi dire deux vertus ecclésiales : la compassion et l’équité canonique.

2.1.   Le pasteur, « maître ès miséricorde »

Grégoire, dans sa lettre synodale, qui est comme le programme de son pontificat identifie dans le pasteur miséricorde et compassion : il s’agit d’un « pâtir avec » l’autre. Ce sentiment est typiquement humain puisque Dieu, même s’il est éminemment miséricordieux quand il est considéré du côté de l’efficacité de son amour, ne saurait subir en lui les changements dus aux passions ou aux émotions si on le considère cette fois uniquement sous le jour de la divinité[39]. Le pasteur, lui aussi, à l’image de Dieu étant comme sa « main miséricordieuse »[40], sera « proche de chacun par la compassion » « recteur en miséricorde »[41] mais cette possibilité cette puissance de compassion ne devra toutefois pas être irrationnelle[42] au point d’être un « amor emolliens »[43], comme le dit saint Grégoire, un amour qui ramollirait l’agir juste et tomberait dans le sentimentalisme, ne considèrant plus en premier lieu la réalité de la chose juste mais uniquement les émotions que celle-ci produit. Grégoire dénonce très fortement cette fausse miséricorde qui va à l’encontre de la justice à l’occasion d’une lettre qu’il envoie à l’évêque Jean de Ravenne qui se proposait de porter secours à des schismatiques sans considérer que son devoir était d’abord de secourir ses frères dans la foi : « A propos de ce que vous dites, qu’une aumône doit être envoyée à la cité incendiée du schismatique Sévère, si votre Fraternité pense ainsi, c’est qu’elle ignore les présents qu’il envoie contre nous au Palais [voilà argument d’ordre particulier]  Même s’il ne les envoyait pas, [voilà le principe général] il faudrait considérer qu’on doit exercer la miséricorde d’abord envers les fidèles avant de le faire pour les ennemis de l’Eglise »[44]. La miséricorde sous-entend un ordre dans l’administration pratique de celle-ci : il y a un ordre dans la charité que l’Eglise a toujours revendiqué.

Le caractère rationnel de cette compassion est encore mis en évidence dans le fait qu’elle doit justement pousser le pasteur à accomplir des œuvres de justice. Grégoire se plaint souvent de l’inertie des pasteurs, voir de leur injuste négligence : parmi tant d’autres, Paschase, évêque de Naples «est tellement paresseux et négligent en tout, qu’on a du mal à croire qu’il est évêque»[45]. Dans une autre lettre, toujours à propos de cet évêque qui, décidément, ne s’est pas amendé entre temps, Grégoire pointe du doigt une certaine lenteur dans l’action, une torpeur[46]. «Nous n’avons pas reçu le nom de pasteur pour nous reposer», pour «rester assis», tempête-t-il : «les mous et les paresseux se dirigent  tout droit vers le châtiment»[47] et avec eux conduisent en Enfer ceux qui sont sous leur responsabilité[48]. La miséricorde comprise en ce sens doit être un « moteur »[49] qui pousse à soulager les misères souvent corporelles, parfois spirituelles, de ceux qui se trouvent en état de nécessité (à commencer par ceux qui sont les plus proches). Voici quelques exemples.

Une veuve était maltraitée probablement par des membres de sa famille parce qu’elle détenait certains biens illégalement à cause de son indigence. Grégoire s’étonne « que son humble état de veuve se trouve ne pas provoquer [de] miséricorde » (on dirait aujourd’hui de pitié)[50]. Au sous-diacre de Campanie qui doit gérer cette affaire et qui, semble-t-il,  a tardé, Grégoire explique qu’il ne s’agit pas, en portant secours à cette femme d’aller contre la justice, bien au contraire : « De même que nous ne désirons pas bousculer dans les procès les privilèges des laïcs, de même nous voulons que tu leur résistes avec une autorité pleine de mesure quand ils portent préjudice. Contenir la violence des laïcs n’est pas agir contre la loi, c’est porter secours à la loi »[51]. Donc agir avec pitié ici aurait permis de faire plus rapidement œuvre de justice.

Autre exemple : l’évêque Félix de Sipontum tarde à rembourser un des ses clercs qui a été enlevé et réduit en captivité et qui a dû emprunter de l’argent pour obtenir sa libération. Le prélat est épinglé car il ne respecte pas les lois qui ont été clairement énoncées par l’autorité : « les décisions des saints canons et des lois civiles ont montré clairement la façon dont il faut venir en aide au rachat des captifs », passe encore[52]. Mais, pour Grégoire, ce qui ne passe pas c’est que l’évêque n’ait pas eu le moindre sentiment de compassion qui l’aurait aidé à faire justice: « Comme cela est connu de tous, nous sommes étonnés que Ta Fraternité ne se soit laissée émouvoir par aucune miséricorde pour subvenir au rachat de ton clerc Tribunus »[53].

Un dernier exemple concerne le cas de l’aveugle Philagrius, déjà en contentieux avec son évêque, l’évêque de Gênes, pour une question patrimoniale, et qui s’était trouvé obligé, bien qu’aveugle et pauvre et pour cela  « plus digne de miséricorde », de participer à une collecte au même titre que tous les habitants de la ville[54]. Grégoire écrit à l’évêque que non seulement l’on n’exige pas cela de lui « parce qu’il est vraiment inhumain d’affliger [cela] à une personne qui doit déjà supporter le poids de la cécité » mais qu’il faudrait bien plutôt subvenir aux nécessités de cet homme, lui faisant miséricorde, en lui octroyant une partie de cette collecte[55]. La miséricorde ici encore aurait dû faire accomplir à cet évêque ce que déjà la justice lui imposait, c’est-à-dire ce à quoi le fléau de la cécité l’invitait déjà abondamment : « observer la justice »[56].

A la suite de ces exemples, on peut noter que Grégoire n’introduit pas de dialectique entre justice et miséricorde. Bien au contraire, on peut observer qu’elle vient en aide à la justice (elle est comme une ancilla iustitiae) en provoquant l’administrateur au niveau des passions à faire ce qui, intellectuellement, est juste et qui peut parfois être rendu difficile du fait de la paresse, de la négligence ou d’autres défauts de ce même administrateur. Ainsi, bien dirigé, ce mouvement de miséricorde est occasion de mérite pour le ciel : « Tout ce qui est accompli avec miséricorde et pour un motif de piété vient ici-bas en aide à son auteur et lui apporte la récompense désirée au jour de la rétribution »[57].

Enfin, la connaissance des misères spirituelles du prochain doit justement fortifier le pasteur dans le bien malgré les tentations qui l’assaillent pareillement : en effet, « le pasteur ne doit pas craindre cela, parce que, Dieu pesant exactement toutes choses, il est d’autant plus facilement délivré de sa propre tentation qu’il prend de la peine avec plus de miséricorde du fait de la tentation d’autrui »[58]. Encore une fois c’est la miséricorde qui aide à persévérer dans l’ordre juste. Le pasteur doit être, selon les termes de cette lettre synodale, certes docteur en compassion mais, dans le même temps, il doit se tenir ferme dans le zèle de la justice « per zelum iustitiae erectus »[59].

2.2 L’équité canonique, perfection du juste gouvernement ecclésial

Un emploi dans le Registre encore plus restreint du mot miséricorde concerne ce qu’il convient d’appeler une tempérance de la justice. Elle trouve son expression particulièrement surtout dans des domaines  pratico-pratiques comme celui de l’application des peines: «il Nous convient d’être plus miséricordieux que sévère (…) de faire œuvre de justice plus par la miséricorde que par la sévérité»[60], écrit en effet Grégoire au sujet d’un clerc qui s’était tu à tort dans une cause qui impliquait son évêque. C’est que la miséricorde vient ici adoucir la sévérité des peines et perfectionner l’application de la justice du Pape, lui faisant considérer toutes les circonstances dans lesquelles se trouve actuellement le coupable, ce qu’il exprime tout de suite après : «Nous croyons que l’affliction qu’il a subie à partir du moment où a été émise la sentence peut suffire comme châtiment de cette faute »[61]. Afin que la loi ne devienne pas odieuse pour une personne qui a été en quelque sorte déjà châtiée par une justice immanente, la miséricorde dicte des normes de modération dans l’exécution de la peine. Là encore ce type de miséricorde ne prend pas le dessus sur la justice mais lui donne en quelque sorte toute sa perfection, c’est ce qu’on appellerait plus volontiers aujourd’hui l’équité canonique[62].

Un autre exemple de cette même idée concerne Démétrius de Naples. Evêque de la ville, il avait été déposé pour des crimes très graves (que nous ignorons) : dans ce cas encore, le rôle de la miséricorde est clairement mis en contraste avec la gravité objective du crime commis: «s’il avait été jugé sans miséricorde selon l’importance de ses forfaits, il aurait été puni d’une mort très cruelle par les lois divines et humaines»[63]. Il semble que l’évêque n’ait dû d’être encore en vie qu’à la miséricorde du Pape[64]. Mais là encore, la mort aurait eu un caractère odieux en se surajoutant à la pénitence déjà subie et à la privation du sacerdoce qui est déjà une peine très lourde dans l’Eglise : donc pas d’injustice[65].

Toujours sur le plan pratico-pratique, celui des biens temporels cette fois, Grégoire, énonce le principe légal : «même si la loi ne permet pas d’aliéner ce qui est entré en possession de l’Eglise», les biens de l’Eglise étant en effet ceux de Saint Pierre, «il faut pourtant, quelquefois assouplir la rigueur du principe, là où la miséricorde nous y invite». Grégoire justifie sa décision de faire miséricorde: «dans le doute il vaut mieux ne pas suivre la rigueur mais plutôt balancer vers la générosité, surtout si la cession d’une petite chose ne pèse en rien sur l’Eglise et surtout si c’est un geste de piété en faveur d’un orphelin et d’un pauvre»[66]. Si entorse à la loi il y a, il n’y a pas de justice amoindrie, car c’est précisément la justice qui pousse à répartir des biens de premières nécessités qui, par un principe supérieur, sont à la disposition de tous. Il faut noter également que Grégoire sait disposer d’un pouvoir sur les lois positives ecclésiastiques, pouvoir qu’il reconnait en même temps ne pas avoir sur les lois naturelles ou divines, en tant que subordonné au Christ[67].

A ce propos, Grégoire est tout-à-fait conscient des limitations de son pouvoir quand il rappelle, par exemple, le précepte naturel d’indissolubilité du mariage même en cas de vocation religieuse : «même si les lois de ce monde disposent que, pour un motif d’entrée en vie religieuse, le mariage peut être dissous même lorsque le conjoint y est opposé, la loi divine, elle, ne permet pas cela. Excepté le cas de fornication, la loi divine ne concède pas à l’homme d’abandonner son épouse pour quelque motif que ce soit, parce qu’après l’union matrimoniale le corps de l’homme et de la femme sont devenus un seul corps»[68]. Grégoire affirme que la «mundana lex» ne doit pas être suivie lorsqu’elle s’oppose à la «divina lex» («un seul corps»), toute loi n’ayant en effet raison de loi  que dans la mesure où elle dérive de la loi naturelle : «si en effet, l’on affirme que les mariages doivent être dissous à cause de la vocation religieuse, il faut savoir que ce que la loi humaine a concédé, la loi divine l’a prohibé. La vérité incarnée dit elle-même : « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare point »»[69].

 Parmi les limites que le droit divin positif impose à Grégoire on peut mentionner par exemple le respect des «droits de chaque évêque»[70], «l’honneur dû à chacun d’eux»[71] mais aussi les «compétences» des laïcs «ex terrena potestate» car «c’est un fait très grave que les évêques s’arrogent contre l’antique coutume quelque chose qui aille contre les compétences des laïcs[72]. Ces devoirs du Pape font le pendant à ses droits qu’il a dû défendre avec acharnement contre le fameux Patriarche de Constantinople qui se proclamait «Patriarche œcuménique» ou contre l’Empereur. L’Eglise à l’instar de l’évêque de Messine «vit de la loi de Dieu et non de celle du monde»[73].

Grégoire conçoit du reste comme un désordre du bien commun ecclésial le non-respect des lois émanées par l’Eglise : « la sévère législation de l’Eglise est troublée si on ose faire à la légère ce qui n’est pas licite »[74].

Conclusion

Comme il a été dit au début de cette étude, la miséricorde pour Grégoire, ne peut absorber la justice, pas plus que la justice ne devrait se rigidifier au point de nier toute miséricorde. Grégoire ne confond pas les deux ordres qu’il sait distinguer selon le type de loi qu’il doit appliquer: « j’aime les hommes pour la justice, mais je ne mets pas la justice de côté pour plaire aux hommes »[75] : l’amour ne peut se substituer à la justice mais la justice, dans le gouvernement ecclésial, doit être opérée avec miséricorde, caractéristique plus divine qu’humaine.

C’est aussi, pourrait-on dire, chez lui un style de gouvernement car ceux qui s’adressent au pasteur doivent pouvoir trouver « le secours du sacerdoce et la charité d’un père »[76]. Il ne s’agit pas de sentiments seulement. Ainsi, au duc de Sardaigne Theodorus il écrit : «nous estimons nécessaire, par charité paternelle d’exhorter Votre Gloire à s’employer volontiers aux causes pieuses tout en sauvegardant la justice »[77]. Si miséricorde il y a, cela ne peut être sans la justice. Conscient qu’il avait à transmettre quelque chose qui ne lui appartenait pas en propre et qui sont les biens du Seigneur, ce que désirait ardemment Grégoire, ce qui émane de ses Lettres de gouvernement et qu’on a tenté d’exposer ici, c’est que l’« on ne concède rien au pouvoir [des hommes] mais tout à la justice » [78] , qu’en fin de compte, « rien ne détourne de la justice » la société ecclésiale pas même une miséricorde qui serait plus humaine que divine[79].

[1] Ce jugement est corroboré par le fait que les Lettres de St Grégoire se sont conservées et ont été transmises avec des « préoccupations clairement juridiques » à la fois comme un corps autonome et au travers des collections canoniques comme le souligne Bruno Judic (Le Registre des Lettres de Grégoire le Grand : une création carolingienne ? in L’étude des correspondances dans le monde romain de l’Antiquité classique à l’Antiquité tardive : permanences et mutations, Lille, 2011, p.510).

[2] « L’œuvre de la justice divine présuppose toujours une œuvre de miséricorde et se fonde sur elle. Car rien n’est dû à la créature, si ce n’est en raison de quelque chose qui préexiste en elle, ou que l’on considère tout d’abord en elle ; et si cela est dû à la créature, ce sera en raison d’un présupposé encore antérieur. Ne pouvant aller ainsi à l’infini, on doit arriver à quelque chose qui dépend de la seule bonté de la volonté divine, laquelle est la fin ultime. Comme si l’on disait qu’avoir des mains est dû à l’homme en vue de son âme raisonnable ; avoir une âme lui est dû pour qu’il soit un homme, mais être un homme, cela n’a pas d’autre raison que la bonté divine. En toute œuvre de Dieu apparaît donc, comme sa racine première, la miséricorde » (Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I,21/4).

[3] Notons que c’est par l’appellation juridique de Testament que l’on désigne la transmission de l’oeuvre du salut. C’est donc en quelque sorte le bien fondé du droit dans l’Eglise qui est concerné ici : en effet, l’acte de transmettre le salut, n’est pas en soi un acte de charité mais d’abord un acte de justice car précisément cette transmission est un acte dû par l’Eglise à Dieu le testateur, et aussi un acte dû aux destinataires de ce testament : les fidèles de l’Eglise mais aussi tout homme. Le code actuel a bien mis en valeur cet état de choses en parlant du droit pour le fidèle « de recevoir des pasteurs les aides qui découlent des biens spirituels de l’Eglise, surtout la parole de Dieu et les sacrements » (can. 213), c’est même la suprema lex  de l’Eglise (can. 1752) et sa théorie pour ainsi dire, la plus fondamentale du droit.

[4] « c’est davantage le propre de Dieu d’être miséricordieux et de pardonner que de punir, à cause de son infinie bonté. Être miséricordieux convient à Dieu par sa nature même ; être justicier lui convient à cause de nos péchés » (ibid, I,21/2).

[5] I, 24 ; 26 ; 33 ; 73; 74; II, 2 ; 3 ; 24 ; 38; 39; 43; III, 5 ; 15; 28; 42; 47;  IV, 17 ; V, 30; 36 ; 46 ; 56 ; 57;  VI, 7; 19 ; 47; VII, 22 ; 33; VIII, 4 ; 15 ; 23 ; 34;  IX, 28 ; 29; 48;  64; 68; 74; 115; 155; 225; 235; 240; X, 10 ; 12;  20;  XI ,23; 31; XI, 48; 56a (MGH) ; XII, 1; 2; 7; 13; XIII, 23 ; 32; 40 ; Appendice, IV.

[6]La numérotation utilisée est celle de l’édition Norberg (Gregorii Magni Registrum epistularum. éd. latine D. Norberg – Coll. Corpus Christianorum. Series latina, 140-140A – 2 vol., Turnhout, 1982), plus récente, quoique l’édition Ewald-Hartmann (Gregorii I Papae Registrum epistularum. éd. latine P. Ewald- L. Hartmann – Coll. MGH –  2 vol., Berlin, 1891-1899, reprint en 1992) reste encore une référence, ne serait-ce que pour sa table analytique, toujours d’un précieux secours.

[7] I, 74; II, 2 ; 24 ; 39; III, 47;  V, 36 ; 46 ; 56; VI, 19 ; 47; VIII, 4 ; 23 ; 34;  IX, 28 ; 29;  64; 68; 74; 115; 155; 225; 240;  X, 10 ; 12;  20;  XI, 31 ; XII, 1; 7; 13; XIII, 23 ; 32 ; Appendice, IV.

[8] IX, 155: « Et oramus omnipotentem Deum ut sua vos misericordia protegat ».

[9] I, 74 ; VIII, 4 ; IX, 28; 154; 240.

[10] II, 24; IX, 240.

[11] ; IX, 28 : « et nos pro gloriae vestrae vita omnipotentis Dei misericordiam exorare enixius invitemur ».

[12] VIII, 4: « divinae potentiae misericordiam deprecamur ut et hic vos sua protectione custodiat et, sicut inter homines, ita quoque et post multorum annorum tempora in aeterna faciat vita regnare ». Même propos à l’Impératrice Leontia Augusta en XIII, 40: « Omnipotentis Dei misericordia largiora vobis cum piissimo domino vivendi spatia concedat, ut, quo vestra longius vita extenditur, subiectorum omnium consolatio validius confirmetur » (La miséricorde du Dieu tout-puissant vous concède ainsi qu’au très pieux Seigneur une longue vie, afin qu’aussi longtemps que vous vivrez, soit prolongée au mieux la consolation de vos sujets ».

[13]I, 73: « Persolventes autem paternae charitatis alloquium, petimus Dominum Salvatoremque nostrum, qui eminentiam vestram pro solatio sanctae reipublicae misericorditer protegat, et ad dilatandum per finitimas gentes nomen eius magis magisque brachii sui firmitate confortet ».

[14] IX, 64: « Omnipotens Deus misericordiae suae vos gratia tueatur et ab omni adversitate servet illaesos atque custodiat».

[15] VIII, 23: « eos omnipotentis Dei misericordia protegente ».

[16] III, 47: « meritisque tuis valde congaudeo (…). Haec ergo quoniam superna tibi sentio maiestate collata, gratulor et Deum creatorem nostrum utique benedico, qui servis humilibus misericordiae suae dona non denegat ».

[17] IV, 19: « divina misericordia clementiae suae nobis concedat et praedicare quod diligit et sequi hoc quod per nos praedicare concessit ».

[18]VI, 7 : « Deus autem  omnipotens, qui sapientiae suae potestate cuncta mirabiliter ordinat, et misericorditer ordinata custodit, ipse vobis et velle tribuat, et operari quod praecipit » (Que Dieu tout-puissant qui en vertu de sa sagesse ordonne toute chose de façon admirable, de vouloir e d’accomplir ce qu’il commande ».

[19] IX, 155 : « Praeterea sancti Petri apostolorum principis natalitium diem in Romana civitate vos facere velle perhibetis. Et oramus omnipotentem Dominum ut sua vos misericordia protegat, et vota vestra implere concedat».

[20] « La toute-puissance de Dieu se montre surtout en pardonnant et en faisant miséricorde parce que cela montre que Dieu a le pouvoir suprême, puisqu’il pardonne librement les péchés ; car celui qui est astreint à la loi d’un être supérieur ne peut librement pardonner les péchés. Ou bien encore parce qu’en pardonnant et en faisant miséricorde aux hommes, Dieu les amène à la participation du bien infini, ce qui est le souverain effet de la puissance divine. Ou encore parce que, comme on l’a dit précédemment, l’effet de la miséricorde divine est le fondement de toutes les œuvres divines ; en effet, rien n’est dû à personne si ce n’est en raison de ce qui lui fut donné d’abord gratuitement par Dieu. Or, la toute-puissance divine se manifeste surtout en ce que la première institution de tous les biens lui revient » (Saint Thomas d’Aquin, op.cit., I,25/3,3).

[21] Appendice IV : « a nostris excessibus eius misericordiae supplicantes purgari aliquatenus mereamur ».

[22] II, 2 : « Sic enim aut divina misericordia pro sua forsan conversione et in hac vita subveniet, aut, si eos migrari contigerit, a suis, quod et magis optandum est, transeunt facinoribus absoluti ».

[23] VIII, 4: « ad redemptoris nostri converti misericordiam festinemus ».

[24] XII, 1 : « nullus sine peccato est, cogitationium illecebras, linguae incontinentiam, delictorum opera ad memoriam revocemus et, dum licet magno pulsatu iniquitatum nostrarum maculas deleamus, ut iustus et pius redemptor noster non iuxta merita nostra vindictam exerceat, sed secundum misericordiam suam flectatur ad veniam ».

[25] « c’est davantage le propre de Dieu d’être miséricordieux et de pardonner que de punir, à cause de son infinie bonté. Être miséricordieux convient à Dieu par sa nature même ; être justicier lui convient à cause de nos péchés. (Saint Thomas d’Aquin, op.cit., II-II,21/2).

[26] IX, 225 : « Dei nostri misericordiam precibus exoremus, ut vitam nostram in suo propitius timore disponat, quatenus et hic illi sacerdotaliter deservire et conspectu ipsius in futuro securi assistere et sine metu valeamus ».

[27] V, 56: « Sed seu ad consentiendum mihi cor vestrum misericordia divina compunxerit ».

[28] VI, 47 : « Iohannes religiosus (…) ad unitatem sanctae ecclesiae ab errore Histricorum Deo miserante conversus est ».

[29] V, 36 : «Peccator et indignus plus de venientis Iesu misericordia, quam de vestrae pietatis praesumo (…) petens ut isdem omnipotentis Deus piissimum dominum nostrum et sua hic manu regat».

[30] VII, 22 : « Desiderata dulcedinis vestrae scripta suscepi, in quibus vos omnino de peccatorum multitudine studuistis accusare; sed scio quia omnipotentem Dominum ferventer diligitis, atque in eius misericordia confido quia illa de vobis sententia ex ore Veritatis procedit, quae de quadam sancta muliere dicta est: Dimissa sunt ei peccata multa, quoniam dilexit multum ».

[31] VIII, 34: « Sed quia ad eorum desiderium anhelare sine divinae misericordiae gratia nullus valet, oramus omnipotentem Dominum ut haec vobis ».

[32] II, 39 : « Vigilemus ergo ne quid pereat, et si captum forte quid fuerit, vocibus divinorum eloquiorum ad gregem Dominicum reducamus, ut ille qui pastor pastorum est vigilasse nos circa ovile suum suo dignetur misericors iudicio comprobare ».

[33] XII, 7 : « me numquam quorumlibet suasionibus vel quocumque alio modo ad scisma, de quo redemptoris nostri misericordia liberante ereptus sum ».

[34] XIII, 23 : « Nihil de pravis actibus, nil cum peccato, necessitate quasi faciente, festinetis acquirere, sed spem in redemptoris nostri misericordia habentes, qui confidentes in se non deserit, tolerabiter quae pertulistis incommoda sustinere ».

[35] X, 20 : « in cunctis adversitatibus gratias referamus atque de eius misericordia confidentes patienter omnia toleremus quia satis minus patimur quam meremur ».

[36] XI, 23 : « Sed quia in nulla desperatione de Redemptoris nostri est misericordia diffidendum, animos vestros ad consolationem patris erigite, spem vestram in omnipotentis Dei manu ».

[37] VII, 33 : « Hac itaque fulti certitudine, de eiusdem Redemptoris nostri misericordia nihil ambigere, sed  debemus indubitata praesumere ».

[38] X, 12 : « Quanto vos saeculi huius premat angustia, incognitum non habemus. Sed quia in summa tribulatione positis sola est consolatio misericordia Creatoris, in eum spem vestram ponite, ad ipsumque tota vos mente convertite, qui et iuste quem vult permittit affligi, et confidentem in se misericorditer liberabit » Voir aussi XIII, 32.

[39] Le Christ, homme et Dieu et de ce fait notre pasteur, s’est tant de fois ému sur les nécessités des hommes même si «la miséricorde doit être attribuée à Dieu au plus haut point, mais selon ses effets, non selon une émotion qui relève de la passion. Pour l’établir il faut considérer qu’être miséricordieux, c’est avoir en quelque sorte un cœur misérable, c’est-à-dire affecté de tristesse à la vue de la misère d’autrui comme s’il s’agissait de la sienne propre. Il s’ensuit qu’on s’efforce de faire cesser la misère du prochain comme on ferait pour la sienne, et tel est l’effet de la miséricorde. Donc, s’attrister de la misère d’autrui ne convient pas à Dieu ; mais faire cesser cette misère lui convient par excellence, si nous entendons par misère une déficience quelconque » (Saint Thomas d’Aquin, op.cit., I, 21/3).

[40] I, 26.

[41] I, 24 : « singulis compassione proximus »; « rector in compassione (…) singulis sit compassione proximus »; «In qua videlicet compassione ».

[42] « La compassion est un mouvement de l’âme conforme à la raison quand elle observe la justice, soit en donnant à l’indigence soit en pardonnant au repentir : motus ille animi rationi servit, quando scilicet ita praebetur misericordia, ut iustitia conservetur, sive cum indigenti tribuitur, sive cum ignoscitur paenitenti » (Saint Thomas d’Aquin, op.cit., I-II,59/1,3).

[43] I, 24.

[44] II, 38 : « De hoc vero quod dicitis incensae civitati Severi schismatici eleemosynam esse mittendam, idcirco vestra fraternitas sentit, quia quae contra nos praemia in palatium mittat ignorat. Quae etsi non transmitteret, nobis considerandum fuit quia misericordia prius fidelibus ac postea Ecclesiae hostibus est facienda ».

[45] XIII, 27 : «Pervenit ad nos fratrem et coepiscopum nostrum Pascasium ita desidem neglegentemque in cunctis exsistere, ut in nullo quia est episcopus agnoscatur».

[46] XI, 53 : «Cujus si forte lenitatem diaconi sui adhuc opinio lacerata non commovet et in hoc, quod non credimus, torpens exstiterit, experientia tua haec quae diximus faciat et de illius nobis neglectu renuntiet ».

[47] V, 16 : «Nomen nos pastoris non ad quietem, sed ad laborem suscepisse cognoscite (…) ita desides ac torpentes vergit ad poenam ».

[48] V, 4 : «Qui enim tot discipulos per suam neglegentiam ad infernum duxit ».

[49] IV, 17: « mota misericordia ».

[50] III, 5 : « ita ut viduatis eius deiectio non misericordiam provocare ».

[51] Ibid.: « Sicut in iudiciis laicorum privilegia turbare non cupimus, ita eis praeiudicantibus moderata te volumus auctoritate resistere. Violentos namque laicos coercere non contra leges est agere sed legi ferre subsidium ».

[52] IV, 17 : « Qualiter succurrendum sit redemptionibus captivorum, et sanctorum canonum et mundanarum legum sanctio evidenter edocuit ».

[53] Ibid.: « Quod cum omnibus notum sit, mirati sumus ut fraternitas tua in redemptione tribuni clerici tui (…) nulla mota misericordia subveniret ».

[54] IX, 235 : « qui magis misericordia dignus est ».

[55] Ibid.: « exigi vestra sanctitas non permittat, quia eum quem caecitas sua gravat inhumanum nimis est in collatione affligere, qui si esset necessitas, debuit ex collatione misereri ».

[56] Ibid.: « Licet si multum fraternitatem vestram ad servandam sibi iustitiam Philagrii portitoris praesentium flagellum caecitatis invitet ».

[57] III, 28 : « Quicquid misericorditer ac respectu pietatis impenditur, et hic auctorem suum adiuvat, et optatum ei praemium in die retributionis apportat ». Voir aussi XII, 2: Savinella fait miséricorde pour les pauvres et obtiendra elle-même miséricorde.

[58] I, 24 : « haec nequaquam pastori timenda sunt, quia, Deo subtiliter cuncta pensante, tanto facilius a sua eripitur, quanto misericordius ex aliena temptatione fatigatur ».

[59] Ibid.: « singulis compassione proximus (…) contra deliquentium vitia per zelum iustitiae erectus ».

[60] V, 57 : «plus nos esse misericordes convenit quam districtos (…) plus misericordiae quam districtae nos convenit operam dare iustitiae».

[61] Ibid. : «Nam ei a tempore prolatae sententiae afflictionem quam pertulit credimus ad vindictam huius posse culpae sufficere».

[62] L’emploi du mot « aequitas » a un caractère complexe chez Grégoire qui ne correspond pas exactement à notre notion actuelle d’équité, c’est pourquoi on se contente ici d’analyser seulement la notion moderne mais qui n’en pas moins représentée dans le Registre. Voir : Abbé Jacques-Yves Pertin, Justice et gouvernement dans les Lettres de Saint Grégoire le Grand, Paris, 2015, p.323 et suiv.

[63] II, 3 : «si secundum facinorum iudicium sine misericordia suscepisset, divinis mundanisque legibus durissima proculdubio fuerat morte plectendus».

[64] Il est probable, bien que rien ne puisse nous le faire conclure que Grégoire trouvait odieux de punir un évêque par la mort.

[65] Ibid. : « Sed quia paenitentiae reservatus sacerdotii honore privatus est ».

[66] IX, 48 : «Quamvis ea quae ad ecclesiae iura perveniunt alienari legis ratio non permittat, temperanda tamen interdum censura districtionis est ubi misericordiae respectus invitat (…). melius est in dubiis non districtionem exsequi sed ad benignas potius partes inflecti, praesertim dum ex parvae rei cessione nec ecclesia gravatur et orfano atque pauperi misericorditer subvenitur ».

[67] « Toutefois, la fonction la plus appropriée au chef est de diriger, tandis qu’accomplir la justice, c’est-à-dire s’y conformer, revient en propre aux subordonnés » (Saint Thomas d’Aquin, op.cit., II-II, 50/1,1).

[68] XI, 30 : «etsi mundana lex praecepit conversionis gratia utrolibet invito solvi posse coniugium, divina haec lex fieri non permittit. Nam excepta fornicationis causa virum uxorem relinquere nulla ratione concedit, quia postquam copulatione coniugii viri atque mulieris unum corpus efficitur».

[69] XI, 27 : «Si enim dicunt religionis causa coniugia debere dissolvi, sciendum est quia, etsi hoc lex humana concessit, lex tamen divina prohibuit. Per se enim veritas dicit: Quae Deus iunxit, homo non separet».

[70] XI, 54 : «iura sua singulis episcopis servemus».

[71] VIII, 29 : «cum singulis quibusque honor debitus».

[72] IX, 53 : «Quia ergo grave est nimis est contra veterum usum sacerdotes sibi quicquam arripere, unde in laicorum videntur actus incidere».

[73] VIII, 3 : «Sed quia fraternitatem vestram lege Dei, non autem lege saeculi novimus vivere».

[74] VIII, 27 : «Ecclesiastici vigoris ordo confunditur, si aut temere illicita praesumantur».

[75] XI, 4 : «Turpe est enim me difendere, quod prius mihi non consisterit iustum esse, quia ego homines propter iustitiam diligo, non autem iustitiam propter homines postpono».

[76] IX, 57: «ut et sacerdotale in vobis subsidium et paternam inveniat caritatem». L’évêque doit montrer de l’amour pour ses enfants (XIII, 27 : «paternam filiis suis caritatem exhibeat»).

[77] I, 46 : «Pro qua re caritate paterna gloriam uestram necessarium duximus adhortandam ut piis se causis, salua iustitia, libenter accommodet ».

[78] IX, 215 : «nihil potestati sed totum aequitati tribuitur ».

[79] VIII, 15 : « Nulla ergo vos res ab aequitatis studio, nulla suspendat potentia personarum, sed innitens praeceptis dominicis omnia quae sunt rectitudinis adversa contemne ».