Res novæ 25 – janvier 2021

Res Novae

Janvier 2021

 

Cher Lecteur, chère Lectrice,

Veuillez trouver ci-dessous les articles de janvier 2021 de la Lettre mensuelle  d’information et d’analyse Res Novae :

Une plongée progressive du catholicisme dans le néant, par l’abbé Claude Barthe

Liturgie : toujours moins de rite, par don Pio Pace

Nous vous en souhaitons une bonne lecture.

Avec nos meilleurs vœux de bonne et sainte année 2021.

L’équipe de Res Novae

Une plongée progressive du catholicisme dans le néant

Le processus de réforme (réforme de la Curie ? réforme de l’Église ?) engagé par le pape François comme un développement maximal de l’« esprit du Concile » nous paraît, ainsi que nous l’avons dit à plusieurs reprises, déphasé d’avec la réalité ecclésiale actuelle de deux manières :

– d’une part, ce processus va à rebours de ce qu’attend le petit reste catholique, lequel, avec bien des nuances, est identitaire et en réaction contre
l’« enfouissement » des chrétiens dans le monde, qui était le mot d’ordre de la période conciliaire.

– Et d’autre part, la tentative de s’adapter au monde de ce temps qu’il porte à son apogée est dépassé par le catholicisme postmoderne, tel qu’il est théorisé par un ensemble de théologiens qui épousent bien mieux qu’Amoris lætitia et Tutti fratelli l’ultra-modernité.

Qui l’épousent en s’y dissolvant. Car, au fur et à mesure qu’avance, sous des formes renouvelées, le catholicisme libéral, dont la prétention est de conformer autant qu’il est possible l’Évangile avec la modernité afin qu’il soit autorisé à y faire entendre sa voix, il perd par le fait même en substance, au point de finir par s’y dissoudre.

Nous voudrions évoquer ici certains courants ou certaines pensées théologiques
« avancées », en les énumérant selon une gradation plus ou moins progressive vers le néant religieux. Il ne faudrait pourtant pas croire que, la matrice libérale engendrant le vide, ces courants s’autodétruiront sans qu’il soit besoin de prendre aucune peine. Aussi longtemps que les autorités de l’Église n’useront pas de leur pouvoir – et de leur devoir – de retrancher les branches mortes ou mourantes, c’est l’arbre tout entier qui en sera malade au point de paraître devoir mourir.

La désintégration de la pénitence :
« l’eucharistie pour le christianisme qui nous attend »

Le projet de retrouver la communauté chrétienne comme « une communauté de la table » se veut beaucoup plus « avancé ». Dans un article de la revue Recherches de Science religieuse, de janvier-mars 2019, Goffredo Boselli, du studium du monastère de Bose, en Piémont, qui abrite une communauté d’hommes et de femmes de confessions chrétiennes différentes, publie sur ce thème un article qui cherche à « penser une théologie eucharistique pour notre temps ».

Il s’agit de ramener l’eucharistie et ses rites à leurs racines néotestamentaires. Or on le sait, la vie de Jésus montre maints exemples de cette convivialité joyeuse qu’il a pratiquée avec toutes sortes d’invités, spécialement avec les pécheurs. Dans ce partage de la table, à l’époque de Jésus comme aujourd’hui, les convives se reconnaissent dépendants les uns des autres dans le partage du pain comme de la parole.

Mais parce que Jésus a partagé la table des pécheurs, explique Goffredo Boselli, il ne peut jamais y avoir de « table du Seigneur » qui ne soit en même temps table des pécheurs, l’Eucharistie devenant lieu essentiel de miséricorde. Le Christ scandalisait ainsi les pharisiens au cœur sans miséricorde en s’attablant avec les pécheurs, tels Matthieu et Zachée (Goffredo Boselli omet de remarquer que c’était pour obtenir la conversion de ces pécheurs, qui est en effet advenue chez Matthieu et Zachée et d’autres).

La table de la Cène, qui récapitule le sens de la communauté de table vécue avec les pécheurs, estime G. Boselli, dans la mesure où Jésus n’était entouré que de pécheurs : Judas qui le trahit, Pierre qui va le renier et les autres qui vont l’abandonner lâchement. (Sauf que seul Judas participe sacrilègement à la Cène, les autres exprimant au contraire leur volonté – qui va s’avérer ensuite défaillante, mais seulement par la suite – de ne pas abandonner leur Seigneur. Celui-ci répond « en pardonnant l’impardonnable » et en offrant la coupe de son Sang à tous.

G. Boselli s’autorise, dans cette lecture personnelle de la Cène du Seigneur, à conclure que puisque l’eucharistie initiale a eu cette valeur purificatrice des pécheurs, elle doit la conserver dans la table du Seigneur qu’offre l’Église. Certes, reconnaît G. Boselli, pour que le fils prodigue soit pardonné il faut qu’il « mette un terme à sa vie dissolue ». Mais l’amour du Père précède le repentir de son fils et « la conscience de sa propre misère porte déjà en elle-même le désir de pardon, de vie renouvelée ». Ce désir Jésus le perçoit chez les pécheurs qu’il a invités à sa table durant sa vie, jusqu’à la dernière table, celle de la Cène.

On en vient ainsi, par cette série de glissements sophistiques, à ce que l’article voulait démontrer : « Le christianisme qui nous attend exigera la reconnaissance des conditions morales des personnes, des formes de vie les plus variées, stables ou temporaires, vécues seul ou ensemble, voire par des personnes de même sexe ». Reconnaissance devant s’entendre comme discernement du désir de pardon chez ces personnes qui viennent prendre part à la table eucharistique, quand bien même leur désir de changer de vie serait purement implicite : « Il faudra leur adresser une parole capable d’exprimer les exigences de l’Évangile et en même temps consciente des fragilités humaines, les conjuguant sans renier les unes ni les autres ». Ne pas
« renier » les fragilités humaines… En un mot comme en mille, accepter que ces personnes  prennent part à l’eucharistie en restant dans leur péché. Ainsi « la table du christianisme qui nous attend » sera une « liturgie de miséricorde ».

Étrange miséricorde qui ne dira plus au pécheur : « Va, ne pèche plus ! », mais :
« Viens, avec ta fragilité ! ».

La désintégration du dogme : la modernité tardive 
et l’évolution de la doctrine des sacrements

Nous avions évoqué, dans le n. 14 de Res Novae, de septembre 2019, le chapitre important rédigé par Andrea Grillo, professeur de théologie sacramentaire et liturgique à l’Université Saint-Anselme, à Rome, « I Sacramenti come luogo di elaborazione di identità ecclesiale e di differenza sessuale », dans l’ouvrage collectif Donne e uomini : il servizio nella liturgia,[i].

Pour bien entendre les débats au sujet de l’ordination des femmes, il faut avoir présent à l’esprit que, d’une part, le motif de l’impossibilité d’y procéder est donné par la Révélation dont le vecteur est le magistère, et que d’autre part, l’explicitation théologique est fournie par ce qu’on appelle des arguments de convenance. Ce terme de convenance ne devant pas laisser croire qu’il s’agit d’arguments faibles et discutables : ils relèvent au contraire du raisonnement théologique le plus spécifique, qui s’efforce de montrer la cohérence selon la raison et la foi du mystère divin.

Sous ce rapport de la convenance, Andrea Grillo, qui milite pour l’accès de femmes à la présidence des sacrements, expose que saint Thomas écartait les femmes des actes du culte en raison de conceptions aujourd’hui dépassées : le sexe féminin, parce que la femme est en état de sujétion, ne peut être signifiant d’une éminence de degré[ii]. Cette raison, donnée de manière abrupte par saint Thomas, peut être présentée de manière plus audible aux oreilles contemporaines en invoquant la symbolique des moyens de salut apportés par le Christ-Tête à son Corps[iii]. Le Fils de Dieu, incarné dans un homme masculin, choisit comme prêtres des hommes masculins pour des raisons de convenance d’ordre symbolique, lequel est décisif en matière sacramentelle. Elles avaient été explicitées par la déclaration Inter insignores du 15 octobre 1976 : « Il faut admettre que, dans des actions qui exigent le caractère de l’ordination et où est représenté le Christ lui-même, auteur de l’Alliance, époux et chef de l’Église, exerçant son ministère de salut – ce qui est au plus haut degré le cas de l’Eucharistie –, son rôle doive être tenu (c’est le sens premier du mot persona) par un homme ».

Sous le rapport de l’argument magistériel d’autorité, la lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis du 22 mai 1994, de Jean-Paul II, qui veut confirmer définitivement que les femmes ne peuvent accéder au sacerdoce, se contente tout naturellement de rappeler que la réserve exclusive de l’ordination sacerdotale aux hommes a été observée par la Tradition constante et universelle de l’Église. Non moins naturellement, l’essentiel de l’argumentation d’Andrea Grillo se porte contre le degré d’autorité d’Ordinatio sacerdotalis. Il conteste que la lettre puisse dire avec autorité que tel est le contenu de la Révélation donné par la Tradition constante et universelle de l’Église en s’appuyant sur les explications embarrassées de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 28 octobre et 19 novembre 1995. La CDF affirme en effet qu’Ordinatio sacerdotalis n’est pas un prononcé infaillible en soi, mais rapporte simplement que c’était une doctrine déjà infaillible a monte, dans le magistère ordinaire antérieur. Du coup, comme le dit A. Grillo, on reste dans un cercle où un document tirerait son autorité du fait qu’il se réfère à d’autres documents dont il atteste lui-même l’autorité.

Mais quoi qu’il en soit de cette sorte de respect humain fâcheux de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui, selon une « jurisprudence » datant du dernier concile, n’ose pas invoquer l’infaillibilité de l’Église, A. Grillo en profite pour ne considérer que les arguments de convenance promus au rang d’explication dernière. En d’autres termes, il évacue la profondeur du vouloir divin, et réduit le débat à une question de
« discipline ». Il affirme ainsi que l’Église doit aujourd’hui assumer le passage d’un état du monde prémoderne, où la théologie et la « discipline » ont écarté les femmes des rôles de responsabilité (y compris, ce qu’il omet de dire, dans le premier péché, où le dogme réserve le rôle décisionnel au père de l’humanité), à une tout autre compréhension du rôle des femmes aujourd’hui, dans la modernité tardive.

De sorte que, selon le schéma moderniste porté ici à son maximum, le dogme se réduit à une sorte de photographie sociologique.

La désintégration du religieux : 
L’esprit du christianisme du P. Joseph Moingt

La réformabilité du dogme est affirmée de manière bien plus radicale encore par le
P. Joseph Moingt, sj, aujourd’hui décédé, dans son livre testamentaire, L’esprit du christianime[iv], qui calque volontairement le titre de Hegel : L’esprit du christianisme et son destin.

Plus que le dogme intangible, c’est l’idée même de religion que remet en cause Joseph Moingt, considérant la révélation évangélique comme celle d’un humanisme nouveau qui serait l’instance critique de toute religion, y compris la religion chrétienne. Ainsi, ce que Chateaubriand porte au crédit du Génie du christianisme pour le défendre contre les Lumières est en fait, selon J. Moingt, « à l’œuvre dans nos sociétés “postchrétiennes” » et non du côté de la religion, qui doit en être bien dissociée. Du coup peut se renouer le lien entre la société occidentale et le christianisme rompu par les Lumières, lesquelles ont été en réalité engendrées par l’esprit du christianisme et sont en quelque manière plus évangéliques que la religion qui se réclame de l’Évangile.

« Avec l’Esprit nous pénétrons au plus secret et au plus pertinent de la foi chrétienne qui ne cesse de penser Dieu dans sa relation au monde et à l’histoire » et qui n’oblige pas les hommes à pratiquer une religion. « C’est pourquoi la foi refuse de se reconnaître dans l’irrationnel d’une lointaine tradition qui s’imposerait à elle autant par sa longévité que par son incompréhensibilité appelée “mystère” ». Jean postule la suffisance de l’amour pour le salut ; Paul exclut la soumission à la loi pour devenir enfant de Dieu. C’est pourquoi Dieu est indépendant des « prétentions particularistes des religions ».

Historiquement, tout le problème du christianisme, toujours selon J. Moingt, a été « le tournant religieux et sacrificiel, le second se produisant dans le sillage du premier » qu’il a pris ou subi au IIe siècle, en raison de sa lutte nécessaire contre la gnose, qui avait introduit un grand désordre qu’il a fallu juguler. Le christianisme s’est alors installé en tant que religion, c’est-à-dire en tant que « culte et communauté » (Troeltsch), et sur cette lancée il s’est établi comme sacrificiel, voué « à la célébration et à l’imitation de la mort du Christ conçue comme sacrifice d’expiation et de réparation pour les péchés des hommes ».

Quant à la dichotomie clercs/laïcs qui en découle en reproduisant un esprit de religion, elle est infidèle à l’esprit du christianisme : jamais le Christ n’a voulu cette médiation empruntée aux autres religions, qui a fait dépouiller les laïcs baptisés de leur caractère sacerdotal par les évêques. Les laïcs sont aujourd’hui appelés à reprendre en main leur sacerdoce baptismal. Kant définissait les Lumières comme
« la sortie de l’homme de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute ». Le recouvrement de l’esprit du christianisme doit avoir un effet semblable : sortir les laïcs de leur état de minorité où ils demeurent volontairement.

Plus fondamentalement, si on considérait la Rédemption, non selon un esprit de religion mais en le ramenant à sa source qui est la prédication des apôtres, on accèderait à « la vérité de ce qu’est l’homme, à l’intelligence du sujet humain la plus propre à construire un monde humain, dont tous les membres s’aideraient à vivre dans la liberté et la fraternité ». Jésus n’appelait pas au salut « en homme de religion, qui s’inquiète de la priorité de nos devoirs envers Dieu », pas plus que Paul
« n’annonçait l’Évangile en termes de religion », puisque le seul précepte qu’il enseignait était de porter les fardeaux les uns des autres.

Le jésuite français porte ainsi au plus loin qu’il le peut le vieux projet du libéralisme catholique. Il pose la question : l’espérance du salut étant « de rendre la terre plus habitable au plus grand nombre de ses habitants, privés de moyens de vivre, de bon air », etc., est-ce aux hommes à rejoindre les chrétiens ou simplement aux chrétiens à rejoindre les autres hommes ? C’est cela en effet, estime-t-il, qui doit se produire. Mais les chrétiens ont-ils cependant quelque chose à à apporter aux hommes, à savoir l’esprit de l’Évangile ? Sans doute, répond le théologien, mais ils ont plus encore à retrouver chez les autres hommes « ce qu’ils ont gardé de l’esprit du christianisme », avec quoi ils ont commencé à transformer le monde.

De sorte que, selon Joseph Moingt, les chrétiens, au lieu de gémir sur la disparition de l’Église, doivent entendre qu’elle a à prendre une autre forme, au prix d’une profonde réforme.

« Ce n’est plus le temps des réformes, mais d’une rupture radicale »

Ce n’est pas l’avis du P. José Maria Virgil, religieux missionnaire clarétain du Nicaragua, tenant de la théologie de la libération[v], qui pense que l’ère des réformes est dépassée. Dans un article de la revue Golias intitulé « Ce n’est plus le temps des réformes, mais d’une rupture radicale »[vi], il estime que, dans le temps post-religieux où est entrée l’humanité, le christianisme n’a qu’une seule issue : « plus de réforme, encore moins de contre-réforme, mais autre chose, la mutation ».

Pour lui, le phénomène religieux, dont la religion chrétienne est un avatar, est apparu « récemment », au néolithique. Pendant trois millénaires avant notre ère, les religions se sont constituées et ont partagé le même présupposé anthropo-théo-cosmique sécrétant entre autres l’idée d’une divinité d’« en haut ». Cette période de l’histoire s’est achevée avec l’émergence et le développement des « sociétés du savoir » : le changement du christianisme en cours est semblable à une mutation génétique, qui transforme l’identité biologique de l’être vivant, pour provoquer un changement d’espèce ; la situation qui en résulte peut être comparée au naufrage du Titanic, à l’occasion duquel les passagers pouvaient se rassembler frileusement à l’arrière avec l’orchestre et couler avec le navire, ou au contraire de se porter en avant vers les radeaux vers une nouvelle aventure.

L’humanité, toujours selon José Maria Virgil, entre dans une nouvelle étape d’évolution biologique, « dans laquelle la dimension la plus profonde de sa conscience ne s’exprime plus sous une forme “religieuse” ou de “spiritualité” ». Le défi actuel exige bien plus que la réforme de Luther, au XVIe siècle, qui semblera un « jeu d’enfant » à côté de la mutation qui aujourd’hui se dessine. Cette « mutation génétique spirituelle » devra être à la hauteur de « la grande transformation biologique que la planète et le cosmos vivent en nous ».

José Maria Virgil se réfère volontiers au jésuite belge Roger Lenaers, auteur de Un autre christianisme est possible. La fin d’un Église moyenâgeuse[vii], lequel
explique : « Ce ne seront plus des devoirs, ni des interdits, imposés du dehors par les religions qui pourront nous inspirer ». Et encore : « Mais, nous sachant désormais “autonomes”, c’est-à-dire libres, c’est à nous de nous diriger et de prendre en mains notre monde avec tous ses drames, ses structures injustes et inhumaines, de même que la planète qui nous porte, que notre agir collectif met en péril ». De sorte que « nous ne sommes plus sous la loi, comme le répète saint Paul, mais, animés par l’esprit de Jésus, nous reconnaissons la présence d’un Abba au cœur de nous-mêmes, et celui-ci nous appelle à la liberté, à la liberté pour
aimer ». Propos qui n’ont rien de très neufs. On peut d’ailleurs remarquer qu’il s’agit là d’un dénominateur commun à toutes les théologies libérales, comme nous l’avons constaté au passage : plus ou moins audacieuses quant à l’effacement du dogme, elles effacent toutes, quant à la morale, les frontières du bien et du péché.

Ces sortes de théologiens sont en réalité des héritiers des théologiens de la sécularisation comme Dietrich Bonhoeffer (« un monde devenu adulte »), Jean-Baptiste Metz, ou de la mort de Dieu comme Thomas Altizer, William Hamilton, Harvey Cox. Le principal souci des Lenaers et Virgil n’est pas tant de se distinguer de l’athéisme, que d’intégrer l’athéisme à la foi, si ce terme de foi peut encore convenir à leur réflexion. De sorte que, écrit Roger Lenaers « une telle présentation de la pensée et de l’action chrétienne ne contient rien qui ne puisse être souscrit par la modernité non théiste. Dans cette présentation a disparu la figure d’un théos ou “dieu en haut”. La seule chose qui reste est le Mystère Originel dont le nom est
Amour » [viii].

C’est peut-être encore trop.

Abbé Claude Barthe

[i] Sous la direction d’Andrea Grillo et d’Elena Massimi, Edizione Liturgiche, 2018, pp. 39-60.
[ii] Somme théologique, Supplément, q 39, a 1.
[iii] Voir Gilbert Narcisse, « L’ordination presbytérale : hommes et femmes ? », dans Philippe-Marie Margelidon (sous la direction de), Questions disputées autour du sacrement de l’ordre, Artège/Lethielleux, 2018, pp. 213-241.
[iv] Temps présent, 2018.
[v] Né en Espagne, en 1946, prêtre depuis 1971, il vit au Nicaragua. Il a collaboré au Centre œcuménique Antonio Valdivieso, a participé à la fondation du Secrétariat international de solidarité chrétienne latino-américaine (Mgr. Sergio Méndez Arceo et Mgr Pedro Casaldáliga). Il a fait partie du groupe de théologiens Amerindia. Il est membre de l’Association œcuménique des théologiens du tiers-monde et du Forum mondial sur la Théologie et la libération.
[vi] 8 octobre 2020, pp. 7-8.
[vii] Golias, 2011.
[viii] Al is er geen God-in-den-hoge, Kapellen, 2009 – Aunque no Haya un Dios Ahí Arriba, Vivir en Dios, sin dios, Editorial Abya Yala, Quito, 2013.

Liturgie : toujours moins de rite

La liturgie catholique, cinquante ans après la réforme, est comme à la libre disposition de tous et chacun des acteurs. Et elle continue de se pulvériser. Le rite a assumé dans la culture contemporaine une « nouvelle autonomie » en changeant de signification dans une « discontinuité culturelle », remarque Andrea Grillo, professeur à l’Institut Saint-Anselme, à Rome, dont un ouvrage est étudié par Claude Barthe dans l’éditorial de cette livraison : « Le terme ritus prend une autre signification lorsqu’il est utilisé dans le Ritus servandus du missel post-tridentin et dans les Prænotanda élaborées à partir du concile Vatican II »[i].

L’une des caractéristiques majeures de la liturgie de Vatican II avait été, en effet, d’adopter une forme rituelle informe[ii]. L’importance des modifications apportées aux rites antérieurs, dont l’effet novateur était multiplié par une surabondance de choix possibles laissés au célébrant, et par l’absence de régulation précise des gestes, des attitudes, et souvent des paroles, a fait exploser le rite romain. Aujourd’hui, le culte est souvent devenu d’une telle banalité, qu’il semble décourager de nouvelles
« avancées ». Il n’en est rien. Il existe encore des possibilités de déritualisation, dont on pourrait donner d’innombrables exemples. Ce n’est plus l’heure de la réformation brutale, mais du gentil n’importe quoi – concernant tout de même la prière officielle et publique de l’Église.

On pourrait parler, pour la France, des « messes au cirque », qui à l’origine visaient un public d’enfants et étaient célébrées sous un chapiteau, l’autel étant placé sur la piste du cirque et entouré d’artistes, clowns compris, se livrant éventuellement à des numéros pour encadrer la célébration. Mais aujourd’hui ces « messes au cirque », de préférence célébrées à Noël, réunissent de plus larges publics sous un chapiteau (le cirque Gruss s’en est fait une spécialité), l’originalité se réduisant à un décor et une ambiance de cirque pour une « messe sur la piste ».

En Allemagne, Martin Stuflesser, dans un article publié par Recherches de Science religieuse, « Réforme liturgique et église locale : entre règles et liberté »[iii], commentait une enquête de 2013 sur l’état de la liturgie. Il en résultait que les livres liturgiques nouveaux sont considérés comme indicatifs, comme des « aides importantes pour s’orienter » (Sarah Kubin).

Ainsi, le lavement des pieds prévu le Jeudi Saint, est interprété comme un signe du service mutuel que doit rendre la communauté : les représentants des divers groupes de la paroisse se lavent les pieds les uns les autres ; ou encore le Mandatum est remplacé par la distribution, durant la cérémonie, des services caritatifs de l’année.

En France, on peut citer « la messe qui prend son temps », dite MT. Il s’agit d’une célébration de l’Eucharistie qui s’étale sur une longue période de temps, voire sur une journée entière, au cours de laquelle sont ménagés des temps de prière personnelle ou collective, des échanges, des débats, et même dans certains cas des interruptions pour prendre des repas et du délassement.

Organisées par des jésuites, à Nancy, Bordeaux, Strasbourg, Toulouse, Paris (Saint-Ignace), etc., ces liturgies intègrent des formes contemporaines de lectio divina : méditation de la Parole de Dieu, partages en groupes, qui continueront ensuite via WhatsApp, Zoom, Skype, chants, musique d’instruments, débats et, « en after après la messe, quelques chips et un p’tit coup à boire ».

Ce ne sont pas des démonstrations de progressisme échevelé, mais simplement des sortes de retrouvailles spirituelles, le dimanche soir, en fin de week-end, d’un jeune public catho-bourgeois, assez différent de celui, bourgeois lui aussi mais catho-identitaire, dont sont issues les vocations d’aujourd’hui. « La Messe qui prend son temps, c’est comme une soirée chez un pote. Tu arrives comme tu es, tu lâches ton manteau et tu dis bonjour à tes voisins, étudiants ou jeunes pro. »

En tout cela, rien de bien méchant, mais une subversion de ce qui reste de rite.

Pio Pace

[i] « La tradition liturgique dans le monde postmoderne », Recherches de Science religieuse, janvier-mars 2013, pp. 87-100.
[ii] Claude Barthe dans La messe de Vatican II. Dossier historique ,Via Romana, 2018.
[iii] Loc. cit., janvier-mars 2013, pp. 37-52.

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