Du petit nombre des sauvés à l’espérance d’un salut universel – Mgr C. Kruijen, Revue Thomiste 116 (2016)

Du petit nombre des sauvés à l’espérance d’un salut universel

Réflexions critiques au sujet d’une opinion théologique

contemporaine concernant la damnation

Art. RThom 116 (2016) Salut universel

Parce que la sentence contre celui qui fait le mal

n’est pas vite exécutée, le cœur des fils d’Adam

est plein de l’envie de mal faire (Qo 8, 11).

Dans ces matières [les vérités suprasensibles] les

hommes se persuadent facilement de la fausseté

ou du moins du caractère douteux de ce dont ils

ne veulent pas que cela soit vrai (Pie XII, Lettre

encyclique Humani generis).

 

Introduction

L’intitulé de la présente contribution énonce un déplacement : « Du petit nombre des sauvés à l’espérance d’un salut universel », déplacement qui s’inscrit à son tour dans un contexte que Romano Guardini esquissait avec pertinence dès 1940. Parlant du sens absolu de l’existence et, par suite, du caractère définitif du jugement scellant sans retour l’admission ou le rejet de tout un chacun, le théologien allemand écrivait :

Dans les premiers temps, l’homme a compris cela d’emblée, car il savait faire la distinction entre ce qui est irrévocablement sérieux et ce qui ne l’est pas. Pour l’homme moderne, cette doctrine rend un son bizarre et dur. Il s’est accoutumé à prendre le monde fort au sérieux et à dresser une échelle de valeurs des plus rigoureuses pour mesurer les choses terrestres ; en revanche, l’éternité et la destinée éternelle ont perdu toute importance à ses yeux. Elles se sont estompées en un clair-obscur qu’il qualifie volontiers lui-même de révérence. Il serait plus exact d’y voir de l’indifférence ou de la lâcheté. On est saisi de perplexité lorsqu’à propos d’une circonstance quelconque on voit ce que l’homme moderne prend au sérieux et ce qu’il prend avec insouciance. Il semble parfois que plus les choses se rapprochent du noyau de son existence, moins elles ont de poids pour lui[1].

L’attitude existentielle décrite par Guardini aboutit ainsi à l’exact inverse de celle décrite par saint Paul, lorsqu’il affirme que nous « ne regardons pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles » (2 Co 4, 18). L’absolutisation de la vie terrestre se traduit, entre autres, par l’invocation continuelle du principe de précaution et l’instauration de normes techniques toujours plus nombreuses. Le souci des choses de ce monde évince celui des biens éternels.

Notre propos ne sera pas ici d’enquêter sur les motifs complexes du renversement évoqué par Guardini ou de nous livrer à de subtiles spéculations sur le nombre des sauvés, dont les chrétiens ont toujours su comme par instinct qu’il était le secret de Dieu[2]. Il s’agira plus modestement de documenter tout d’abord brièvement l’évidence que revêtait un salut partiel par le passé (I), pour, ensuite, étudier plus en détail le passage progressif à l’espérance d’un salut universel (II). Puis nous proposerons de confronter l’espérance en question avec des éléments de réflexion critique tirés de l’Écriture sainte, de l’antiquité chrétienne et du Magistère (III). Enfin, la conclusion permettra de préciser la position retenue.

  1. L’évidence d’un salut partiel

  2. a) Chez les théologiens

Ce qui frappe, lorsque l’on relit ce qui a été écrit par le passé au sujet de la damnation, c’est l’évidence avec laquelle était admis un salut seulement partiel, sans que soit d’ailleurs ignoré ou nié pour cela que Dieu veuille le salut de tous. Qu’il suffise de mentionner à la suite quelques auteurs d’époques très différentes. Saint Thomas d’Aquin écrit lapidairement : « “Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.” [1 Tm 2, 4] Mais cela ne se passe pas ainsi[3]. » Le premier Écrit sur la grâce du grand Pascal s’ouvre sur cette affirmation : « Il est constant qu’il y a plusieurs des hommes damnés et plusieurs sauvés[4]. » En 1939, Marcel Richard expose dans le Dictionnaire de théologie catholique : « Tout dans le christianisme évidemment tend à procurer aux hommes le salut éternel, que tous n’atteignent pas. Il y a donc des damnés. Contre l’existence d’une punition des pécheurs après la vie, il n’y a, d’ailleurs, guère d’opposition ni aucune difficulté[5]. » Enfin, il y a cinquante ans, Louise-Marie Antoniotti écrivait dans la Revue thomiste : « Dieu notre Sauveur… veut que tous les hommes soient sauvés (1 Tm 2, 4). […] C’est une vérité incontestable de notre foi. Mais il est une autre vérité de foi, non moins incontestable : Dieu réprouve certains hommes[6]. » Relevons à cet endroit que ces affirmations étaient partagées également par les théologiens de la Réforme.

Par conséquent, ce qui, durant de nombreux siècles, faisait l’objet de discussions parmi les théologiens n’était pas le fait de la réprobation, mais le nombre d’hommes qui en feraient l’objet, ou plutôt la proportion entre les élus et les réprouvés. Selon qu’ils étaient partisans de l’opinion sévère ou de l’opinion large, les auteurs concluaient que cette proportion devait être probablement petite ou grande, tout en prenant soin de différencier leurs projections selon des catégories socioreligieuses (non-baptisés, chrétiens non catholiques, catholiques, enfants ou adultes). Il convient d’ajouter qu’au-delà d’un salut partiel, beaucoup de théologiens estimaient que seul un petit nombre parviendrait au salut. On pourra lire à ce sujet l’article consacré par Albert Michel au nombre des sauvés dans le Dictionnaire de théologie catholique, où l’on trouvera d’abondantes références[7]. L’historien Jean Delumeau a pu écrire en ce sens : « Il faut constater comme un fait historique l’accord sur le petit nombre des élus entre les représentants les plus éminents de la pensée chrétienne occidentale depuis la fin de l’Antiquité jusqu’au xixe siècle[8]. » Si cette affirmation gagnerait peut-être à être nuancée, force est de constater qu’autour de 1900 la question du nombre des élus demeure en débat. En 1906 encore, le capucin Jean-Baptiste du Petit-Bornand estimait dans un article pondéré que « la plupart des auteurs » retiennent qu’il n’est pas admissible que dans tout l’ensemble du genre humain les élus soient en majorité[9]. Il faudrait cependant ajouter que l’opinion du petit nombre était en perte de vitesse depuis le xixe siècle, comme on le verra.

  1. b) Dans les catéchismes et les documents de l’Église

Il n’est pas sans importance de relever que l’assurance d’un salut partiel n’était pas seulement le fait de théologiens privés, mais aussi des catéchismes, donc des textes prétendant exposer la foi authentique de l’Église, en évitant ce qui ne relève que de l’opinion théologique. Le fameux Catéchisme dit de saint Pie X comporte, par exemple, cette question-réponse :

Si Jésus-Christ est mort pour le salut de tous, pourquoi tous ne sont-ils pas sauvés ?

Jésus-Christ est mort pour le salut de tous, mais[10] tous ne sont pas sauvés parce que tous ne veulent pas le reconnaître, tous n’observent pas sa loi, tous ne se servent pas des moyens de sanctification qu’il nous a laissés[11].

On lit de même dans le Catéchisme catholique publié par le cardinal Pietro Gasparri en 1929, à la question 103 : « Tous les hommes sont-ils donc sauvés ? R. Non, tous les hommes ne sont pas sauvés, mais ceux-là seuls qui usent des moyens institués par le Rédempteur pour communiquer le mérite de sa passion et de sa mort[12]. » Le cardinal renvoyait en note à cette affirmation du Décret sur la justification du concile de Trente : « Bien que lui [le Christ] soit “mort pour tous” [2 Co 5, 15], tous cependant ne reçoivent pas le bienfait de sa mort, mais ceux-là seulement auxquels le mérite de sa Passion est communiqué[13]. » Le concile particulier de Quierzy, présidé par Hincmar de Reims en mai 853, n’avait pas déterminé autre chose : « Dieu tout-puissant veut que “tous les hommes” sans exception “soient sauvés” [1 Tm 2, 4], bien que tous ne soient pas sauvés[14]. »

Ajoutons un texte tiré du Catechismus Romanus de 1566, qu’on peut attribuer au magistère ordinaire universel (le Catéchisme de l’Église catholique le range parmi les documenta Ecclesiae). Interprétant les paroles de la consécration du vin combinant Lc 22, 20 et Mt 26, 28 (pro vobis et pro multis), ce document affirme :

Si nous en considérons la vertu, nous sommes obligés d’avouer que le sang du Seigneur a été répandu pour le salut de tous. Mais si nous examinons le fruit que les hommes en retirent, nous comprenons facilement que beaucoup seulement, et non pas tous, en ont profité. […] C’est donc avec raison qu’il n’a pas été dit : pour tous, puisqu’il s’agissait en cet endroit des fruits de la Passion, qui n’a apporté le fruit du salut qu’aux seuls élus[15].

Il serait évidemment anachronique de rechercher dans ces textes ce qui ne saurait s’y trouver, à savoir une définition portant sur l’existence des réprouvés, puisque, à l’époque de leur rédaction, le fait de la réprobation n’était pas débattu. Il s’agissait ici plutôt de documenter l’enracinement ecclésial de l’évidence d’un salut partiel (le « facile intelligemus » du Catéchisme romain est éloquent à cet égard).

  1. c) Le caractère problématique de la damnation

Peut-on dire pour autant que l’existence d’hommes réprouvés jouissait d’une possession tranquille par le passé ? La réponse semble moins aisée qu’il n’y paraît. D’une part, les pages qui précèdent permettent de répondre clairement par l’affirmative. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, quand saint Thomas d’Aquin affirme sereinement que « Dieu réprouve certains »[16] ou même qu’« il y a peu d’hommes sauvés »[17] et que Dieu « élève certains êtres au salut qui fait défaut au plus grand nombre »[18], la damnation de la plus grande partie de l’humanité est pour lui un fait acquis qu’il s’agit moins de justifier, que de concilier avec la volonté salvifique universelle[19].

D’autre part, toutefois, même les croyants et les théologiens des siècles passés ont fréquemment éprouvé des difficultés face à l’idée de la damnation. Saint Jean Chrysostome frémit et se trouble quand il doit parler de la géhenne[20]. Saint Augustin reconnaît, lui aussi, qu’il y a là de quoi faire trembler[21]. Le jésuite Leonardus Lessius († 1623) plaçait d’emblée l’éternité des peines infernales parmi les quatre mystères de foi les plus difficiles à croire[22]. L’existence des “miséricordieux”, contre lesquels bataillait saint Augustin dans la Cité de Dieu (Livre xxi), démontre que les résistances à ce sujet n’ont pas manqué dès l’antiquité chrétienne. Ajoutons cet aveu de Teilhard de Chardin (vers 1926 / 1927) : « Mon Dieu, parmi tous les mystères auxquels nous devons croire, il n’en est sans doute pas un seul qui heurte davantage nos vues humaines que celui de la damnation. […] Nous nous sentons perdus à l’idée de l’enfer[23]. » En ce sens, pour définir l’attitude des siècles passés au sujet de l’enfer, il serait peut-être plus juste de parler d’acceptation générale, tantôt pacifique, tantôt résignée, plutôt que de possession tranquille.

  1. L’émergence d’une espérance d’un salut universel

  2. a) Un “adoucissement” progressif des opinions

Abstraction faite de l’hypothèse d’une restauration universelle chez certains auteurs de l’ère patristique, l’unanimité morale quant à l’existence de la réprobation ne sera pratiquement plus remise en cause au cours des siècles postérieurs, excepté dans des contextes hérétiques (voir Jean Scot Érigène, Amaury de Bènes ou les Albigeois). Francisco Suárez († 1617) semble être le premier théologien important qui, tout en maintenant la thèse d’un petit nombre de sauvés pour l’ensemble des hommes, la refusait pour les catholiques en particulier[24]. Il se peut que le fait de ne plus considérer les limbes comme faisant partie de l’enfer des réprouvés proprement dit, et ce à partir du xviiie siècle, ait contribué à rendre moins probable la thèse du petit nombre des élus. La contestation de l’enseignement traditionnel de l’enfer ne prendra une certaine importance qu’avec les philosophes du siècle des Lumières, notamment déistes (voir ainsi Rousseau, Hume, Voltaire, Bayle et les encyclopédistes ; au siècle précédent on trouve Hobbes et Spinoza et, au siècle suivant, John Stuart Mill)[25]. À ce stade, la remise en cause du dogme est cependant limitée à un étroit cercle d’intellectuels et autres libertins. L’historien Guillaume Cuchet a situé à la seconde moitié du xixe siècle le triomphe de la thèse du grand nombre des élus (parmi les catholiques)[26]. En 1851, Lacordaire fit encore sensation en défendant publiquement la position en question[27]. Toujours d’après Cuchet, « au total, il semble qu’on puisse considérer que vers 1900, l’ancienne thèse du petit nombre des élus est devenue minoritaire dans l’enseignement ordinaire de l’Église catholique »[28]. Ce processus, une fois lancé, continuera sa trajectoire jusqu’à une quasi disparition de l’enfer dans la prédication catholique à partir des années 1950. Se fondant sur l’analyse de deux cent quatre-vingts homélies sur les fins dernières, publiées entre 1860 et 1990 dans diverses revues allemandes d’homilétique catholique, le sociologue Michael Ebertz a mis en évidence les rapports entre les modifications de l’image de Dieu, les mutations sociétales et l’érosion, et finalement la mutilation, sinon la dissolution (Auflösung), de ce qu’il appelle le “code eschatologique” traditionnel, au sens où, de la tripartition ciel / purgatoire / enfer, il ne reste pratiquement que le ciel[29]. C’est un peu comme si, pour paraphraser saint Jérôme parlant de l’arianisme, après des siècles où l’enfer était considéré comme le lot d’une multitude innombrable, le monde s’était un jour étonné d’être “universaliste”[30].

  1. b) Premières hésitations quant à la damnation

D’après nos recherches, dans le domaine de la théologie catholique les hésitations ayant trait à l’existence des damnés étaient encore bien rares au cours de la première moitié du xxe siècle. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut donner quatre noms, dont trois appartiennent à la Compagnie de Jésus, à savoir Pierre Teilhard de Chardin (vers 1926-1927)[31], l’allemand Otto Karrer, qui parlait dès 1934 d’une « possibilité abstraite » (abstrakte Möglichkeit) de damnation[32], et Henri Rondet, qui demandait en 1943 : « Il y a des démons en enfer, mais y a-t-il des hommes[33] ? » Enfin, dans un texte philosophique d’Edith Stein datant de 1921 (donc peu de temps avant son baptême), mais demeuré inédit de son vivant, la damnation est réduite à une possibilité de principe « infiniment improbable » (unendlich unwahrscheinlich)[34].

En revanche, à partir des années 1950 – et donc dès avant le concile Vatican II – un nombre croissant de théologiens a commencé à se demander s’il existait de fait des hommes damnés. (À ce propos, il serait intéressant d’étudier s’il existe un lien de causalité entre l’émergence de cette question et la “nouvelle théologie”.) Donnons ici deux exemples significatifs tirés d’articles encyclopédiques. En 1956, Gaston Rotureau écrivait dans Catholicisme :

Ce qui est de foi, c’est que l’enfer représente un risque universel pour tout être humain […]. Quant à savoir dans quelle proportion s’est déjà réalisée et se réalisera cette condition [mourir en état de péché mortel personnel], nous sommes sur ce point dépourvus de toute information proprement dogmatique[35].

En 1957, le jésuite Josef Loosen aboutissait à une conclusion identique dans la seconde édition du Lexikon für Theologie und Kirche : « Que des hommes puissent se perdre, il faut clairement l’envisager. La Révélation nous laisse dans l’incertitude quant au fait de savoir si quelques-uns et si peu ou beaucoup se perdent effectivement[36]. »

  1. c) Apparition et diffusion de la formule théorique de “l’espérance pour tous”

L’hésitation quant à l’existence de réprouvés va donner naissance à ce que l’on a appelé “l’espérance pour tous” – formulation équivoque, il est vrai. Par là, on entend non pas le devoir moral de désirer et d’œuvrer pour le salut de chacun des hommes vivants en particulier, mais l’opinion qu’il est possible de résumer comme suit : 1/ la damnation est une “possibilité réelle” pour chacun ; 2/ la Révélation et le Magistère n’ayant affirmé la perdition d’aucun homme, on ignore si cette possibilité est ou sera réalisée effectivement ; 3/ on peut (ou on doit) donc non pas affirmer, mais espérer que tous, absolument parlant, seront sauvés. Il n’est pas inutile de préciser dès ici qu’il s’agit là d’une opinion, qui plus est, contestable, et non de ce que certains présentent comme étant presque l’enseignement de l’Église. Karl Rahner formule cette position de la manière suivante : « Nous devons maintenir côte à côte, sans les harmoniser, les doctrines de la puissance de la volonté salvifique universelle de Dieu, de la rédemption de tous par le Christ, du devoir d’espérer le salut pour tous, et la doctrine de la vraie possibilité de la perdition éternelle[37]. » L’espérance dont il s’agit ne vise pas seulement le salut de chaque individu, mais un salut universel au sens collectif, car Rahner tient lui aussi que nous ignorons si la damnation se réalise effectivement chez des hommes[38]. De son côté, Hans Urs von Balthasar a beaucoup contribué à la diffusion de la thèse de “l’espérance pour tous”, moins d’ailleurs par le biais du quatrième volume de La dramatique divine, que par deux opuscules parus en 1986 et 1987[39]. À ce titre, il est significatif que l’Épilogue de sa grande trilogie en seize volumes s’achève par cette citation d’Hermann-Josef Lauter :

Tous se laisseront-ils vraiment réconcilier ? À cette question ne peut répondre aucune théologie ni aucune prophétie. Mais l’amour “espère tout” (1 Co 13, 7). Il ne peut donc faire autrement qu’espérer la réconciliation de tous les hommes dans le Christ. Pareille espérance sans limite est non seulement permise au chrétien, mais elle lui est prescrite[40].

Il faut reconnaître que la position décrite ci-dessus a rapidement fait école, au point de s’imposer largement[41]. En 1991, le jésuite John R. Sachs parlait ainsi à ce sujet de « la position tenue virtuellement par tous les théologiens catholiques ayant écrit récemment sur ces thèmes »[42]. De son côté, Bernard Sesboüé l’a estimée « largement dominante chez les plus grands théologiens d’aujourd’hui »[43]. Plus récemment, Christoph Johannes Amor a qualifié l’enfer entendu comme « possibilité réelle » (au sens où l’on ignore s’il deviendra réel) de sententia communis théologique[44]. Enfin, dans un manuel d’eschatologie récent, Paul O’Callaghan a défendu une position plus nuancée : alors que pour lui non plus la damnation de certains hommes ne doit pas être tenue pour certaine, il estime que le salut de tous est un objet possible de désir, mais non d’espérance chrétienne au sens strict[45].

Cela étant dit, la position dite de “l’espérance pour tous” ne peut se prévaloir d’un assentiment unanime. Les derniers opuscules de Balthasar n’avaient d’ailleurs pas manqué de provoquer de vives réactions en sens contraire. En 2000 et 2001, partisans et adversaires de la position “balthasarienne” se sont vigoureusement opposés dans les revues américaines New Oxford Review et First Things[46]. Il faut constater à ce propos que la discussion autour de l’enfer est fréquemment marquée par un ton polémique. Ainsi, par exemple, tandis que Balthasar taxait d’« infernalistes » (Infernalisten) ceux qui maintiennent l’existence effective d’hommes damnés[47], Carlos Miguel Buela critiquait les adeptes d’un enfer “light”, en parlant d’« infernovacantistas »[48].

Parmi les théologiens réputés ayant maintenu la doctrine traditionnelle d’une séparation finale entre sauvés et damnés au cours de la seconde moitié du siècle dernier, on peut mentionner notamment Charles Journet et Leo Scheffczyk (théologien qui gagnerait à être mieux connu dans l’aire francophone), auxquels on pourrait ajouter le dominicain Jean-Hervé Nicolas, du moins à partir de 1988 (l’auteur a modifié sa position)[49]. Bien sûr, il serait aisé de prolonger la liste des auteurs critiques à l’égard de l’universalisme[50].

  1. d) Vers une remise en cause de la possibilité de la damnation

En réalité, l’expérience démontre que la position théorique de la thèse de “l’espérance pour tous”, qui suppose le maintien simultané et jusqu’au bout de la possibilité de la damnation et celle d’un salut universel, est difficile à tenir. Pratiquement, il est possible de constater fréquemment une dérive vers la conviction plus ou moins affirmée que, de fait, tous seront sauvés. Cándido Pozo résumait bien cette pente vers l’universalisme :

Même dans la volonté de sauvegarder la vérité dogmatique de l’existence de l’enfer, on note parfois aujourd’hui une tendance à penser à l’enfer plutôt comme à une hypothèse que comme à une réalité existentielle. On ne veut pas nier l’existence de l’enfer, mais on tend à penser que, en pratique, il n’y a pas de condamnés[51].

Johann Baptist Metz constatait dans le même sens en 1987 : « Il semble que dans la théologie chrétienne actuelle, la doctrine d’une réconciliation universelle reçoive peu à peu le statut d’une hypothèse de fond indiscutée[52]. » Le salut semble être devenu un acquis pour tous, quels que soient leurs choix de vie[53]. Le corollaire logique de cette tendance est que la possibilité de la damnation va être évincée de plus en plus hors du champ du plausible, au point d’en arriver même, parfois, à être niée. De fait, en 2005, Bernhard Lang concluait un article encyclopédique sur l’enfer, en affirmant : « Celui qui prend au sérieux le message du pardon ne peut croire à aucun enfer[54]. » En règle générale, les théologiens ne vont cependant pas aussi loin, mais tendent à réduire la possibilité de se perdre à un cas limite théorique qu’on maintient, en quelque sorte, “pour la forme”[55]. Paul O’Callaghan estime ainsi qu’« aujourd’hui, la majeure partie des auteurs considèrent l’enfer comme une possibilité extrême, une exception »[56]. Pour sa part, Ottmar Fuchs écrit qu’on ne peut exclure que des « hommes d’une méchanceté abyssale » (abgrundtief böse Menschen) puissent se fermer à la réconciliation divine, mais ajoute qu’une telle éventualité paraît « totalement invraisemblable » (völlig unwahrscheinlich)[57]. En somme, il semblerait que, aux yeux de beaucoup d’auteurs, et à l’exact opposé de l’enseignement des deux voies en Mt 7, 13-14, la difficulté soit maintenant plus grande de se perdre, qu’elle n’était auparavant de parvenir au salut.

Avec Leo Scheffczyk, il est possible d’évoquer au terme de cette révolution copernicienne un contexte « où la doctrine du salut universel répandue diffusément ne laisse même plus émerger une crainte réelle de la perdition d’hommes »[58]. Sur le plan théologique, ce contexte se traduit par le doute plus ou moins prononcé quant à la possibilité même de la damnation. Gustave Martelet affirme, par exemple : « Rien ne nous oblige […] dans la Révélation à penser qu’une liberté créée, si grande qu’on la suppose, aurait reçu ou pourrait se donner le pouvoir absolu de se perdre »[59]. Balthasar demande pareillement : « La question est de savoir si des hommes peuvent dire radicalement qu’ils ne veulent à jamais rien avoir à faire avec l’amour de Dieu »[60]. Et encore : « Il faut poser la question de savoir si la liberté finie de l’homme […] peut se détacher de Dieu jusqu’à s’enfermer en elle-même tout entière dans sa décision[61] ? » Par conséquent, il ne saurait surprendre que plusieurs commentateurs attentifs et pondérés aient conclu que la logique interne de la pensée du théologien bâlois aboutit, volens nolens, à l’exclusion de la possibilité de la réprobation ou, du moins, à une certitude morale d’un salut universel[62]. Kevin L. Flannery retient, par exemple : « Si Balthasar a raison, nous n’avons pas besoin d’espérer un salut universel : il ne pourrait pas ne pas être[63]. » Roch Kereszty ne s’exprime pas différemment : « Ma réserve concernant sa position provient du soupçon que la logique de sa pensée ne conduise pas seulement à une espérance, mais à une certitude (consciemment démentie, mais logiquement inévitable) du salut de tous[64]. » Plus récemment, Alyssa Lyra Pitstick est parvenue dans sa thèse à une conclusion similaire, estimant que les démentis de l’apocatastase de la part de Balthasar sont aussi rhétoriques que ceux de Barth[65].

III. Éléments de réflexion critique

Parmi les éléments pour une évaluation de l’opinion universaliste, nous privilégierons la révélation néotestamentaire. Dans le dialogue fictif entre Abraham et le mauvais riche, le patriarche avait renvoyé à « Moïse et les Prophètes », et non à quelque révélation particulière, comme preuve décisive de l’existence d’un châtiment éternel (cf. Lc 16, 29-31). À plus forte raison cet argument d’autorité vaut-il pour le Nouveau Testament, dans lequel la doctrine correspondante est développée avec davantage de clarté et de rigueur que dans l’Ancien[66]. La parabole lucanienne en question atteste d’ailleurs de manière dramatique pourquoi il est vain de vouloir démontrer la vérité des peines éternelles à celui qui refuse d’accorder crédit au témoignage des Saintes Écritures. Au demeurant, celles-ci évoquent ceux qui se perdent « pour n’avoir pas accueilli l’amour de la vérité qui leur aurait valu d’être sauvés » (2 Th 2, 10).

  1. a) L’Écriture sainte

On s’est réclamé des Saintes Écritures pour défendre aussi bien le petit nombre des élus qu’un salut universel, et même une restitution de tous les êtres doués de raison ou apocatastase. Compte tenu du fait que notre point de départ est celui d’un salut partiel, voire d’un grand nombre de réprouvés, on ne prendra pas ici en considération les passages scripturaires convoqués par les tenants d’un salut (plus ou moins) universel. Au vu de l’écheveau des argumentations en faveur des thèses en présence, essayons de dégager quelques principes de théologie biblique importants pour notre thématique.

Premier principe : le salut promis par Dieu n’est pas inconditionnel. Déjà l’ancienne Alliance était munie de clauses dont la transgression déclenchait une liste impressionnante de malédictions (cf. Lv 26, 14-39 ; Dt 28, 15-68). Le psaume 15 (14) décrit le comportement requis pour habiter la sainte montagne de Dieu. Jésus rappelle la nécessité d’observer les commandements pour « entrer dans la vie » (Mt 19, 17) et prévient explicitement ses disciples que les seules déclarations incantatoires arguant d’une prétendue proximité spirituelle avec le Christ-Juge ne sont pas à même d’éviter la condamnation au jour du jugement, si l’on persiste dans l’iniquité (cf. Mt 7, 21-23 ; Lc 13, 25-27). De son côté, He 5, 9 enseigne que le Christ « est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel ». C’est aussi pourquoi la proclamation du royaume de Dieu est indissociablement liée à l’appel à la conversion (cf. Mt 3, 2 ; Mc 1, 15), conversion dont on ne verrait la nécessité si le salut, et donc le pardon des péchés, étaient acquis d’office. En effet, comme l’observe justement Jean-Hervé Nicolas, « la prédication apostolique dès le commencement a étroitement lié la rémission des péchés par le sang du Christ, qu’elle annonçait, à la conversion et au repentir auxquels tous étaient appelés. Jamais il n’a été dit que le sacrifice du Christ dispensait de la conversion personnelle »[67]. À cet égard, il est important de ne pas confondre salut gratuit et salut inconditionnel. Il vaut la peine de citer ici Herbert Vorgrimler, dont l’affirmation est d’autant plus crédible qu’elle provient de quelqu’un pour qui l’enfer relève du mythe :

Le bavardage au sujet d’un Jésus doucereux qui aurait annoncé un Dieu inconditionnellement débonnaire, aujourd’hui largement répandu dans les Églises chrétiennes, est incontestablement une projection scientifiquement intenable d’un être-accueilli sans risque. Dans la science historique on ne met nulle part en doute que Jésus a parlé d’une miséricorde de Dieu, certes sans limites, mais non sans conditions, et que pour Jésus la venue du règne de Dieu présupposait nécessairement le jugement de Dieu[68].

Ce qui vient d’être dit vaut aussi pour l’apôtre Paul, pour lequel le salut serait inconcevable sans l’adhésion au Christ par la foi, que tous n’ont pas (cf. 2 Th 3, 2 ; voir aussi Rm 10, 16 ; 1 Tm 1, 19 ; 4, 1 ; 6, 10.21). Un salut inconditionnel rendrait également vaines les fameuses listes de péchés, dont Paul affirme avec insistance et sans ambages que leurs auteurs « n’hériteront pas du Royaume de Dieu » (Ga 5, 21 ; cf. 1 Co 6, 9 ; Ep 5, 6 ; Col 3, 6 ; 1 Th 4, 6)[69]. On remarquera au passage que le corollaire de cette affirmation est que la damnation ne requiert pas une révolte prométhéenne contre Dieu, mais sanctionne n’importe quel péché mortel ou grave maintenu jusqu’au bout[70].

Second principe : pour les auteurs sacrés le salut est l’objet d’un réel souci, à l’opposé de certains théologiens contemporains qui demandent si une damnation éternelle est possible. On pense à la question du légiste en Lc 10, 25 : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Alors qu’une opinion largement répandue parmi les contemporains du Christ voulait que l’appartenance à la descendance charnelle d’Abraham suffise à garantir le salut, Jésus, à la suite de Jean le Baptiste (cf. Mt 3, 9), remettra en cause ce privilège illusoire (cf. Lc 13, 28-29). Le salut n’est pas donné pour acquis, il est un objectif difficile (cf. Mc 10, 24) soumis au passage d’une « porte étroite » qui, de plus, n’est pas ouverte indéfiniment (cf. Lc 13, 24-25). Cette situation exige qu’on « lutte » (Lc 13, 24 ; cf. 1 Tm 6, 12) et qu’on travaille avec « crainte et tremblement » à son salut (Ph 2, 12).

Troisième principe : le jugement tel que révélé concerne tout homme (cf. Rm 14, 10 ; 2 Co 5, 10) et débouche irrémédiablement sur une séparation entre les sauvés et les damnés. « Le retour du Christ sera l’époque des sanctions définitives, […] ce “jugement” doit s’entendre au sens strict : d’un tri ou d’une discrimination entre les bons et les mauvais », écrit le dominicain Ceslas Spicq[71]. Ce même constat se trouve chez nombre d’exégètes. Friedrich Büchsel écrit : « Le jugement universel est toujours séparation[72]. » Joachim Gnilka est plus lapidaire encore dans son grand commentaire du premier évangile : « Le jugement est séparation[73]. » Commentant la péricope du jugement dernier en Mt 25, 31-46, Gérard Claudel a écrit plus récemment que « l’acte du jugement […] consiste essentiellement en une opération de séparation »[74]. L’existence d’un tel jugement implique logiquement celle de la réprobation de certains : « Jésus ne parle pas seulement de l’enfer comme d’une réalité menaçante ; il annonce que lui-même “enverra ses anges jeter dans la fournaise ardente les fauteurs d’iniquité” (Mt 13, 41s) et prononcera la malédiction : “Loin de moi, maudits, au feu éternel !” (Mt 25, 41)[75]. »

Quatrième principe : la doctrine de la rétribution établit une corrélation entre l’existence terrestre et le devenir post mortem. On en trouve une formulation solennelle en Mt 16, 27 : « Le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père, et alors il rendra à chacun selon sa conduite. » Cette rétribution, qui a Dieu ou le Christ pour auteur, s’applique fondamentalement au bien et au mal commis (cf. Jn 5, 29 ; 2 Co 5, 10), selon le principe : « Ce que l’on sème, on le récolte : qui sème dans sa chair, récoltera de la chair la corruption ; qui sème dans l’esprit, récoltera de l’esprit la vie éternelle » (Ga 6, 7-8)[76]. La parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare en est une illustration saisissante (cf. Lc 16, 19-31). On peut donc dire avec Georg Kraus que « les bonnes ou les mauvaises œuvres des hommes ont une fonction essentielle, parce qu’elles sont la mesure pour le salut éternel et la perdition éternelle, lors du jugement définitif de chacun en particulier »[77].

Ce principe de la rétribution ou du jugement selon les œuvres a des conséquences importantes. Premièrement, la perspective d’une vie après la mort ainsi entendue ne relativise pas la vie terrestre, comme on l’a souvent reproché au christianisme, mais lui confère, au contraire, toute sa dignité et son sérieux, en lestant les décisions qui y sont prises de leur poids d’éternité. La vie terrestre est décisive parce qu’elle prépare à une condition définitive. Deuxièmement, ce principe institue l’homme comme étant responsable de son salut. Cette responsabilité fondamentale, conséquence d’une vraie liberté (cf. Si 15, 14.16-17), doit être maintenue jusqu’au bout, même en cas de choix négatif, ce qui n’exclut pas que, dans des cas particuliers, des actes graves puissent être perpétrés par ignorance (cf. Lc 23, 34 ; Ac 3, 17 ; 1 Tm 1, 13). On peut citer ici l’exégète John Paul Meier :

La possibilité de la damnation signifie simplement que Dieu prend l’homme au sérieux et appelle l’homme à répondre à son offre de vie avec un suprême sérieux. L’eschatologie signifie qu’en définitive, nous sommes responsables de nos décisions libres. Seul un enfant en train de jouer reste à crier : « Ce n’était qu’un tir d’essai ; cela ne comptait pas ! » L’eschatologie dit que cela compte[78].

Troisièmement, s’il est vrai qu’« il y a sémination et germination dans le temps de ce qui fructifie dans l’éternité » et que, « dès lors, entre les deux états, il ne saurait y avoir d’hétérogénéité », pour reprendre les mots de Charles Journet[79], on peut se demander si un salut universel ne supposerait pas un monde différent de ce qu’il est en réalité. On objectera qu’on peut vivre mal et se convertir in extremis, comme le bon larron, ou que les apparences des hommes et du monde ne reflètent pas nécessairement leur état véritable, puisque des péchés objectivement graves peuvent ne pas l’être, subjectivement parlant. Nous répondons que ces objections valent certainement dans des cas particuliers, mais ne sauraient justifier une loi générale englobant toutes les situations. Dans cette éventualité, en effet, le lien entre la vie présente et la vie future serait rompu, ce qui serait contraire à l’Écriture. Un état du monde totalement équivoque, ne nous disant absolument rien de son état réel, est une impossibilité métaphysique et théologique. Il contredirait en effet le caractère intelligible d’un monde que la raison humaine est capable d’appréhender et de “soumettre” (cf. Gn 1, 28), parce qu’ordonné par l’activité créatrice du Logos divin. Sans cela, on ne comprendrait pas non plus pourquoi Jésus avait reproché à ses opposants de ne pas savoir interpréter les signes des temps (cf. Mt 16, 3).

Parvenu à ce point, il nous semblerait incorrect d’éviter complètement le champ (miné) de la question du nombre des sauvés dans l’Écriture. On devra se limiter ici à quelques brèves observations. On relèvera tout d’abord la présence de ladite question dans le Nouveau Testament. En effet, un inconnu demande à Jésus en Lc 13, 23 : « Seigneur, est-ce le petit nombre qui sera sauvé ? » Cette interrogation s’inscrit dans le contexte des spéculations rabbiniques sur l’extension du salut et, plus largement, du courant apocalyptique du judaïsme qui retenait généralement que le monde à venir était réservé à un (très) petit nombre[80]. La réponse de Jésus est plutôt de nature à renforcer l’inquiétude de son interlocuteur. Loin de s’en tenir à une exhortation à lutter pour entrer par « la porte étroite », il ajoute un dit prophétique[81] (passage de l’impératif au futur) : « car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne pourront pas » (Lc 13, 24). La compréhension spontanée d’autres passages suggère que beaucoup d’hommes se perdent ; qu’on pense simplement à Mt 7, 13-14 où il est dit que le chemin qui mène à la perdition est plus fréquenté que celui qui mène à la vie.

Ajoutons quelques considérations autour du fameux dit en Mt 22, 14 : « Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus ». Quoi qu’il en soit de l’interprétation discutée de cet aphorisme, Edmond Boissard relevait la Wirkungsgeschichte considérable de ce verset en faveur du petit nombre des sauvés[82]. Pour des raisons philologiques, Boissard voyait en Mt 22, 14 un sémitisme qu’il proposait de rendre par : « plus nombreux les appelés, plus rares les élus »[83]. Il s’agirait seulement de signifier qu’il y a moins d’élus que d’appelés, sentence qui se vérifierait déjà, à la limite, si un seul homme se perdait. Joachim Jeremias a maintenu, au contraire, la compréhension spontanée de la finale de la parabole du festin nuptial, s’achevant sur le contraste entre l’ampleur de l’appel et celle de l’élection : « L’invitation de Dieu englobe tous sans exception, mais le nombre de ceux qui subsistent dans le jugement final n’est que petit[84]. » Cela n’empêche pas, bien sûr, que ce « petit nombre », relativement parlant, puisse être « immense », absolument parlant (cf. Ap 7, 9 ; 19, 1.6). Plus récemment, Ulrich Luz, retenant que dans le texte matthéen grec la pointe se situe précisément sur le « peu » renforçant l’avertissement, proposait le commentaire qui suit :

Pour Israël comme pour l’Église de la gentilité, il vaut que tous sont invités, mais quelques-uns seulement sont sauvés. L’opposition entre “beaucoup” et “peu” veut renforcer l’avertissement comme en [Mt] 7, 13-14. Il ne s’agit donc pas ici d’un principe doctrinal théorique concernant l’élection divine. Pour le juif Matthieu, il est évident que les hommes sont libres dans leur volonté, et qu’ils ont la possibilité d’éprouver à travers leurs œuvres leur vocation par Dieu et d’œuvrer pour leur élection. Sa préoccupation est liée au fait qu’un très grand nombre d’hommes ne font pas cela, comme le montre l’histoire d’Israël et comme le font craindre les expériences dans la communauté[85].

De manière plus générale, dans un article publié en 1979, Richard J. Bauckham retenait que l’exégèse contemporaine s’est prononcée nettement en défaveur de l’idée d’un salut universel (absolument parlant) dans le Nouveau Testament[86]. Il est important de relever que cette conclusion est corroborée indirectement par le fait surprenant que beaucoup d’auteurs, y compris parmi ceux qui réduisent la séparation eschatologique entre sauvés et réprouvés à une hypothèse, admettent que Jésus a toujours parlé d’un jugement à deux issues. À titre d’exemple, Karl Rahner écrit : « Jésus présente cet enfer de telle manière qu’il se réalise effectivement lors du jugement dernier, tant pour le particulier – comme chez le mauvais riche – que pour un grand nombre d’hommes[87]. » On pourrait encore citer Hans Urs von Balthasar[88], le dogmaticien protestant Emil Brunner[89] ou, plus récemment, Hansjürgen Verweyen[90] (Joseph Ratzinger étant un peu moins affirmatif)[91].

Étant donné la fermeté des évangiles concernant l’issue du jugement, on comprend que c’est généralement aux écrits du corpus paulinien que l’on fait appel pour justifier la perspective d’un salut universel. On invoquera notamment la surabondance de la grâce en Rm 5-6 ; 8 ; 11, 32, la résurrection de tous dans le Christ en 1 Co 15, 22, l’universelle soumission à Dieu en 1 Co 15, 24-28 ; Ph 2, 9-11 ou encore l’universelle récapitulation et réconciliation dans le Christ en Ep 1, 9-10 ; Col 1, 13-23. La piste paulinienne en faveur de l’universalisme est-elle plausible ? Sur le plan de la critique interne, on devra, pour commencer, garder à l’esprit que les évangiles sont « le cœur de toutes les Écritures » et occupent à ce titre « une place unique » dans l’Église[92]. C’est à leur lumière que doivent être lus ces « points obscurs » dans les lettres de Paul, dont il est dit en 2 P 3, 16 que certains les détournent de leur sens, en suggérant notamment que le salut des chrétiens était déjà pleinement acquis, indépendamment de leur comportement moral[93]. Au demeurant, l’Apôtre s’est situé lui-même au sein de la tradition évangélique qui lui venait « du Seigneur » (1 Co 11, 23), d’où l’impossibilité de faire de lui l’inventeur d’un nouveau christianisme, pour ainsi dire “paulinien”[94].

Concernant l’eschatologie paulinienne (qui n’existe d’ailleurs pas comme un ensemble systématique), on notera ensuite avec Peter Stuhlmacher que « le discours répété du Christ comme le juge messianique du monde exclut que Paul ait entretenu l’attente d’une réconciliation cosmique universelle, qui unifie à la fin des temps tous les hommes et toute créature avec Dieu »[95]. Par ailleurs, concernant la question spécifique de la perdition, « même si Paul ne propose pas de description imagée de l’enfer, il parle cependant en toute clarté de la perdition éternelle après le jugement final »[96]. Au lieu de parler de géhenne, terme peu familier aux destinataires de ses lettres, il use pour cela d’un vocabulaire plus abstrait, tel que phthora (ruine, destruction, anéantissement, corruption, cf. 1 Co 3, 17 ; Ga 6, 8), thanatos (mort, cf. 2 Co 2, 16 ; 7, 10 ; Rm 6, 21 ; 8, 6.13), apôleia (perdition, cf. Rm 2, 12 ; 9, 22 ; Ph 1, 28 ; 3, 19), apollumenois (ceux qui se perdent, cf. 1 Co 1, 18 ; 2 Co 2, 15 ; 4, 3 ; 2 Th 2, 10), olethros (perte, ruine, anéantissement, cf. 1 Th 5, 3 ; 2 Th 1, 9 ; 1 Tm 6, 9), katargein (faire disparaître, détruire)[97], orgê et thumos (colère, fureur, cf. Rm 2, 8). Si Paul n’envisage souvent que le sort des croyants dont il peut supposer un attachement réel au Christ[98], il est cependant conscient que tous n’ont pas ces dispositions : « Il en est beaucoup […] qui se conduisent en ennemis de la croix du Christ : leur fin sera la perdition » (Ph 3, 18-19)[99]. Le dossier concernant la damnation dans la littérature paulinienne est donc loin d’être inconsistant et, de ce fait, ne permet pas de faire de saint Paul une voie dépassant la séparation eschatologique présente dans les évangiles.

  1. b) L’antiquité chrétienne

On se limitera ici à quelques considérations succinctes, en se concentrant sur la question de savoir si l’espérance d’un salut universel peut se réclamer de certains auteurs de l’antiquité chrétienne. Pour y répondre, nous proposons de procéder schématiquement en trois étapes.

Première étape : les Pères apostoliques, postapostoliques et les apologistes (Ier-IIIe siècles). Avec Tarald Rasmussen, on peut observer que « le discours sur l’enfer est ici largement marqué par un simple réalisme biblique »[100]. Autant dire que la perspective d’un possible salut de tous les hommes est ici complètement absente. Les premiers chrétiens ont un sens aigu de la rétribution et donc des conséquences ultraterrestres opposées, selon les choix posés au cours de cette vie. Dans la plus ancienne apologie qui nous soit parvenue, Aristide écrit ainsi vers 124 / 125 :

Et si un juste d’entre eux quitte le monde, ils se réjouissent, rendent grâce à Dieu, et accompagnent sa dépouille lorsqu’il part de cette contrée vers l’autre. […] Mais s’ils voient l’un d’entre eux mourir dans son impiété ou dans ses péchés, ils pleurent amèrement sur lui, gémissant de ce qu’il s’en va recevoir sa sentence[101].

Saint Justin Martyr présente la doctrine du châtiment éternel comme déjà traditionnelle : « Selon la doctrine que nous avons reçue, seuls accèdent à l’immortalité ceux qui vivent proches de Dieu une vie sainte et vertueuse, mais ceux qui vivent dans l’iniquité et refusent de se convertir, nous croyons qu’ils sont punis dans le feu éternel[102]. » Le même apologiste, qui parle fréquemment de l’enfer, semble être, au demeurant, le premier à en proposer une justification rationnelle, ainsi lorsqu’il écrit : « Si le Verbe de Dieu a indiqué à l’avance que certains, anges et hommes, seraient assurément châtiés, c’est parce qu’il savait déjà qu’ils deviendraient irrémédiablement mauvais, et non point parce que Dieu les avait créés tels[103]. »

Une compréhension généralement très littérale de l’adage extra Ecclesiam nulla salus dans tout le premier christianisme[104], de même que l’hostilité d’un monde persécuteur, peuvent expliquer une indéniable sévérité en matière de salut à cette époque. Se référant aux apologistes du IIe siècle, Robert Joly va jusqu’à écrire que « les premiers chrétiens croyaient très naturellement – puisqu’ils ne formaient que de petites minorités – que la majorité des hommes iraient en enfer »[105]. On peut aussi citer dans le même sens Henri-Irénée Marrou :

Les chrétiens d’autrefois n’éprouvaient pas à l’égard de l’enfer la pusillanimité dont témoigne l’apologétique moderne ; plus loyaux que n’est parfois celle-ci, ils ne dissimulaient rien des sévérités dogmatiques, estimant sans doute au contraire que la gravité de l’enjeu donnait à l’option chrétienne tout son sérieux[106].

Seconde étape : Les Pères de l’Église et autres auteurs chrétiens des premiers siècles. Il est incontestable qu’il a existé, surtout en Orient, un courant non négligeable en faveur d’une restitution universelle ou apocatastase, comprenant la destruction finale du mal et la réintégration de toutes les créatures douées de raison, même de celles condamnées à la géhenne, dans leur état de félicité originelle. On pense en particulier à Clément d’Alexandrie, Origène, Grégoire de Nazianze (partiellement), Grégoire de Nysse, Ambroise de Milan (partiellement) et Jérôme (partiellement). Quelques remarques à ce sujet :

1/ Les écrits des auteurs mentionnés présentent souvent une certaine ambiguïté dans la mesure où ils combinent une perspective universaliste avec des textes plus classiques intégrant le châtiment éternel. Ainsi, pour ne parler que de Clément d’Alexandrie, selon un fragment arménien du Quis dives salvetur, « les hommes qui persistent dans le mal défendu […] seront jetés dehors, ligotés avec de lourdes chaînes, puis conduits dans le feu éternel. Beaucoup se repentiront alors inutilement »[107]. Aussi, Carlo Nardi et Patrick Descourtieux vont-ils jusqu’à écrire que « l’eschatologie clémentine présente sans ambiguïté la double possibilité de perdition et de salut »[108].

2/ Les hésitations quant à l’existence d’un châtiment éternel ne surviennent qu’au iiie siècle avec Clément d’Alexandrie, représentant en ce sens un phénomène second, en discontinuité avec une tradition déjà consolidée, d’où les résistances que rencontrera l’universalisme dès ses débuts. Se référant à la doctrine sur l’enfer des auteurs antérieurs à Clément d’Alexandrie et Origène, Giovanni Filoramo a reconnu avec justesse qu’« avec l’école d’Alexandrie et en particulier avec Origène, cette fidélité aux données bibliques connaît une rupture significative »[109]. On peut regretter, en ce sens, que Balthasar ait pratiquement fait l’impasse sur ces auteurs, lorsqu’il a voulu souligner le fondement patristique de l’universalisme. Plus récemment, Ilaria Ramelli s’est employée à démontrer la présence de l’idée d’apocatastase chez de très nombreux auteurs chrétiens, à partir du Nouveau Testament jusqu’à Scot Érigène. En dépit de la grande érudition et de l’ampleur de cette recherche, les sondages effectués au sujet de saint Justin et de saint Cyprien, dont l’auteur omet les nombreux textes sur la damnation éternelle, suggèrent une tendance à tirer certains auteurs dans un sens universaliste[110].

3/ La perspective de restauration universelle développée par certains Pères ou d’autres auteurs de l’antiquité chrétienne ne correspond pas à la thèse de “l’espérance pour tous” contemporaine. Trois différences, au moins, les distinguent. La première concerne la géhenne. Celle-ci est confondue en quelque sorte avec le purgatoire chez certains auteurs anciens : des hommes y sont condamnés, mais en sont finalement libérés après de très longues et très pénibles peines purificatrices. Au contraire, les partisans contemporains de l’espérance d’un salut universel maintiennent généralement le caractère définitif des peines de l’enfer, mais espèrent que personne n’y soit condamné. Les premiers remettent donc en cause l’éternité de l’enfer (“enfer temporaire”), tandis que les seconds doutent de l’existence de la damnation de certains hommes (“enfer vide”). La seconde différence concerne l’étendue du salut espéré, les premiers englobant, en règle générale, toutes les créatures raisonnables, démons compris, tandis que les seconds se limitent ordinairement au salut de tous les hommes. La troisième différence porte sur le degré de certitude du salut universel : alors que certains anciens le considéraient comme une issue nécessaire au terme de l’histoire du salut, certains contemporains se contentent généralement de le présenter comme un objet d’espérance.

Troisième étape : le discernement de la “grande Église”. De manière générale, on peut retenir avec Joseph Ratzinger que, si l’attente d’une restauration ou réconciliation universelle n’a certes pas été absente chez plusieurs auteurs importants des premiers siècles chrétiens, « la tradition de la grande Église a pris une autre voie », constatant que cette attente provenait fondamentalement du système philosophique et non de l’Écriture[111]. (On pense notamment au schéma cyclique d’inspiration platonicienne, selon lequel la fin est toujours semblable au commencement[112].) En ce sens, bien que les hésitations anciennes de certains auteurs quant à l’existence d’une peine éternelle ne puissent être minimisées, elles sont cependant loin d’avoir pu former un réel consensus. Il est significatif à cet égard que la grande synthèse dogmatique élaborée en Orient par saint Jean Damascène à la fin de l’âge patristique s’achève sur un schéma traditionnel de séparation eschatologique, lors de la résurrection des morts et du jugement dernier[113]. La même chose vaut pour saint Grégoire le Grand, avec lequel l’eschatologie patristique latine parvint à sa configuration définitive. Nous en concluons que l’espérance d’un salut universel, tel qu’on l’entend aujourd’hui, n’a de fondement ni dans l’antiquité chrétienne ni dans la tradition subséquente, au cours de laquelle la double issue du jugement ne sera plus remise en cause.

  1. c) Le magistère ecclésiastique

Le Magistère est habituellement le parent pauvre dans la discussion autour de la possibilité d’un salut universel. En règle générale, les théologiens se contentent d’affirmer rapidement que le Magistère se limite à enseigner 1/ l’existence de l’enfer, 2/ son éternité et 3/ que celui qui meurt en état de péché mortel est damné, en s’empressant toutefois d’ajouter que l’Église n’a jamais affirmé d’une personne concrète qu’elle se trouve effectivement dans cet état, alors qu’elle a canonisé beaucoup de ses membres. Cette dernière affirmation n’implique cependant pas que la réalisation de la damnation dans l’absolu demeure incertaine, étant donné que la Révélation peut évidemment affirmer l’existence de réprouvés sans en dévoiler l’identité. Au reste, si l’Église ignorait jusqu’à l’existence des réprouvés, comment pourrait-elle reconnaître que Dieu peut en dévoiler l’identité par une révélation particulière[114] ? On peut avancer, pour le moins, les deux motifs suivants pour lesquels l’autorité ecclésiastique ne procède pas à des canonisations “à rebours” : En premier lieu, les réprouvés ne possèdent pas le rôle d’exemplarité des saints, qui est d’entraîner les hommes exclusivement vers le salut. En second lieu, il manque dans leur cas le critère du miracle (ou du martyre), compte tenu du moindre pouvoir du mal par rapport au bien surnaturel de la grâce et surtout de la séparation des réprouvés d’avec la communion des saints et d’avec le Christ, véritable auteur des miracles (cf. Ac 3, 6.12-16).

Si le Magistère n’a pas défini qu’il existe (ou existera) des hommes damnés, ce n’est pas en raison d’une incertitude à ce sujet, mais au contraire parce que cette existence allait de soi. Il est clair, par ailleurs, que seule « quelques vérités » (quaedam veritates) ont fait l’objet d’une définition en bonne et due forme[115]. (L’existence de Satan, par exemple, n’a pas été définie en tant que telle, parce que même les hérétiques ne la niaient pas[116].) De très nombreux textes magistériels s’inscrivent clairement dans un schéma de séparation eschatologique, présupposant ainsi l’existence de réprouvés. Contentons-nous ici de deux exemples. Le Symbole Quicumque, dit de saint Athanase (ve siècle), qui bénéficiera d’une réception exceptionnelle, affirme qu’à la venue du Christ « tous les hommes ressusciteront avec [dans] leurs corps et rendront compte chacun de leurs actes ; ceux qui ont bien agi iront dans la vie éternelle, mais [- !] ceux qui auront mal agi, au feu éternel »[117]. La définition de foi du concile de Latran IV (1215) établit :

Il [le Christ] viendra à la fin des temps juger les vivants et les morts et rendre à chacun selon ses œuvres, aussi bien aux réprouvés qu’aux élus. Tous ressusciteront avec leur propre corps qu’ils ont maintenant, pour recevoir, selon ce qu’ils auront mérité en faisant le bien ou en faisant le mal, les uns un châtiment sans fin avec le diable, les autres une gloire éternelle avec le Christ[118].

Il serait parfaitement arbitraire d’affirmer que ces textes, et d’autres du même genre, voulaient dire, en fait, que les justes entreront dans la vie éternelle, tandis que, s’il devait y en avoir, les impies hériteraient de la mort éternelle. Avec le grand dogmaticien Michael Schmaus, il convient de retenir, au contraire, que « dans ces textes, on ne constate pas seulement avec autorité que Dieu a menacé les impies de l’enfer éternel. Bien plus, les dépositaires du magistère ecclésiastique professent en eux, au nom de toute l’Église, la révélation du Christ au sujet de l’enfer »[119]. Cette affirmation vaut également pour la condamnation de l’apocatastase lors du synode de Constantinople en 543 : « Si quelqu’un dit ou pense que le châtiment des démons et des impies [asebôn anthrôpôn] est temporaire, et qu’il prendra fin après un certain temps, ou bien qu’il y aura restauration [apokatastasin] des démons et des impies, qu’il soit anathème[120]. » Là encore, il serait tout à fait artificiel d’accorder une existence objective aux démons et seulement hypothétique aux hommes impies nommés dans la foulée, comme si le texte avait déclaré : « Si quelqu’un dit ou pense que le châtiment des démons et, s’il y en a, des impies est temporaire… ». Ce qui vient d’être dit est corroboré par la manière dont le concile de Florence (1442) mentionne et confirme la condamnation de l’apocatastase par le second concile de Constantinople en 553 :

Elle [la très sainte Église romaine] embrasse aussi, approuve et reçoit le cinquième saint synode, le deuxième de Constantinople, […] où beaucoup d’erreurs d’Origène et de ses adeptes, surtout sur le repentir et la délivrance des démons et des autres damnés [aliorumque damnatorum], ont été réprouvées et condamnées[121].

Il s’agit là d’un excellent exemple manifestant clairement la conscience qu’a l’Église de ce que les diables ne sont pas les seules créatures damnées (voir aussi les textes du magistère ordinaire ou extraordinaire cités plus haut, dans la section intitulée “L’évidence d’un salut partiel”). On notera au passage que le Catéchisme de l’Église catholique parle au moins à deux reprises des « damnés » sans employer le conditionnel, notamment lorsqu’il affirme que « Jésus n’est pas descendu aux enfers pour y délivrer les damnés ni pour détruire l’enfer de la damnation mais pour libérer les justes qui L’avaient précédé »[122].

Conclusion : quelle espérance ?

L’un des reproches que l’on peut faire aux tenants de la thèse de “l’espérance pour tous” est de laisser cette formule trop imprécise. S’agit-il d’espérer le salut de chaque personne sur le plan individuel ou de tous les hommes au sens collectif ? L’espérance concerne-t-elle tous les hommes vivants, encore in statu viae, ou englobe-t-elle également les hommes défunts, déjà in statu termini, de même que les hommes à venir, et par conséquent la totalité absolue des hommes qui auront existé ? Enfin, l’espérance dont il est question correspond-elle à la vertu de l’espérance théologale proprement dite ou désigne-t-elle plutôt un “grand désir” ou un souhait humain ?

Pour notre part, il convient de rappeler tout d’abord que l’espérance théologale repose sur la foi en les promesses divines, comme la résurrection des morts[123] ; or un salut universel ne fait pas partie de ces promesses[124]. Au contraire, le dernier livre inspiré ne s’achève pas sans mentionner l’expulsion des agents d’iniquité hors de la Jérusalem céleste et leur condamnation à la seconde mort : « Dehors les chiens et les magiciens, les impudiques et les meurtriers, les idolâtres et quiconque aime ou pratique le mensonge ! » (Ap 22, 15 ; cf. 21, 8.27).

Parce que le Christ est mort pour tous et parce que le salut est promis à tous ceux qui se convertissent, croient au Christ, reçoivent le baptême et font le bien (voir par exemple Mc 16, 16 ; Jn 3, 16 ; 5, 29)[125], il est possible d’espérer pour chaque homme vivant en particulier qu’il soit sauvé, même pour celui qui, au moment présent, ne remplit pas les conditions du salut (en effet, « on ne doit désespérer de personne en cette vie, si l’on considère la toute-puissance et la miséricorde de Dieu »)[126]. Par contre, nous concluons des développements précédents que le donné scripturaire, traditionnel et magistériel ne permet pas d’appliquer la catégorie de l’espérance proprement dite à un salut de tous les hommes, absolument parlant, ce qui n’empêche aucunement d’entretenir un désir a priori que tout homme soit sauvé. Avec Leo Scheffczyk, il faut considérer “l’espérance pour tous” comme relevant d’un souhait humain, d’une certaine tendance naturelle qui peut nous faire désirer même ce qui est impossible (comme de ne pas mourir, cf. 2 Co 5, 4)[127]. Selon saint Thomas, « l’homme, en effet, peut désirer même des choses qu’il ne juge pas possible d’obtenir, mais de ces réalités-là il ne peut pas y avoir d’espérance »[128]. De ce point de vue, l’espérance visera à ce que la volonté (conditionnelle) universelle de salut fructifie en un salut effectif chez le plus grand nombre d’hommes possible.

Pour autant, le maintien d’une discrimination eschatologique entre sauvés et réprouvés n’interdit pas de reconnaître des aspects valables dans l’opinion discutée dans la présente contribution. Si nous considérons que l’espérance d’un salut universel relève, en réalité, d’un souhait ou d’un désir a priori, celui-ci n’est cependant pas privé de signification ou de valeur. Il peut être compris, positivement, comme un écho, en quelque sorte, de la volonté salvifique universelle de Dieu et, négativement, comme une manifestation de la répugnance naturelle que suscite en nous la réalité de la damnation éternelle, et qui ne peut certainement pas être traitée par le mépris. D’aucuns ajouteraient peut-être que le fait de suspendre son jugement quant à l’existence de la damnation correspondrait davantage à l’humilité qui s’impose face au jugement réservé à Dieu[129]. Il est possible de répondre à cela, d’une part, qu’il convient d’accueillir la révélation divine non seulement avec humilité, mais aussi avec un esprit de foi et de courage, et, d’autre part, qu’il serait faussement humble de persister à déclarer inconnu ce que Dieu a révélé (cf. Dn 12, 2 ; Jn 5, 29 ; 15, 15). Et puis, saint Paul aurait-il manqué d’humilité pour avoir affirmé : « Il en est beaucoup, je vous l’ai dit souvent et je le redis aujourd’hui avec larmes, qui se conduisent en ennemis de la croix du Christ : leur fin sera la perdition » (Ph 3, 18-19) ?

Par ailleurs, s’il est juste d’évaluer la thèse de “l’espérance pour tous” avec l’empathie requise, une approche équilibrée ne manquera pas d’identifier également les aspects problématiques, bien réels, de la thèse en question. On songe notamment au risque de projeter un monde onirique où le péché mortel ne serait jamais réalisé ou dans lequel tous les pécheurs se convertiraient avant leur mort, comme aussi au risque d’une perte de zèle pour le salut des âmes, dont la perte est considérée “infiniment improbable”. La thèse de “l’espérance pour tous” est séduisante, certes, mais elle nous semble aussi d’autant plus dangereuse qu’elle risque de réduire l’avertissement de l’enfer à un flatus vocis. Car s’il n’est pas sûr que même un seul homme soit damné, cette incertitude vaut également pour les plus grands criminels de l’histoire. Par conséquent, l’homme de la rue, qui ne se range certainement pas parmi les Eichmann, les Beria ou autres Vassili Blokhin, ne se sentira plus réellement concerné par la possibilité de se perdre, et vivra en conséquence. En effet, si cette possibilité est considérée comme infinitésimale, elle n’influera pratiquement pas sur l’organisation concrète de notre vie. Ainsi, la plupart des gens n’hésitent pas à prendre l’avion, tout en sachant qu’il existe une probabilité, certes infime, mais réelle, qu’il s’écrase. À plus forte raison le prendront-ils dans l’hypothèse où l’on ignorerait si un seul avion s’est jamais écrasé.

Par analogie avec le pari pascalien, nous dirions pour clore notre propos que, abstraction faite du fondement de l’existence de la réprobation dans l’Écriture, la Tradition et – dans une certaine mesure – le Magistère, l’affirmation de cette existence est plus avantageuse que sa mise en doute. En effet, tandis que celle-ci tend à favoriser un relâchement dangereux pour le salut dans le cas où il y a des damnés, celle-là favorise la vigilance, bénéfique même dans le cas où il n’y en aurait pas. À l’heure où le principe de protection et autres normes de sécurité sont invoqués de manière obsessionnelle et imposés souvent de manière tyrannique dans les moindres détails de la vie quotidienne, il serait pour le moins étrange (comme l’avait bien vu Guardini), pour ne pas dire absurde ou scandaleux, que de jauger l’enjeu éternel de notre vie avec plus de légèreté que les choses de ce monde qui « passe » (1 Jn 2, 17).

Mgr Christophe J. Kruijen.

Résumé. — Par le passé, il allait de soi que tous les hommes ne seront pas sauvés, et même, généralement, que seul un petit nombre d’entre eux le sera. Après une lente érosion de ces convictions, surtout à partir du xixe siècle, depuis les années 1950 s’est diffusée parmi les théologiens l’opinion contraire selon laquelle il est possible d’espérer un salut universel, et donc que personne ne sera damné. Bien que largement répandue, l’opinion dite de “l’espérance pour tous” ne fait pas l’unanimité et peut être contestée à partir des données de la Sainte Écriture, de la tradition des Pères et du Magistère.

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Abstract. — In the past it was considered self-evident that all men are not saved and even that, generally speaking, only a small number of them will be saved. Following the slow erosion of these convictions especially from the 19th century on, the contrary opinion has, since the 1950’s, spread among theologians, according to which it is possible to hope for universal salvation, in other words, that no one will be damned. Even if widespread, this opinion “hoping that all be saved” is not unanimous and may be opposed from the data of Holy Scripture, the tradition of the Fathers and the Magisterium.

Mgr Christophe J. Kruijen est prêtre du diocèse de Metz. Sa thèse de théologie (Angelicum, Rome, 2009), rédigée sous la direction du Père Charles Morerod, O.P., porte sur le salut universel et la damnation dans la théologie contemporaine (prix “Henri de Lubac” 2010 ; publication en cours). Il travaille auprès de la Congrégation pour la doctrine de la foi depuis 2009.

[1] Romano Guardini, Les fins dernières, trad. Françoise Demenge, Versailles, Éditions Saint-Paul, 1999, p. 39 (original : Die letzten Dinge, Die christliche Lehre vom Tode, der Läuterung nach dem Tode, Auferstehung, Gericht und Ewigkeit, « Topos plus Taschenbücher, 461 », Mainz, Matthias-Grünewald-Verlag, 42002 [1re éd. : Würzburg, Werkbund-Verlag, 1940], p. 36-37).

[2] Missale Romanum ex decreto SS. Concilii Tridentini restitutum summorum pontificium cura recognitum, Editio typica 1962, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana (réimpression), p. [115], Orationes diversae nº 35, « pro vivis et defunctis », Secrète : « Deus, cui soli cognitus est numerus electorum in superna felicitate locandus. » Saint Thomas d’Aquin se réfère à ce texte dans Sum. theol., Ia, q. 23, a. 7, c.

[3] Thomas d’Aquin, Sum. theol., Ia, q. 19, a. 6, arg. 1 : « Deus vult omnes homines salvos fieri, et ad agnitionem veritatis venire. Sed hoc non ita evenit. » Les textes de la Somme sont cités d’après : Summa theologiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 21988.

[4] Blaise Pascal, Écrits sur la grâce (incipit), dans id., Œuvres complètes, éd. Jacques Chevalier, « Bibliothèque de la Pléiade, 34 », Paris, Gallimard, 1954, p. 947-1044 [p. 948]. Le soulignement est dans le texte.

[5] Marcel Richard, art. « Enfer », Dictionnaire de théologie catholique [abrégé : DThC], t. 5/1 (1939), col. 92.

[6] Louise-Marie Antoniotti, « La volonté divine antécédente et conséquente selon saint Jean Damascène et saint Thomas d’Aquin », RT 65 (1965), p. 52-77 [p. 52].

[7] Cf. Albert Michel, art. « Élus (Nombre des) », DThC, t. 4/2 (1939), col. 2350-2378 et, en particulier, col. 2364-2367.

[8] Jean Delumeau, Le péché et la peur, La culpabilisation en Occident (xiiie-xviiie siècles), Paris, Fayard, 1983, p. 317.

[9] Jean-Baptiste du Petit-Bornand, « Encore la question du nombre des élus. Simples notes », Études franciscaines 15 (1906), p. 400-414, 615-626 ; 16 (1906), p. 147-162, 293-308 [16 (1906), p. 147]. Ajoutons à titre d’exemples deux auteurs défendant encore la thèse du petit nombre des élus au cours des première décennies du xxe siècle : Bernard Maréchaux, Du nombre des élus, Paris, Poussielgue, 1901 ; Étienne Hugueny, « Le scandale édifiant d’une exposition missionnaire », RT 38 (1933), p. 217-242, 533-567.

[10] Nous avons remplacé « et » par « mais », conformément à l’original qui a « ma ».

[11] Catéchisme de saint Pie X, Premières notions – Petit catéchisme – Grand catéchisme – Instruction sur les fêtes – Petite histoire de la religion, Bouère, Dominique Martin Morin, 2004, p. 112 (original : Compendio della dottrina cristiana prescritto da sua Santità Papa Pio X alle diocesi della provincia di Roma, Roma, Tipografia Vaticana, 21906, p. 106).

[12] Pietro Gasparri, Catéchisme catholique pour adultes précédé du catéchisme pour les petits enfants, Chabeuil, C.P.C.R., 1959, p. 86 (original : Catechismus catholicus, Cura et studio Petri cardinalis Gasparri concinnatus, Typis Polyglottis Vaticanis, 111933, p. 117-118).

[13] Concile de Trente, 6e session (13 janvier 1547), Décret sur la justification, chap. 3 (Heinrich Denzinger, Peter Hünermann [et Joseph Hoffmann pour l’édition française] [éd.], Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Cerf, 1997 [abrégé : DH], nº 1523).

[14] Concile de Quierzy (mai 853), chap. 3 (DH, nº 623). Le Catéchisme de l’Église catholique [abrégé : CÉC] cite au nº 605 la suite de ce texte, en omettant cependant les mots (soulignés par nous) exprimant la dimension partielle du salut effectif : « Il n’y a, il n’y a eu et il n’y aura aucun homme pour qui il [le Christ] n’ait pas souffert, bien que tous pourtant ne soient pas rachetés par le mystère de sa Passion » (ibid., chap. 4 [DH, nº 624]).

[15] Catechismus Romanus seu catechismus ex decreto Concilii Tridentini ad parochos Pii Quinti Pont. Max. Iussu editus, 2, 4, 24 (éd. Pedro Rodríguez, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana ; Barañain-Pamplona, Ediciones Universidad de Navarra, 1989, p. 250) : « [Nam] si eius virtutem inspiciamus, pro omnium salute sanguinem a Salvatore effusum esse fatendum erit; si vero fructum quem ex eo homines perceperint, cogitemus, non ad omnes, sed ad multos tantum eam utilitatem pervenisse facile intelligemus. […] Recte ergo factum est ut pro universis non diceretur, cum hoc loco tantummodo de fructibus passionis sermo esset, quae salutis fructum delectis solum attulit. »

[16] Sum. theol. , Ia, q. 23, a. 3, c. (cf. q. 19, a. 6, arg. 1) : « Deus aliquos reprobat. »

[17] Ibid., q. 23, a. 7, ad 3 : « Pauciores sunt qui salvantur. »

[18] Ibid. : « […] aliquos in illam salutem erigit, a qua plurimi deficiunt. »

[19] Cf. ibid., q. 19, a. 6, ad 1.

[20] Cf. Bruno H. Vandenberghe, « L’âme de Chrysostome », La vie spirituelle 99 (1958), p. 255-281 [p. 268].

[21] Cf. Augustin, De civitate Dei, XXI, 9, 1.

[22] Leonardus Lessius (Lenaert Leys), De perfectionibus moribusque divinis opusculum in quo pleraque sacrae theologiae mysteria explicantur, 13, 25, nº 163 (éd. P. Roh, Friburgi Brisgoviae, Herder, 1861, p. 453) : « Quatuor sunt mysteria nostrae sanctissimae fidei maxime difficilia creditu menti humanae; mysterium Trinitatis, Incarnationis, Eucharistiae, et aeternitatis suppliciorum. »

[23] Pierre Teilhard de Chardin, Le milieu divin, Essai de vie intérieure, « Œuvres de Pierre Teilhard de Chardin, 4 », Paris, Seuil, 1957, p. 189.

[24] Cf. Albert Michel, art. « Élus (Nombre des) »…, col. 2367.

[25] Cf. Georges Minois, Histoire des enfers, Paris, Fayard, 1991, p. 311-319 ; id., Histoire de l’enfer, « Que sais-je ?, 2823 », Paris, Presses Universitaires de France, 21999, p. 93-94, 108-111.

[26] Cf. Guillaume Cuchet, « Une révolution théologique oubliée. Le triomphe de la thèse du grand nombre des élus dans le discours catholique du xixe siècle », Revue d’histoire du xixe siècle 41 (2010), p. 131-148.

[27] Cf. 71e conférence dans Henri-Dominique Lacordaire, Conférences de Notre-Dame de Paris, IV, Paris, Sagnier et Bray, 1851, p. 147-183 ; Guillaume Cuchet, « Une révolution théologique oubliée »…, p. 131, 135-138. Quelques années plus tard, le célèbre Oratorien anglais Frederick William Faber, en s’appuyant notamment sur Lacordaire, soutint que « la grande majorité des catholiques sont sauvés » (Le Créateur et la créature ou les merveilles de l’amour divin, II, trad. M. l’abbé de Valette, Paris, Ambroise Bray, 1858, p. 113 et, plus largement, p. 111-170 (original : The Creator and the creature, or, the wonders of divine love, London, Thomas Richardson and Son, 41856, p. 338 et, plus largement, p. 337-393).

[28] Guillaume Cuchet, « Une révolution théologique oubliée »…, p. 147.

[29] Cf. Michael N. Ebertz, « Die Zivilisierung Gottes und die Deinstitutionalisierung der ‘Gnadenanstalt’ », Kölner Zeitschrift für Soziologie und Sozialpsychologie. Sonderhefte 33 (1993), p. 92-125 ; id., Die Zivilisierung Gottes, Der Wandel von Jenseitsvorstellungen in Theologie und Verkündigung, Ostfildern, Schwabenverlag, 2004.

[30] Cf. Jérôme, Débat entre un luciférien et un orthodoxe (Altercatio luciferiani et orthodoxi), 19 (« Sources chrétiennes » [abrégé : SC] 473, trad. Aline Canellis, Paris, Cerf, 2003, p. 158). « Universaliste » et « universalisme » visent ici non ce qui a trait à la volonté salvifique universelle de Dieu, mais l’affirmation de la possibilité ou même de la réalité d’un salut effectif de tous les hommes.

[31] Pierre Teilhard de Chardin, Le milieu divin…, p. 189 : « Vous m’avez dit, mon Dieu, de croire à l’enfer. Mais vous m’avez interdit de penser, avec absolue certitude, d’un seul homme, qu’il était damné. Je ne chercherai donc pas […] à savoir qu’il en [des damnés] existe. »

[32] Otto Karrer, Im ewigen Licht, Betrachtungen über die letzten Wirklichkeiten, München, Ars sacra, 1934, p. 88, cité d’après Leo Scheffczyk, « Der Irrweg der Allversöhnungslehre », dans Johannes Stöhr (Hrsg.), Die letzten Dinge im Leben des Menschen, Theologische Überlegungen zur Eschatologie. Internationales theologisches Symposium an der Universität Bamberg 12-13.11.1992, St. Ottilien, EOS Verlag, 1994, p. 96-106 [p. 99].

[33] Henri Rondet, Y a-t-il un enfer ?, Le Puy, sans éditeur, 1943, p. 23.

[34] Edith Stein, « Freiheit und Gnade », dans Beate Beckmann-Zöller et Hans Rainer Sepp (Hrsg.), „Freiheit und Gnade“ und weitere Beiträge zu Phänomenologie und Ontologie (1917 bis 1937), « Edith Stein Gesamtausgabe, 9 », Freiburg i. Br., Herder, 2014, p. 8-72 [p. 32-33]. Ce texte, situé autrefois vers 1932, avait été publié pour la première fois en 1962 sous le titre erroné : « Die ontische Struktur der Person und ihre erkenntnistheoretische Problematik », dans Lucy Gelber et Romaeus Leuwen (Hrsg.), Welt und Person. Beitrag zum christlichen Wahrheitsstreben, « Edith Steins Werke, 6 », Louvain, Nauwelaerts, 1962, p. 137-197 [p. 158-159].

[35] Gaston Rotureau, art. « Élus (Nombre des) », Catholicisme, t. 4 (1956), col. 33.

[36] Josef Loosen, art. « Apokatastasis – II. Dogmatisch-dogmengeschichtlich », Lexikon für Theologie und Kirche, t. 1 (1957), col. 711-712 : « Daß Menschen verlorengehen können, damit muß eindeutig gerechnet werden. Ob einige und ob wenige oder viele tatsächlich verlorengehen, darüber läßt uns die Offenbarung im ungewissen. »

[37] Karl Rahner, art. « Hölle », Sacramentum mundi, Theologisches Lexikon für die Praxis, t. 2 (1968), col. 737 : « Wir haben die Sätze von der Macht des allgemeinen Heilswillens Gottes, der Erlösung aller durch Christus, der Pflicht der Heilshoffnung für alle und den Satz von der wahren Möglichkeit ewiger Verlorenheit unverrechnet nebeneinander aufrechtzuerhalten. »

[38] Cf. Karl Rahner, « Principes théologiques relatifs à l’herméneutique des affirmations eschatologiques », dans id., Écrits théologiques, IX, trad. Robert Givord, Paris, Desclée de Brouwer, 1968, p. 141-170 [p. 162, note 1] (original : « Theologische Prinzipien der Hermeneutik eschatologischer Aussagen », dans id., Schriften zur Theologie, IV, Einsiedeln, Benzinger, 21961, p. 401-428 [p. 421, note 15]). Pour le devoir d’espérer un salut universel, voir aussi id., « Hinüberwandern zur Hoffnung. Grundsätzliches über die Hölle », Entschluß 39 (2/1984), p. 7-11 [p. 8, 10].

[39] Cf. Hans Urs von Balthasar, Espérer pour tous, trad. Henri Rochais et Jean-Louis Schlegel, Paris, Desclée de Brouwer, 1987 (original : Was dürfen wir hoffen?, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1986) ; id., L’enfer, Une question, trad. Jean-Louis Schlegel, Paris, Desclée de Brouwer, 1988 (original : Kleiner Diskurs über die Hölle, Ostfildern, Schwabenverlag, 1987). Voir en particulier le septième et dernier chapitre du second ouvrage, intitulé : « Le devoir d’espérer pour tous ».

[40] Hermann-Josef Lauter, Pastoralblatt, Köln, 1982, p. 101, cité dans Hans Urs von Balthasar, Épilogue, trad. Camille Dumont, Bruxelles, Culture et vérité, 1997, p. 90 (original : Epilog, Trier, Johannes Verlag Einsiedeln, 1987, p. 98).

[41] Par exemple, sur les sept ouvrages allemands consacrés à l’eschatologie et recensés dans Matthias Remenyi, « Unaufgeregt innovativ. Aktuelle Beiträge zur Eschatologie », Theologische Revue 107 (2011), col. 179-198, aucun ne maintient la double issue du jugement, sans parler d’autres aspects problématiques qu’on y trouve, telles la “résurrection dans la mort” (i.e. coïncidant avec la mort) ou l’annihilation (“mort totale”) des mauvais.

[42] John R. Sachs, « Current Eschatology: Universal Salvation and the Problem of Hell », Theological Studies 52 (1991), p. 227-254 [p. 233] : « […] the position held by virtually all Catholic theologians who have recently written on these themes. » L’auteur écrit plus loin : « We may and must hope that all men and women will in fact be saved » (ibid., p. 241).

[43] Bernard Sesboüé, La résurrection et la vie, Petite catéchèse sur les choses de la fin, Paris, Desclée de Brouwer, 2004, p. 163.

[44] Christoph J. Amor, « Streitfall Hölle. Zur neueren problem of hell-Debatte », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie 59 (2012), p. 197-222 [p. 221]. Ajoutons cette affirmation d’un théologien carme : « Aujourd’hui, la majorité des théologiens sont d’accord pour affirmer que l’on doit espérer pour tous les hommes une issue heureuse du jugement » (Jean-Baptiste Lecuit, La Croix, 13-14 avril 2013, p. 14).

[45] Cf. Paul O’Callaghan, Cristo, speranza per l’umanità, Un trattato di Escatologia cristiana, Roma, EDUSC, 2012, p. 239, 275-276.

[46] Cf. Regis Scanlon, « The Inflated Reputation of Hans Urs von Balthasar », New Oxford Review 67 (mars 2000), p. 17-24 ; Dale Vree, « “If Everyone Is Saved…” », New Oxford Review 68 (janvier 2001), p. 28-36 (opposés à la position de Balthasar) ; Richard John Neuhaus, « Will All Be Saved? », First Things 115 (aôut-septembre 2001), p. 77-80 (en faveur de la position de Balthasar). Voir un aperçu synthétique de ce débat dans Avery Dulles, « The Population of Hell », First Things 133 (mai 2003), p. 36-41 [p. 40].

[47] Hans Urs von Balthasar, Kleiner Diskurs über die Hölle…, p. 25. Le traducteur a rendu l’expression par « partisan[s] de la solution infernale » (L’enfer…, p. 25).

[48] Carlos Miguel Buela, « Un infierno “light” », Diálogo 15 (1996), p. 119-156 [p. 146-147]. L’article est disponible sur http://www.padrebuela.org/un-infierno-light/ (page consultée le 4 mars 2015).

[49] Cf. Charles Journet, Le mal, Essai théologique, Paris, Desclée de Brouwer, 21962, p. 231-232, note 1 ; id., L’Église du Verbe incarné, IV. Essai de théologie de l’histoire du salut, Paris, Saint-Augustin, 2004, p. 262-263, 269-270, 286-287 ; Leo Scheffczyk, « Apokatastasis: Faszination und Aporie », Internationale katholische Zeitschrift Communio 14 (1985), p. 35-46 ; id., « Allversöhnung oder endgültige Scheidung? Zum Glauben an den doppelten Ausgang der Menschheitsgeschichte », dans Franz Breid (Hrsg), Die letzten Dinge, Referate der „Internationalen theologischen Sommerakademie 1992“ des Linzer Priesterkreises in Aigen/M., Steyer, Ennsthaler, 1992, p. 95-132 ; id., « Der Irrweg der Allversöhnungslehre »…, p. 96-106 ; Jean-Hervé Nicolas, « Miséricorde et sévérité de Dieu », RT 88 (1988), p. 181-214, 533-555 [p. 208, 533, 538, 552-553] ; id., « La volonté salvifique de Dieu contrariée par le péché », RT 92 (1992), p. 177-196 [p. 186].

[50] Voir ainsi, entre autres : Johann Auer, Das Evangelium der Gnade, Die neue Heilsordnung durch die Gnade Christi in seiner Kirche, « Kleine katholische Dogmatik, 5 », Regensburg, Pustet, 31980 ; Wilhelm Schamoni, « Wider den Wahn von der leeren Hölle », Theologisches 17 (11/1987), col. 16-21 ; (12/1987), col. 55-59 ; 18 (1988), col. 94-96 ; Johannes Rothkranz, Die Kardinalfehler des Hans Urs von Balthasar, Mit einem Vorwort von Prof. Dr. Walter Hoeres, Durach, Pro Fide Catholica, 21989 ; James T. O’Connor, « Von Balthasar et le salut », Pensée catholique nº 247 (juillet-août 1990), p. 42-56 (original : « Von Balthasar and salvation », Homiletic and pastoral review 89 [juillet 1989], p. 10-21) ; Louis-Marie de Blignières, Les fins dernières, Bouère, Dominique Martin Morin, 21994 ; Anton Ziegenaus, Die Zukunft der Schöpfung in Gott, Eschatologie (= Leo Scheffczyk et Anton Ziegenaus, Katholische Dogmatik, VIII), Aachen, MM Verlag, 1996 ; Jean-Marc Bot, Osons reparler de l’enfer, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2002 ; François Reckinger, Alle, alle in den Himmel?, Die sperrige Wahrheit im Evangelium, Altenberge, Oros, 2002 ; Manfred Hauke, « Auf den Spuren des Origenes. Größe und Grenzen Hans Urs von Balthasars », Theologisches 35 (2005), col. 554-562 ; Guy Pagès, Judas est en enfer !, Réponses à Hans Urs von Balthasar et à Hans-Joseph Klauck, Paris, O.E.I.L. – F.-X. de Guibert, 2007 ; Giovanni Cavalcoli, « La negazione dell’inferno nella teologia di K. Rahner e di E. Schillebeeckx », Fides catholica 3 (2008), p. 433-468 ; Guillaume de Menthière, Quelle espérance d’être sauvé ?, Petit traité de la rédemption, Paris, Salvator, 2009 ; Ignacio Andereggen, « Inferno vuoto? Un confronto con l’infernologia di Hans Urs von Balthasar », Fides catholica 4 (2009), p. 415-444 ; les auteurs (dont Brunero Gherardini) réunis dans Inferno e dintorni, È possibile un’eterna dannazione?, La verità escatologica dell’inferno e le sue implicazioni antropologico-teologiche, A cura di Serafino M. Lanzetta, Siena, Cantagalli, 2010 ; Philippe-Marie Margelidon, Les fins dernières, De la résurrection du Christ à la résurrection des morts, Perpignan, Artège, 2011 ; Ralph Martin, Will Many Be Saved?, What Vatican II Actually Teaches and Its Implications for the New Evangelization, Grand Rapids, MI, – Cambridge (UK), Eerdmans, 2012.

[51] Cándido Pozo, Teología del más allá, « Biblioteca de autores cristianos, 282 », Madrid, La Editorial Católica, 21980, p. 453-454 : « Aparece hoy, a veces, queriendo, sin embargo, salvaguardar la verdad dogmática de la existencia del infierno, la tendencia a pensar en él como en una hipótesis más que como en una realidad existencial. No se quiere negar la existencia del infierno, pero se manifiesta la inclinación a pensar que no hay condenados de hecho. »

[52] Johann Baptist Metz, « Kampf um jüdische Traditionen in der christlichen Gottesrede », Kirche und Israel 2 (1987), p. 14-23 [p. 16] : « Es scheint, daß in der gegenwärtigen christlichen Theologie die Lehre von der Allversöhnung allmählich den Rang einer unbestrittenen Hintergrundsannahme gewinnt. »

[53] Même si le choix de mettre en avant le concile Vatican II comme pivot est contestable, redonnons ces lignes de Karl J. Becker, De gratia, Roma, Pontificia Università Gregoriana, 31998, p. 187 : « Prima del Concilio era del tutto chiaro che Dio voleva salvare tutti, ma anche, che non salva tutti, perché non appartenevano alla Chiesa, perché non credevano, perché erano peccatori. […] Adesso si ritiene che tutti difatti si salvano, cattolici o cristiani non-cattolici, pagani o atei. »

[54] Bernhard Lang, art. « Hölle », Neues Handbuch theologischer Grundbegriffe, t. 2 (2005), p. 173 : « Wer die Botschaft von der Vergebung ernst nimmt, kann an keine Hölle glauben. »

[55] On pense à ces lignes de Louis Bouyer (en 1948 !) dans « Christianisme et eschatologie », La vie intellectuelle 16 (octobre 1948), p. 6-38 [p. 28] : « Nous conservons un enfer pour nous mettre en règle avec des textes trop clairs ; mais nous assurons les gens privément que personne ne risque d’y aller. »

[56] Paul O’Callaghan, Cristo, speranza per l’umanità…, p. 268 : « Al giorno d’oggi la maggior parte degli autori considerano l’inferno come una possibilità estrema, una eccezione. »

[57] Ottmar Fuchs, Das Jüngste Gericht, Hoffnung auf Gerechtigkeit, Regensburg, Pustet, 22009, p. 73. Voir aussi p. 122-123, 148.

[58] Leo Scheffczyk, « Der eine Heilsweg und die vielen Religionen », dans Franz Breid (Hrsg), Beten alle zum selben Gott?, Referate der „Internationalen theologischen Sommerakademie 1999“ des Linzer Priesterkreises in Aigen/M., Steyer, Ennsthaler-Verlag, 1999, p. 50-78 [p. 72] : « […] wo ja die atmosphärisch verbreitete Allerlösungslehre eine eigentliche Furcht wegen eines Heilsverlustes von Menschen gar nicht mehr aufkommen lässt. »

[59] Gustave Martelet, L’Au-delà retrouvé, Édition nouvelle entièrement refondue, Paris, Desclée, 1998, p. 150.

[60] Hans Urs von Balthasar, Billet du 27 juillet 1984, en réponse à Gerhard Hermes, Der Fels 15 (1984), p. 250 : « Die Frage ist, ob Menschen radikal sagen können, sie wollten auf ewig nichts mit der Liebe Gottes zu tun haben. »

[61] Hans Urs von Balthasar, La dramatique divine, IV. Le dénouement, Namur, Culture et vérité, 1993, p. 274 (original : Theodramatik, IV. Das Endspiel, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1983, p. 273). Traduction légèrement revue d’après l’original.

[62] Cf. Michael Greiner, « Für alle hoffen? Systematische Überlegungen zu Hans Urs von Balthasars eschatologischem Vorstoß », dans Magnus Striet et Jan-Heiner Tück (Hrsg.), Die Kunst Gottes verstehen, Hans Urs von Balthasars theologische Provokationen, Freiburg i. Br., Herder, 2005, p. 228-260 [p. 260] ; Richard Schenk, « The Epoché of Factical Damnation? On the Costs of Bracketing Out the Likelihood of Final Loss », Logos 1 (3/1997), p. 122-154 [p. 135-136].

[63] Kevin L. Flannery, « How to Think About Hell », New Blackfriars 72 (1991), p. 469-481 [p. 473] : « If Balthasar is right, we need not hope for universal salvation: it could not not be. »

[64] Roch Kereszty, « Response to Professor Scola », Communio. International catholic review 18 (1991), p. 227-236 [p. 229-230] : « My reservation regarding his position comes from the suspicion that the logic of his thought leads not just to hope, but to a (consciously denied but logically inescapable) certainty for the salvation of all. »

[65] Cf. Alyssa Lyra Pitstick, Light in Darkness, Hans Urs von Balthasar and the Catholic Doctrine of Christ’s Descent into Hell, Grand Rapids, MI – Cambridge (UK), Eerdmans, 2007, p. 263-274, 337, 343.

[66] André Darrieutort et Pierre Grelot, art. « Impie », Vocabulaire de théologie biblique (71991), col. 568 : « Plus encore que dans l’AT, le châtiment de cette impiété est maintenant une certitude. » Et de même Cándido Pozo, Teología del más allá…, p. 432 : « En el Nuevo Testamento, la seriedad del anuncio del castigo escatológico no va a ser, en modo alguno, atenuada; se insistirá netamente en ella. »

[67] Jean-Hervé Nicolas, « Miséricorde et sévérité de Dieu »…, p. 200.

[68] Herbert Vorgrimler, Geschichte der Hölle, München, Fink, 21994, p. 13 : « Das in den christlichen Kirchen heute weithin übliche Gerede von einem überaus sanften Jesus, der einen bedingungslos gutmütigen Gott verkündet hätte, ist zweifellos eine wissenschaftlich nicht haltbare Projektion eines risikofreien Angenommenseins. In der historischen Wissenschaft wird nirgendwo bezweifelt, daß Jesus zwar von einem grenzenlosen, aber nicht von einem bedingungslosen Erbarmen Gottes gesprochen hat, und daß für Jesus das Kommen der Gottesherrschaft unweigerlich das Gericht Gottes zur Voraussetzung hatte. »

[69] Pour les listes de péchés, voir en particulier 1 Co 6, 9-10 ; Ga 5, 19-21 ; Ep 5, 5 ; Col 3, 5.

[70] Cf. CÉC, nº 1035 ; Jean-Paul II, Lettre encyclique Veritatis splendor (6 août 1993), nº 70. Matthias Premm écrivait : « Also wird über jede schwere Sünde, und nicht etwa bloß über Sünden „mit erhobener Faust“, die Hölle als Strafe verhängt » (Katholische Glaubenskunde, Ein Lehrbuch der Dogmatik, IV. Gnade, Tugenden, Vollendung, Wien, Herder, 21958, p. 628).

[71] Ceslas Spicq, Théologie morale du Nouveau Testament, I, « Études bibliques », Paris, Gabalda, 1965, p. 345.

[72] Friedrich Büchsel, art. « χρἰσις », Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, t. 3 (1938), p. 943 : « Das Weltgericht ist immer Scheidung. »

[73] Joachim Gnilka, Das Matthäusevangelium, II, « Herders Theologischer Kommentar zum Neuen Testament, 1/2 », Freiburg i. Br., Herder, 1988, p. 372 : « Gericht ist Scheidung. »

[74] Gérard Claudel, « Le Jugement comme révélation chez Matthieu. Une lecture de Mt 25, 31-46 », dans Le jugement dans l’un et l’autre Testament, II, Mélanges offerts à Jacques Schlosser, Textes réunis par Claude Coulot avec la collaboration de Denis Fricker, Postface de Mgr Joseph Doré, « Lectio divina, 198 », Paris, Cerf, 2004, p. 51-97 [p. 70].

[75] Jean-Marie Fenasse et Jacques Guillet, « Enfers & enfer », Vocabulaire de théologie biblique (71991), col. 355.

[76] Jean-Pierre Lémonon commente : « L’homme qui choisit des œuvres en harmonie avec la chair […] marche vers la dégradation définitive, la mort à jamais » (L’épître aux Galates, « Commentaire biblique : Nouveau Testament, 9 », Paris, Cerf, 2008, p. 190).

[77] Georg Kraus, « Gnadenlehre – Das Heil als Gnade », dans Wolfgang Beinert (Hrsg.), Glaubenszugänge, Lehrbuch der katholischen Dogmatik, III, Paderborn, Schöningh, 1995, p. 157-305 [p. 291] : « Die guten oder bösen Werke der Menschen haben eine entscheidende Funktion, weil sie beim definitiven Gericht jedes Einzelnen den Maßstab für ewiges Heil und Unheil bilden. »

[78] John Paul Meier, Matthew, « New Testament Message, 3 », Wilmington, DE, Glazier, 1980, p. 305-306 : « The possibility of damnation simply means that God takes man seriously and calls man to respond to his offer of life with supreme seriousness. Eschatology means that, in the end, we are responsible for our free decisions. Only a child playing a game keeps crying: “That was only a practice-shot; it didn’t count!” Eschatology says it does count. »

[79] Charles Journet, Le mal…, p. 211-212.

[80] Quelques citations du quatrième livre d’Esdras (environ entre 70 et 100 de notre ère) devront suffire : « Le Très-Haut a fait le monde présent pour beaucoup (d’hommes), mais le monde futur pour peu (d’entre eux) » (8, 1). « Beaucoup sont créés, mais peu sont sauvés » (8, 3). « Ceux qui périssent sont en plus grand nombre que ceux qui seront sauvés, comme le flot l’emporte sur une goutte » (9, 15-16). Voir encore 7, 47.60-61 ; 8, 55 ; 9, 21-22 ; 10, 10, ainsi que Testament d’Abraham, 11, 5-12, où à peine une âme sur 7000 est sauvée.

[81] Luke Timothy Johnson parle de « prophetic pronouncement » (The Gospel of Luke, « Sacra Pagina Series, 3 », Collegeville, MN, The Liturgical Press, 1991, p. 216).

[82] Edmond Boissard, « Notes sur l’interprétation du texte “Multi sunt vocati, pauci vero electi” », RT 52 (1952), p. 569-585 [p. 569] : « Si, en effet, pendant de longs siècles, la grande majorité des Pères et des théologiens ont parlé du petit nombre des élus comme d’une chose généralement admise, c’est dans le texte de saint Matthieu 22, 14, qu’il faut en voir la raison principale. »

[83] Ibid., p. 581.

[84] Joachim Jeremias, art. « πολλοί », Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, t. 6 (1959), p. 542 : « Gottes Einladung umfaßt […] alle ohne Einschränkung, aber die Zahl derer, die im Endgericht bestehen, ist nur klein. »

[85] Ulrich Luz, Das Evangelium nach Matthäus, III, « Evangelisch-katholischer Kommentar zum Neuen Testament, 1/3 », Zürich, Benzinger ; Neukirchen, Neukirchener Verlag, 1997, p. 246 : « Sowohl für Israel als auch für die Heidenkirche gilt, daß alle eingeladen, nur einige aber gerettet werden. Das Gegenüber von “vielen” und “wenigen” will wie in 7,13f die Warnung einschärfen. Es geht dabei also nicht um einen theoretischen Lehrgrundsatz über die göttliche Erwählung. Für den Juden Matthäus ist es selbstverständlich, daß die Menschen in ihrem Willen frei sind und die Möglichkeit haben, durch ihre Werke ihre Berufung durch Gott zu bewähren und für ihre Erwählung zu wirken. Seine Sorge gilt der Tatsache, daß sehr viele Menschen dies nicht tun, wie die Geschichte Israels zeigt und die Erfahrungen in der Gemeinde befürchten lassen. »

[86] Richard J. Bauckham, « Universalism: a historical survey », Themelios 4 (2/1979), p. 48-54 [p. 52] : « In this century […] exegesis has turned decisively against the universalist case. Few would now doubt that many NT texts clearly teach a final division of mankind into saved and lost. »

[87] Karl Rahner, « Hinüberwandern zur Hoffnung »…, p. 8 : « Jesus stellt diese Hölle so dar, daß sie beim Letzten Gericht sowohl für den einzelnen – wie beim reichen Prasser – als auch für eine große Zahl von Menschen tatsächlich eintritt. »

[88] Hans Urs von Balthasar, Espérer pour tous…, p. 26 (original : Was dürfen wir hoffen?…, p. 24) : « Le Jésus qui a parlé aux juifs du jugement de Dieu l’a toujours présenté, conformément à leur mentalité, comme un jugement à deux issues. » La traduction, qui a : « deux issues possibles », a été rectifiée d’après l’orignal.

[89] Emil Brunner, La doctrine chrétienne de Dieu (= Dogmatique, I), Genève, Labor et Fides, 1964, p. 374 (original : Die christliche Lehre von Gott [= Dogmatik, I], Zürich, Zwingli Verlag, 21953, p. 380) : « L’Écriture ne parle pas du salut de tous, mais au contraire d’un jugement suivi d’une double issue : salut et perdition. »

[90] Hansjürgen Verweyen, « Was ist die Hölle? Fragen in der Spur Hans Urs von Balthasars », Internationale katholische Zeitschrift Communio 37 (2008), p. 254-270 [p. 265] : « Die Aussicht auf ein alle Menschen umfassendes Heil, das Gott trotz aller Sünde aus reiner Gnade wirkt, ist nicht Teil dieser [Jesu] Verkündigung. »

[91] Cf. Joseph Ratzinger, art. « Hölle – V. Systematik », Lexikon für Theologie und Kirche, t. 5 (1960), col. 448.

[92] CÉC, nos 125, 127. Cf. Concile Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum, nº 20.

[93] Cf. 1 Co 6, 12. John Paul Meier, Jésus et le divorce (original : A Marginal Jew, Rethinking the Historical Jesus, IV. Law and Love, New York, etc., Doubleday, 2009), trad. Dominique Barrios, Charles Elhinger et Noël Lucas. Textes inédits traduits de l’anglais par Laure Mistral, Paris, Cerf, 2015, p. 75 : « L’un des problèmes récurrents à Corinthe venait de ce que nombre de chrétiens enthousiastes récemment convertis du paganisme s’imaginaient pleinement sauvés en leur être le plus intérieur. Relevés spirituellement d’entre les morts, ils mènent déjà la vie céleste, angélique, des derniers jours (“eschatologie surréalisée”) ; le péché n’a donc et ne peut avoir aucune prise sur eux et rien de ce qu’ils font avec leur vieux corps terrestre n’a le moins du monde à voir avec leur salut, déjà accompli. »

[94] Cf. Étienne Trocmé, « Paul, fondateur du christianisme ? », dans Aux origines du christianisme, Textes présentés par Pierre Geoltrain, « Folio/Histoire, 98 », Paris, Gallimard – Le monde de la Bible, 2000, p. 390-399 ; Benoît XVI, Audience générale, 3 mai 2006. Voir aussi Juan José Bartolomé, « Paolo come problema. Il ‘paolinismo’ dilemma del cristianesimo », Salesianum 71 (2009), p. 7-50, 213-237 [p. 213-237]. Peter Stuhlmacher observe que la doctrine de Paul ne peut être isolée ou absolutisée dans le canon, mais a besoin d’être précisée et, en partie, complétée à la lumière de l’ensemble de la tradition biblique (cf. Biblische Theologie des Neuen Testaments, I. Grundlegung, Von Jesus zu Paulus, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 32005, p. 391).

[95] Peter Stuhlmacher, Biblische Theologie des Neuen Testaments, I.…, p. 308 (voir aussi p. 324) : « Die wiederholte Rede von Christus als dem messianischen Weltenrichter schließt aus, daß Paulus die Erwartung einer kosmischen Allversöhnung gehegt hat, die am Ende der Zeiten alle Menschen und alle Kreatur mit Gott vereint. »

[96] Josef Finkenzeller, « Eschatologie », dans Wolfgang Beinert (Hrsg.), Glaubenszugänge, Lehrbuch der katholischen Dogmatik, III, Paderborn, Schöningh, 1995, p. 525-671 [p. 642] : « Wenn Paulus auch keine bildliche Beschreibung der Hölle bietet, so spricht er doch mit aller Deutlichkeit vom ewigen Unheil nach dem Endgericht. » Voir aussi à ce sujet Simon Légasse, « Saint Paul croyait-il à l’enfer ? », Bulletin de littérature ecclésiastique 98 (1997), p. 181-184 ; id., « Le jugement dernier chez Paul », dans Le jugement dans l’un et l’autre Testament…, p. 255-263 [p. 257-258, 260-261].

[97] Sont concernés les « princes de ce monde », hommes et / ou démons (1 Co 2, 6), les puissances spirituelles mauvaises et la mort (1 Co 15, 24.26), ainsi que « l’homme impie », c’est-à-dire le fils de la perdition (2 Th 2, 3.8).

[98] Ainsi, selon Ernest Allo, en 1 Co 15 « Paul ne s’occupe absolument que de ceux qui seront appelés à la vie de gloire, conforme à celle du Christ ressuscité. Il laisse, en tout ce chapitre, les damnés dans l’ombre » (Saint Paul, Première épître aux Corinthiens, « Études bibliques », Paris, Gabalda, 1934, p. 442-443).

[99] Les commentateurs comprennent habituellement le telos de Ph 3, 19 comme la « fin », la conclusion d’un processus, au sens où « la destinée des ennemis de la croix, lors du jugement dernier, sera la destruction éternelle » (Camille Focant, Les lettres aux Philippiens et à Philémon, « Commentaire biblique : Nouveau Testament, 11 », Paris, Cerf, 2015, p. 175). Focant ne retient pas cette interprétation eschatologique, mais attribue ici à telos le sens de « but », de finalité d’une entreprise. La phrase viserait ainsi une interprétation de la situation actuelle des ennemis de la croix du Christ, dont la manière de vivre est perdition pour eux, tant qu’ils la maintiennent (cf. ibid.).

[100] Tarald Rasmussen, art. « Hölle – II. Kirchengeschichtlich », Theologische Realenzyklopädie, t. 15 (1986), p. 449 : « Die Rede von der Hölle ist hier weithin von einem einfachen biblischen Realismus geprägt. »

[101] Aristide, Apologie, 15, 9 (traduction du texte syriaque) (SC 470, trad. Bernard Pouderon, Marie-Joseph Pierre et Bernard Outtier, Paris, Cerf, 2003, p. 243).

[102] Justin, Apologie pour les chrétiens, I, 21, 6 (SC 507, trad. Charles Munier, Paris, Cerf, 2006, p. 191).

[103] Justin, Dialogue avec Tryphon, 141, 2 (éd. Philippe Bobichon, Dialogue avec Tryphon, Édition critique, I. Introduction, Texte grec, Traduction, « Paradosis. Études de littérature et de théologie anciennes, 47/1 », Fribourg, Academic Press Fribourg – Saint-Paul Fribourg Suisse, 2003, p. 561). Pour la séparation eschatologique, voir ibid., 45, 4 ; 117, 3.

[104] Cf. Robert Joly, Christianisme et philosophie, Études sur Justin et les apologistes grecs du deuxième siècle, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1973, p. 165, note 51.

[105] Ibid., p. 182.

[106] Henri-Irénée Marrou, commentaire dans À Diognète, SC 33 bis, trad. Henri-Irénée Marrou, Paris, Cerf, 21965, p. 217.

[107] Clément d’Alexandrie, Quel riche sera sauvé ?, 42, 15 (fragment 69) (SC 537, trad. Patrick Descourtieux, Paris, Cerf, 2011, p. 221).

[108] Introduction à Clément d’Alexandrie, Quel riche sera sauvé ?, SC 537, p. 45.

[109] Giovanni Filoramo, art. « Enfer », Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien, t. 1 (1990), p. 817 (nous soulignons).

[110] Cf. Ilaria L. E. Ramelli, The Christian Doctrine of Apokatastasis, A Critical Assessment from the New Testament to Eriugena, « Supplements to Vigiliae Christianae, 120 », Leiden, Brill, 2013, p. 64, 236.

[111] Joseph Ratzinger, La mort et l’au-delà, Court traité d’espérance chrétienne, trad. Henri Rochais, Paris, Fayard, 21994, p. 224 (original : Eschatologie – Tod und ewiges Leben, « Kleine katholische Dogmatik, 9 », Regensburg, Pustet, 61990, p. 177).

[112] Origène, Traité des principes, I, 6, 2 (SC 252, trad. Henri Crouzel et Manlio Simonetti, Paris, Cerf, 1978, p. 196) : « Semper […] similis est finis initiis. »

[113] Cf. Jean Damascène, La foi orthodoxe, 100 (IV, 27) (SC 540, trad. Pierre Ledrux et Georges-Matthieu de Durand, Paris, Cerf, 2011, p. 310-312).

[114] Cf. Jean-Paul II, Audience générale, 28 juillet 1999, nº 4.

[115] Congrégation pour la doctrine de la foi, Nota doctrinalis Professionis fidei formulam extremam enucleans (29 juin 1998), nº 3 (Acta Apostolicae Sedis 90 [1998], p. 544-551 [p. 545]).

[116] « Foi chrétienne et démonologie », La documentation catholique 72 (1975), p. 708-718 [p. 717] : « Il est vrai qu’au cours des siècles l’existence de Satan et des démons n’a jamais fait l’objet d’une affirmation explicite de son magistère. La raison en est que la question ne se posa jamais en ces termes : les hérétiques et les fidèles, appuyés également sur l’Écriture, s’accordaient à reconnaître leur existence et leurs principaux méfaits. » Les affirmations magistérielles concernant la réalité diabolique présupposent son existence (voir notamment DH, nos 286, 457, 800, 1333). Paul VI avait affirmé l’existence du diable au cours de l’Audience générale du 15 novembre 1972. Voir aussi Jean-Paul II, Audience générale, 28 juillet 1999, nº 4.

[117] Symbole Quicumque (vers 430-500), § 40-41 (DH, nº 76 [les crochets sont dans l’édition citée]). Le théologien protestant Wilfried Härle considère que, contrairement aux Symboles des apôtres et de Nicée, l’Athanasium soutient explicitement la doctrine de la double issue du jugement (cf. Dogmatik, Berlin, De Gruyter, 32007, p. 611, note 23).

[118] Concile de Latran IV (11-30 novembre 1215), Définition contre les albigeois et les cathares, chap. 1 (DH, nº 801).

[119] Michael Schmaus, Katholische Dogmatik, IV/2. Von den letzten Dingen, München, Hueber, 51959, p. 453 : « In diesen Texten wird nicht bloß autoritativ festgestellt, daß Gott den Gottlosen die ewige Hölle angedroht hat. Vielmehr bekennen sich in ihnen die Träger des kirchlichen Lehramtes im Namen der ganzen Kirche zur Offenbarung Christi von der Hölle. »

[120] Concile de Constantinople (543), Édit de l’empereur Justinien, Anathématismes contre Origène, § 9 (DH, nº 411).

[121] Concile de Florence, 11e session (4 février 1442), Bulle d’union des Coptes Cantate Domino (Guiseppe Alberigo [dir.], Les conciles œcuméniques, Les décrets, II/1. Nicée I à Latran V, Paris, Cerf, 1994, p. 1187 [nous soulignons]).

[122] CÉC, nº 633. L’autre référence se trouve au nº 1031 : « L’Église appelle Purgatoire cette purification finale des élus qui est tout à fait distincte du châtiment des damnés. » Le premier texte renvoie notamment à la 3e session du concile de Rome (25 octobre 745) (DH, nº 587).

[123] Cf. Bernhard Mayer, art. « ἐλπίς », Exegetisches Wörterbuch zum Neuen Testament, t. 1 (32011), col. 1069. La condition païenne implique, par conséquent, l’absence d’espérance (cf. Ep 2, 12 ; 1 Th 4, 13).

[124] Leo Scheffczyk, « Apokatastasis: Faszination und Aporie »…, p. 44 : « Diese [übernatürliche Tugend der Hoffnung] beruht auf dem Fundament des göttlichen Glaubens. Sie ist die Kraft, mit der sich der Glaube, der noch nicht am Ziele ist, auf die ihm gegebenen Verheißungen ausspannt. Weil aber der Glaube der Kirche die Verheißung der Nichtexistenz der Hölle nicht in sich trägt, kann sich aus ihm auch keine übernatürliche Hoffnung erheben. »

[125] À titre d’illustration, voir cette formulation puisée au hasard d’un manuel classique d’Adolphe Tanquerey, Précis de théologie ascétique et mystique, Paris – Tournai, Desclée & Co., 71923 et 1924, p. 2* (Appendices) : « Pour entrer dans ce royaume […] il faut faire pénitence, recevoir le baptême, croire à l’Évangile et pratiquer les commandements. » La doctrine relative à la possibilité du salut en l’absence d’appartenance visible à l’Église est ici présupposée. On pourra lire à ce sujet François Daguet, « Le salut des non-chrétiens : un cas d’herméneutique du dogme », RT 110 (2010), p. 73-111.

[126] Thomas d’Aquin, Sum. theol., IIa-IIae, q. 14, a. 3, ad 1 : « De nemine desperandum est in hac vita, considerata omnipotentia et misericordia Dei. »

[127] Cf. Leo Scheffczyk, « Irdische Zukunftserwartung und göttliche Verheiβung. Zur Identifizierung der christlichen Hoffnung », dans id., Gesammelte Schriften zur Theologie, III. Glaube in der Bewährung, St. Ottilien, EOS Verlag, 1991, p. 501-524 [p. 520-521] ; id., « Allversöhnung oder endgültige Scheidung? »…, p. 95.

[128] Thomas d’Aquin, Compendium theologiae, II, chap. 7 (Abrégé de théologie (Compendium theologiae) ou Bref résumé de théologie pour le frère Raynald, trad. Jean-Pierre Torrell, O.P., Paris, Cerf, 2007, p. 602) : « Potest enim homo desiderare etiam ea quae non aestimat se posse adipisci, sed horum spes esse non potest » (nous avons substitué « quae » à « que » et « aestimat » à « estimat »).

[129] Dans L’échelle sainte, saint Jean Climaque avait écrit qu’« il est dangereux de sonder curieusement l’abîme des jugements divins ; car les curieux naviguent sur le vaisseau de l’orgueil », non sans ajouter cependant : « Il faut pourtant en dire quelque chose, à cause de la faiblesse de beaucoup » (degré 26, 115) (L’échelle sainte, « Spiritualité orientale, 24 », trad. Placide Deseille, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine, 2007, p. 284).