À propos de l’interdiction de la communion donnée sur la langue – Sedes Sapientiæ 153 (3/2020) par Mgr C. Kruijen
À propos de l’interdiction de la communion donnée sur la langue
article paru dans Sedes Sapientiæ n° 153 (3/2020), p. 47-59
Suite à la récente épidémie de coronavirus, les évêques catholiques de nombreux diocèses ont proscrit la distribution de la communion dans la bouche. Cette décision draconienne pose de nombreuses difficultés non seulement sur le plan personnel de la conscience des fidèles et des prêtres attachés à cette manière de communier, mais également sur le plan juridique, notamment. Ces difficultés sont encore accrues pour les prêtres et les fidèles attachés à la messe dite tridentine.
Après avoir rappelé précisément la législation en vigueur en matière de distribution de la sainte communion (I), il sera possible d’aborder la question de la validité de l’interdiction de la communion sur la langue (II). Puisque le motif du risque sanitaire est avancé pour justifier l’interdiction en question, il faudra ensuite se demander si ce motif est pertinent (III), avant de détailler quelques caractéristiques de la messe célébrée selon la forme dite extraordinaire du rite romain et de leur impact sur le plan sanitaire (IV).
I. La législation en vigueur
A. L’Instruction Memoriale Domini
Le 28 octobre 1968, le Saint-Siège consulta l’épiscopat mondial sur ordre de Paul VI, notamment sur la question suivante : « Pensez-vous qu’il faille exaucer le vœu que, outre la manière traditionnelle, soit également autorisé le rite de la réception de la communion dans la main ? » Le 12 mars 1969, les résultats de la consultation furent divulgués : sur les 2136 voix exprimées, 1233 répondirent par non (57,7%), 567 répondirent par oui (26,5%), 315 répondirent iuxta modum (14,7%) et 21 votes furent déclarés nuls[1].
Suite à cette consultation, la toute nouvelle Congrégation pour le culte divin publia le 29 mai 1969 l’Instruction Memoriale Domini, que le pape fit insérer dans les Acta Apostolica Sedis. Ce document dispose notamment ce qui suit[2] :
Compte tenu de la situation actuelle de l’Église dans le monde entier, cette façon de distribuer la Sainte Communion [i. e. sur la langue] doit être conservée, non seulement parce qu’elle a derrière elle une tradition multiséculaire, mais surtout parce qu’elle exprime le respect des fidèles envers l’Eucharistie. […] Cette façon de faire, qui doit déjà être considérée comme traditionnelle, assure plus efficacement que la Sainte Communion soit distribuée avec le respect, le décorum et la dignité qui lui conviennent ; que soit écarté tout danger de profanation des espèces eucharistiques. […] Aussi, devant les demandes formulées par un petit nombre de Conférences épiscopales, et certains évêques à titre individuel, pour que sur leur territoire soit admis l’usage de déposer le Pain consacré dans les mains des fidèles, le Souverain Pontife a-t-il décidé de demander à tous les évêques de l’Église latine ce qu’ils pensent de l’opportunité d’introduire ce rite. En effet, des changements apportés dans une question si importante, qui correspond à une tradition très ancienne et vénérable, non seulement touchent la discipline, mais peuvent aussi comporter des dangers qui, comme on le craint, naîtraient éventuellement de cette nouvelle manière de distribuer la Sainte Communion, c’est-à-dire : un moindre respect pour l’auguste sacrement de l’autel ; une profanation de ce sacrement ; ou une altération de la vraie doctrine. […]
Ces réponses [à la consultation de l’épiscopat] montrent donc qu’une forte majorité d’évêques estiment que rien ne doit être changé à la discipline actuelle et que si on la changeait cela offenserait le sentiment et la sensibilité spirituelle de ces évêques et de nombreux fidèles. C’est pourquoi, compte-tenu des remarques et des conseils de ceux que « l’Esprit-Saint a constitués intendants pour gouverner » les Églises [cf. Ac 20, 28], eu égard à la gravité du sujet et à la valeur des arguments invoqués, le Souverain Pontife n’a pas pensé devoir changer la façon traditionnelle de distribuer la Sainte Communion aux fidèles. Aussi, le Saint-Siège exhorte-t-il vivement les évêques, les prêtres et les fidèles à respecter attentivement la loi toujours en vigueur et qui se trouve confirmée de nouveau, en prenant en considération tant le jugement émis par la majorité de l’épiscopat catholique que la forme utilisée actuellement dans la sainte liturgie, et enfin le bien commun de l’Église.
Mais là où s’est déjà introduit un usage différent – celui de déposer la Sainte Communion dans la main – le Saint-Siège […] confie à ces mêmes Conférences la charge et le devoir de peser avec soin les circonstances particulières qui pourraient exister, à condition cependant d’écarter tout risque de manque de respect ou d’opinions fausses qui pourraient s’insinuer dans les esprits au sujet de la Très Sainte Eucharistie, et d’éviter soigneusement tous autres inconvénients.
De plus, en pareils cas, pour que cet usage s’établisse comme il faut, les Conférences épiscopales prendront, après prudent examen, les décisions opportunes, par vote secret et à la majorité des deux tiers. Ces décisions seront ensuite soumises au Saint-Siège, pour en recevoir la nécessaire confirmation, accompagnées d’un exposé précis des causes qui les ont motivées. […]
Cette instruction, rédigée par mandat spécial du Souverain Pontife Paul VI, a été approuvée par lui-même, en vertu de son autorité apostolique, le 28 mai 1969, et il a décidé qu’elle soit portée à la connaissance des évêques par l’intermédiaire des présidents des Conférences épiscopales.
Le dernier paragraphe indique et implique que l’Instruction correspond à un acte de nature législative. Le canoniste Federico Bortoli commente à ce sujet :
Instruction de la Congrégation pour le Culte divin, Memoriale Domini a été préparée sous mandat spécial du pape Paul VI et approuvée par lui. Or nous savons bien que les dicastères de la Curie romaine jouissent uniquement du pouvoir exécutif et qu’ils ont besoin d’une délégation pontificale spécifique pour accomplir des actes de nature législative. Il nous semble bien avoir ici à faire à une intervention législative, d’abord parce que l’Instruction a été préparée par mandat spécial du Saint-Père, mais aussi parce que nous y distinguons deux actes législatifs : d’une part est confirmée une loi universelle, jusque-là non écrite, et de l’autre, simultanément, est prévue la possibilité d’y déroger. C’est la première fois dans l’histoire de l’Église que l’autorité intervient avec une telle clarté à ce sujet et approuve, en la confirmant de façon solennelle et explicite, la coutume millénaire de la communion sur les lèvres. […] On peut donc bien dire que Memoriale Domini confirme la norme universelle qui dit que la communion se reçoit sur les lèvres[3].
Il faut admettre toutefois que la faiblesse inhérente de l’Instruction en question réside dans son caractère ambivalent puisqu’au ferme refus de modifier la loi en vigueur sur la façon traditionnelle de distribuer la sainte communion aux fidèles succède, dans les deux avant-derniers paragraphes, une ouverture de la possibilité de distribuer la communion dans la main[4].
L’impression que l’Instruction Memoriale Domini a paradoxalement ouvert la porte à la diffusion généralisée de la communion donnée dans la main est renforcée par la lettre pastorale qui accompagnait ce document. Celle-ci concédait aux Conférences épiscopales qui le demandaient un indult[5] pour pouvoir distribuer la sainte communion dans la main des fidèles, moyennant un certain nombre de conditions[6] :
Tout en rappelant ce qui fait l’objet de l’Instruction ci-jointe, en date du 29 mai 1969, sur le maintien en vigueur de l’usage traditionnel, le Saint-Père a pris en considération les motifs invoqués à l’appui de Votre demande et les résultats du vote qui est intervenu à ce sujet. Il accorde que, sur le territoire de Votre Conférence épiscopale, chaque évêque, selon sa prudence et sa conscience, puisse autoriser dans son diocèse l’introduction du nouveau rite pour distribuer la Communion, à condition que soient évitées toute occasion de surprise de la part des fidèles et tout danger d’irrévérence envers l’Eucharistie [suivent un certain nombre de normes].
Il résulte de ce texte que la concession de l’indult permettant la distribution de la communion dans la main à une Conférence épiscopale donnée ne signifie pas ipso facto que cette pratique soit autorisée dans tous les diocèses de ladite Conférence, mais que chaque évêque peut, s’il le juge opportun et en conscience, permettre ce nouvel usage sur le territoire de son diocèse. De fait, quelques Conférences épiscopales, de même que quelques évêques à titre individuel, ont fait usage de la possibilité de ne pas appliquer l’indult en question. Cela a été le cas notamment de S. E. Mgr Juan Rodolfo Laise, ofm. cap., évêque de San Luis (Argentine)[7]. Dans une lettre du 7 octobre 1996, le secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, S. E. Mgr Tarcisio Bertone, faisait savoir à Mgr Laise qu’il avait agi selon le droit et qu’il n’avait pas rompu la communion ecclésiale en ne jugeant pas opportun d’appliquer l’indult dans son diocèse.
Cette lettre suggère au demeurant que le mode d’administrer l’eucharistie ne relève pas seulement du domaine disciplinaire, mais a aussi des implications doctrinales. Ainsi, les luthériens, qui partagent la notion de présence réelle eucharistique (du moins par le biais de la « consubstantiation »), ont-ils maintenu pendant plusieurs siècles, et dans certaines communautés jusqu’à nos jours (notamment aux États-Unis)[8], la distribution de la communion dans la bouche et à genoux. En revanche, les réformés ou calvinistes, pour lesquels la présence du Christ dans l’eucharistie n’est que d’ordre spirituel, supprimèrent immédiatement ce mode de communier.
De manière similaire à la Congrégation pour la doctrine de la foi, la Congrégation pour le culte divin répondit à Mgr Laise dans une lettre du 17 janvier 1997 :
Considérant que Votre Excellence avait le droit d’énoncer des dispositions selon sa conscience et sa prudence pastorale, on ne saurait affirmer que, ce faisant, il a offensé sa Conférence épiscopale, dont les attributions n’incluent pas d’imposer aux évêques une pratique spécifique en la matière.
La conséquence la plus importante des textes cités ci-dessus est que la loi universelle en vigueur dans l’Église catholique dispose jusqu’aujourd’hui que la norme est la distribution de la communion sur la langue, tandis que sa distribution dans la main n’est possible qu’en vertu d’un indult, là où celui-ci a été demandé et concédé.
La loi liturgique universelle en vigueur implique également que les fidèles ont toujours le droit de recevoir la communion sur la langue, tandis qu’il ne leur est permis de la recevoir dans la main qu’en vertu d’un indult accordé par le Saint-Siège.
B. Les documents plus récents
1. La dernière édition du missel romain
Que la communion sur la langue soit la norme, tandis que la communion donnée dans la main est une concession, cela est encore démontré par la formulation de l’Institutio generalis de la troisième édition typique du missel romain promulguée le 20 avril 2000 :
Si la communion est donnée seulement sous l’espèce du pain, le prêtre montre à chacun l’hostie en l’élevant légèrement et dit : Corpus Christi (le Corps du Christ). Le communiant répond : Amen, et reçoit le Sacrement dans la bouche ou bien, là où cela est autorisé, dans la main, selon son choix (no 161).
Par ailleurs, le même document marque une préférence pour la réception de la sainte communion à genoux, qui est mentionnée comme première option :
Les fidèles communient à genoux ou debout, selon ce qu’aura établi la Conférence des évêques. Quand ils communient debout, il leur est recommandé, avant de recevoir le Sacrement, de faire un geste de vénération approprié, que la Conférence des évêques aura établi (no 160).
Par lettre du 1er juillet 2002, la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements a signifié à la Conférence des évêques des États-Unis qu’il n’était pas possible d’interdire aux fidèles de recevoir la communion à genoux[9].
2. L’Instruction Redemptionis Sacramentum
Pour corriger les abus commis dans la célébration des sacrements en général et de l’eucharistie en particulier, la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements publia le 25 mars 2004 l’Instruction Redemptionis Sacramentum, élaborée en collaboration avec la Congrégation pour la doctrine de la foi. Cette Instruction dispose :
Tout fidèle a toujours le droit de recevoir, selon son choix, la sainte communion dans la bouche. Si un communiant désire recevoir le Sacrement dans la main, dans les régions où la Conférence des évêques le permet, avec la confirmation du Siège apostolique, on peut lui donner la sainte hostie. Cependant, il faut veiller attentivement dans ce cas à ce que l’hostie soit consommée aussitôt par le communiant devant le ministre, pour que personne ne s’éloigne avec les espèces eucharistiques dans la main. S’il y a un risque de profanation, la sainte Communion ne doit pas être donnée dans la main des fidèles (no 92).
Une fois encore est affirmé dans un document officiel du Saint-Siège le droit des fidèles de toujours recevoir la communion dans la bouche, sans que soient mentionnées des exceptions à cette règle, y compris là où est permise la communion dans la main qui, là encore, est présentée seulement comme une permission (« on peut lui donner la sainte hostie »)[10]. Federico Bortoli commente justement à ce sujet : « Il me semble incorrect de considérer les deux usages sur le même plan, comme s’ils étaient équivalents, précisément parce que la communion sur les lèvres est la norme générale pour la réception de l’Eucharistie alors que la communion dans la main n’est que l’exception »[11]. Par ailleurs, l’Instruction Redemptionis Sacramentum introduit une nouveauté disciplinaire notable, à savoir l’interdiction de la distribution de la communion dans la main en cas de danger de profanation.
C. La liturgie selon la forme extraordinaire du rite romain
Par le motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007, le pape Benoît XVI a promulgué une loi universelle simplifiant et libéralisant l’usage des livres liturgiques, et notamment du missel romain, en vigueur avant la réforme liturgique postconciliaire. Le 30 avril 2011, la Commission pontificale Ecclesia Dei a publié l’Instruction Universæ Ecclesiæ sur l’application de la lettre apostolique Summorum Pontificum. Cette Instruction comporte cette précision importante :
En vertu de son caractère de loi spéciale, le Motu Proprio Summorum Pontificum déroge, dans son domaine propre, aux mesures législatives sur les rites sacrés prises depuis 1962 et incompatibles avec les rubriques des livres liturgiques en vigueur en 1962 (no 28).
En ce qui concerne la distribution de la communion, ce texte implique qu’il n’est pas possible de la donner dans la main au cours de la messe célébrée selon le missel de 1962, mais seulement sur la langue et à genoux.
II. La question de la validité de l’interdiction de la communion sur la langue
L’interdiction de la distribution de la communion sur la langue dans de nombreux diocèses pose la question de la validité juridique d’une telle disposition. Sur le plan formel, le Père Réginald-Marie Rivoire, docteur en droit canonique, observe en premier lieu à ce sujet :
Notons tout d’abord que ces divers « communiqués », « lettres » et autres « consignes » des évêques frappent par leur imprécision et leur manque de rigueur juridique. Dans leur contenu, il est parfois difficile de faire la part de ce qui relève du conseil, du souhait, de l’exhortation, ou bien de l’obligation. Cela ne facilite guère la qualification canonique du document. Bien rares sont les évêques qui ont pris, en bonne et due forme, un décret, contresigné de leur chancelier[12].
Compte tenu des textes normatifs présentés ci-dessus, le P. Rivoire conclut que, « quand bien même un décret général prohibant, même ad tempus, la communion dans la bouche aurait été pris, un tel décret serait invalide »[13]. En effet, si l’évêque diocésain est le modérateur de la liturgie dans son diocèse, par voie législative ou administrative[14], il ne peut agir contrairement à une loi supérieure, en vertu du principe de la hiérarchie des normes[15]. Or, la norme disposant qu’un fidèle a toujours le droit de recevoir la sainte communion sur la langue émane précisément du législateur suprême, comme on l’a vu plus haut.
Il faut donc répondre que l’interdiction de la communion sur la langue est de soi invalide. À supposer même qu’il soit avéré que la distribution de la communion sur la langue entraîne un risque sanitaire déraisonnable, il serait de toute manière nécessaire que d’éventuelles mesures prises à ce sujet aient un fondement légal incontestable[16], surtout en une matière aussi sensible.
III. La question du risque sanitaire
L’interdiction de la distribution de la communion sur la langue décidée par de nombreux évêques se fonde sur le présupposé implicite, jamais formulé ouvertement, que ce rite liturgique présenterait un plus grand risque de contamination que la distribution de la communion dans la main. Or cela n’est pas démontré. En tous cas, du point de vue historique, la pratique millénaire de la communion administrée sur la langue, même par temps d’épidémie, n’a apparemment pas été un facteur significatif de contamination. S’il en avait été autrement, jamais les responsables ecclésiastiques n’auraient maintenu cette pratique en temps de crise sanitaire.
De manière générale, une agence sanitaire du gouvernement des États-Unis a retenu récemment que, « en l’état actuel, il n’y a pas d’indication permettant d’affirmer la transmission du covid-19 en lien avec la nourriture » et « qu’il y a également très peu de risques de propagation à partir de produits alimentaires ou d’emballages »[17].
L’Institut thomiste de la Faculté pontificale des dominicains à Washington, D.C., a créé un groupe de travail qui a élaboré des directives pour la pastorale sacramentelle dans le contexte des maladies infectieuses. Ce groupe, composé de théologiens et d’experts scientifiques, notamment dans le domaine des maladies infectieuses, a retenu ce qui suit :
Nous avons considéré avec attention la question de la communion sur la langue versus la communion dans la main. Compte tenu des directives de l’Église sur ce point (cf. Redemptionis Sacramentum, no 92) et reconnaissant les jugements et les sensibilités divergents qui sont en cause, nous croyons que, moyennant les précautions énumérées ici, il est possible de distribuer la communion sur la langue sans risque déraisonnable. Les opinions à ce sujet sont variées au sein de la communauté médicale et scientifique : certains croient que la communion sur la langue implique un risque élevé et [même] déraisonnable à la lumière de toutes les circonstances ; d’autres ne partagent pas cette opinion[18].
Après avoir consulté deux médecins qui ont estimé que la communion distribuée sur la langue ou dans la main comportait un risque plus ou moins équivalent, l’archidiocèse de Portland (États-Unis), a ainsi décidé de ne pas interdire la communion sur la langue[19].
Le médecin italien Fabio Sansonna a fait valoir que le covid-19 se transmet par voie aérienne, et non par la salive, tant que celle-ci demeure à l’état liquide (la salive contient par ailleurs un antiseptique naturel, le lysozyme ou muramidase qui est employé comme médicament dans la lutte contre le covid-19). Le Dr Sansonna retient en définitive que ni la communion dans la bouche ni la communion dans la main ne représentent un risque important de contamination au covid-19[20].
En partant du constat que les mains sont la partie du corps la plus exposée au virus, le Prof. Filippo Maria Boscia, président national des médecins catholiques d’Italie, retient que la distribution de la communion dans la main est moins sûre sur le plan hygiénique que de déposer l’hostie sur la langue[21].
La médecin Silvana De Mari a exprimé, elle aussi, la conviction que la communion sur la langue est hygiéniquement la plus sûre pour la santé[22].
Pour des motifs similaires, un groupe de 21 médecins catholiques a fait appel à la Conférence des évêques d’Autriche pour qu’elle supprime l’interdiction de la communion dans la bouche[23]. De fait, le 20 juin 2020, ladite Conférence a mis un terme à cet interdit, tout en continuant à préconiser la communion dans la main[24].
Il semble en effet contradictoire d’insister sans relâche sur la nécessité de désinfecter fréquemment les mains, tout en imposant simultanément la communion dans la main. Certes, il est demandé aux fidèles de désinfecter leurs mains à l’entrée de l’église, mais ce geste ne les empêchera pas de toucher beaucoup d’objets ou de parties de leurs corps, potentiellement contaminés, entre le moment de la désinfection et celui de la communion. S’il est vrai que la communion dans la bouche comporte un risque potentiel lié au contact, toujours possible, avec la langue ou les lèvres du fidèle, cette manière de distribuer la communion évite en revanche totalement les risques liés au contact avec les mains des fidèles. Les mesures décidées par de nombreux évêques prescrivent donc un mode de communier dont il n’est pas vraiment certain qu’il soit plus sûr du point de vue sanitaire, et qui pourrait même être moins sûr que la communion sur la langue.
IV. Précisions sur quelques caractéristiques de la messe célébrée selon l’usus antiquior et de leur impact sur le plan sanitaire
On entend fréquemment dire que la distribution de la communion dans la bouche ne serait pas hygiénique ou du moins qu’elle le serait moins que la communion dans la main. Or il convient de situer la pratique de la communion sur la langue dans le contexte plus ample des normes liturgiques en vigueur pour la célébration de la messe selon la forme extraordinaire du rite romain, normes qui comportent plusieurs dispositions ayant un impact concret sur les conditions d’hygiène dans lesquelles est distribuée la sainte communion.
Premièrement, ces normes prévoient que le prêtre se lave soigneusement les mains dès son arrivée à la sacristie (et cela pas seulement depuis l’épidémie du coronavirus !).
Deuxièmement, le prêtre est tenu de joindre constamment le pouce et l’index (purifiés à nouveau lors du lavabo) à partir de la consécration du pain, en sorte qu’en-dehors des hosties consacrées il ne touchera plus aucun objet potentiellement contaminé jusqu’après la distribution de la sainte communion et la purification des vases sacrés.
Troisièmement, les communiants sont à genoux pour communier. Il ne s’agit pas là d’un détail sans importance, car, abstraction faite de la valeur religieuse de ce geste manifestant l’adoration de la présence substantielle du Christ dans l’eucharistie, cette position des fidèles facilite grandement la distribution de la communion dans la bouche, en limitant considérablement le risque de contact avec les lèvres ou la langue des fidèles. En effet, tandis qu’il n’est pas toujours facile de déposer l’hostie dans la bouche d’un fidèle debout devant le prêtre, surtout si celui-ci est de petite taille et que celui-là est grand, les fidèles agenouillés devant le banc de communion sont exactement à la bonne hauteur permettant de leur distribuer aisément et sûrement la communion dans la bouche. De plus, le prêtre et le fidèle ne se font pas face à la même hauteur, ce qui limite les risques de projections directes.
Quatrièmement, l’usage du plateau de communion renforce la sécurité de la distribution de la communion, dans la mesure où le prêtre n’est pas tendu par crainte que l’hostie chute à terre.
Cinquièmement, enfin, il convient aussi de tenir compte du fait que les fidèles fréquentant les messes célébrées selon l’usus antiquior sont habitués à l’administration de la sainte communion sur la langue, à laquelle ils ont été normalement formés avant leur première communion.
Ce qui précède implique qu’il faut tenir compte des spécificités liturgiques de la messe célébrée selon le missel de 1962 lorsqu’il est question de la distribution de la communion sur la langue.
Conclusion
Compte tenu de la législation universelle en vigueur ayant trait au mode d’administrer la sainte communion sous l’espèce du pain, qui n’a pas été modifiée par l’autorité compétente, il serait juste que les autorités ecclésiastiques concernées mettent un terme à la prohibition de la distribution de la communion sur la langue.
Pour les lieux où la messe est célébrée selon la forme extraordinaire du rite romain, ce serait l’occasion de réaffirmer le droit déjà garanti par l’Instruction Universæ Ecclesiæ sur l’application de la lettre apostolique Summorum Pontificum en son no 28[25]. Ainsi, la communion lors d’une messe dans la forme extraordinaire peut et doit être toujours reçue sur la langue.
Mgr Christophe J. Kruijen
Mgr Christophe J. Kruijen est prêtre du diocèse de Metz. Il a travaillé auprès de la Congrégation pour la doctrine de la foi de 2008 à 2016. Docteur en théologie dogmatique (Angelicum, Rome), sa thèse a obtenu le prix “Henri de Lubac” 2010. Elle a été publiée sous le titre Peut-on espérer un salut universel ? Étude critique d’une opinion théologique contemporaine concernant la damnation (Éditions Parole et Silence, 2017), ouvrage primé par l’Académie française en 2018.
[1] Cf. Federico Bortoli, La distribution de la communion dans la main. Études historiques, canoniques et pastorales, trad. de l’italien par Guillaume Luyt, Paris – Perpignan, Artège, 2019, p. 94 [abrégé : F. Bortoli].
[2] Les soulignements sont nôtres, ici comme ailleurs.
[3] F. Bortoli, pp. 250-251.
[4] Voir à ce sujet les observations critiques de Jean Madiran, « Le processus de la communion dans la main », Itinéraires, 3e supplément au no 135, juillet-août 1969 (reproduit dans Nouvelles de chrétienté, 5 septembre 2009 : http://www.revue-item.com/556/le-processus-de-la-communion-dans-la-main/).
[5] En droit canonique, l’indult est un acte administratif particulier par lequel une autorité ecclésiastique accorde une grâce. Il est concédé en règle générale par rescrit (à la suite d’une requête) ou, dans certains cas, par un motu proprio, et peut revêtir la forme matérielle de la dispense (dérogation à la loi dans un cas particulier) ou du privilège.
[6] Pour la France, voir la lettre du 6 juin 1969 du cardinal Benno Gut, préfet de la Sacrée Congrégation pour le culte divin, en réponse à la demande présentée par la Conférence des évêques de France.
[7] Mentionnons quelques autres exemples récents : par décret du 7 janvier 2007 (avec recognitio de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements), la Conférence épiscopale du Kazakhstan a décidé que, sur son territoire, la communion doit être distribuée exclusivement dans la bouche. Par décret du 27 avril 2009, le cardinal Carlo Caffarra, archevêque de Bologne, a décidé, en raison de cas répétés de profanations eucharistiques et de manques de respect, que les fidèles ne peuvent recevoir la communion que sur la langue dans trois des églises les plus importantes de l’archidiocèse. Par décret du 6 janvier 2016, S. E. Mgr Krzysztof Białasik, évêque d’Oruro (Bolivie) a choisi de ne plus appliquer l’indult permettant la communion dans la main et ce, afin d’éviter les profanations eucharistiques et de permettre une réception de l’eucharistie la plus respectueuse possible. Le 1er février 2020, S. E. Mgr Cyprian Kizito Lwanga, archevêque de Kampala (Ouganda), a pris un décret similaire et ce, pour les mêmes motifs.
[8] Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Communion ; https://en.wikipedia.org/wiki/Eucharist_in_Lutheranism.
[9] Cf. Notitiæ 38 (2002), pp. 582-584 (cité dans F. Bortoli, p. 206). Voir dans le même sens Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, Instruction Redemptionis Sacramentum, 25 mars 2004, no 91.
[10] Dans une réponse à un dubium, la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements a affirmé : « Il ressort clairement des documents du Saint-Siège que, dans les diocèses où le pain eucharistique est déposé dans la main des fidèles, le droit reste entier pour ceux-ci de le recevoir dans la bouche. Ceux qui obligent les communiants à recevoir la sainte communion uniquement dans la main comme ceux qui refusent aux fidèles de recevoir la communion dans la main dans les diocèses qui ont cet indult agissent donc contre la règle » (Notitiæ, mars-avril 1999, pp. 160-161).
Il s’ensuit qu’au cours de la messe célébrée selon le missel de Paul VI, les fidèles ont un droit de recevoir la communion dans la main, là où l’indult accordé à la suite de l’Instruction Memoriale Domini est en vigueur et lorsque tout risque de profanation est exclu. Ainsi, la formule « on peut lui donner » rappelle que ce droit n’est pas inconditionnel puisqu’il dérive d’une dérogation à la loi générale. Tout fidèle ne possède donc pas toujours ce droit (cas d’un diocèse n’ayant pas demandé l’indult ou risque de profanation), tandis que le droit de recevoir la communion dans la bouche vaut sans exception.
[11] F. Bortoli, p. 210.
[12] Réginald-Marie Rivoire, « Coronavirus : les évêques ont-ils le droit d’interdire la communion sur la langue ? », L’Homme nouveau, no 1707, 14 mars 2020, pp. 6-7, ici p. 6 [abrégé : R.-M. Rivoire].
[13] R.-M. Rivoire, p. 6.
[14] Cf. can. 835 § 1 ; 838 § 1 ; § 4 CIC.
[15] Can. 135 § 2 CIC : « Le pouvoir législatif doit s’exercer selon les modalités prescrites par le droit ; […] une loi contraire au droit supérieur ne peut être validement portée par un législateur inférieur ».
[16] Le cas n’est pas ici celui d’une possible dispense, de la part de l’évêque diocésain, d’une loi disciplinaire universelle portée par l’autorité suprême, au sens du can. 87 § 1 CIC.
[17] Centers for Disease Control and Prevention, 22 avril 2020 (https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/faq.html#How-COVID-19-Spreads).
[18] Working Group on Infectious Disease Protocols for Sacraments & Pastoral Care, Guidelines on Sacraments and Pastoral Care, 28 avril 2020, pp. 9-10.
[19] Cf. https://www.catholicworldreport.com/2020/03/04/portland-archdiocese-coronavirus-or-no-communion-can-be-received-on-the-tongue/.
[20] Cf. https://www.lanuovabq.it/it/comunione-in-bocca-nessun-rischio-per-la-salute (3 mai 2020).
[21] Cf. https://www.lafedequotidiana.it/boscia-medici-cattolici-comunione-sulla-mano-piu-contagiosa-di-quella-sulla-lingua/ (10 mai 2020).
[22] Cf. https://www.lafedequotidiana.it/silvana-de-mari-da-medico-dico-che-la-comunione-sulla-lingua-garantisce-salute-ed-igiene/ (24 mai 2020).
[23] Cf. https://www.kath.net/news/71961 (15 juin 2020).
[24] Cf. https://www.bischofskonferenz.at/dl/umOlJmoJKLonJqx4KJKJKJKLokkM/Rahmenordnung_liturgische_Feiern_innerhalb_und_au_erhalb_des_Kirchenraums.pdf (20 juin 2020).
[25] Dans ce numéro 28, il est dit que les mesures législatives sur les rites sacrés depuis 1962 ne s’appliquent pas à la forme extraordinaire du rit romain. Or, on peut montrer que seule la distribution de la communion sur la langue est en vigueur dans cette forme. En effet, par l’Instruction Dominus Salvator Noster du 26 mars 1929 en son no 5, il est prescrit de « se servir d’un plateau en argent ou en métal doré, sans aucune gravure, de quelque sorte que ce soit, à l’intérieur, que les fidèles tiendront eux-mêmes sous le menton ». L’indication explicite du menton montre positivement que seule la distribution sur la langue est en vigueur dans la forme extraordinaire. Cette mention du menton sera reprise dans le ritus servandus du missel romain de 1962 dans le no 7 du X : « Ensuite il fait tomber dans le calice les fragments qui pourraient se trouver sur le plateau tenu sous le menton des communiants. »