Res novæ 22 – oct. 2020

Bonjour,

Veuillez trouver ci-dessous des articles d’octobre 2020 de la Lettre mensuelle d’information et d’analyse Res Novae :

– Aux racines de la crise catéchétique : laisser faire, laisser passer, par l’abbé Claure Barthe

– Y a-t-il une affaire Becciu ?, par Pio Pace

– Reconstruire la catéchèse, par l’abbé Jean-Marie Perrot
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L’équipe de Res Novae

Aux racines de la crise catéchétique : laisser faire, laisser passer

La renaissance de l’enseignement du catéchisme sera, personne n’en doute, le premier chantier d’une reconstruction ecclésiale. Mais il faut auparavant regarder la réalité bien en face : la prolifération des catéchèses hétérodoxes ou inconsistantes est due au fait que l’autorité n’a jamais pris les moyens de la combattre, et aussi, ce que nous évoquerons prochainement, qu’elle a paru douter elle-même du message à transmettre.

Les générations sacrifiées de l’après-Concile

L’effacement de la culture chrétienne, que tout le monde constate aujourd’hui, a pour cause, non pas unique, mais directe la crise catéchétique de la fin des années soixante. Avant le Concile, pratiquement tous les enfants passaient par le catéchisme, qu’ils suivaient, à raison de plusieurs séances par semaine (et avec assistance obligatoire à la messe dominicale), jusqu’à l’âge de 12 ans. Mais à partir de 1965, en même temps que la pratique dominicale amorçait une baisse considérable, un vent de liberté décimait les rangs des catéchisés.
Puis, quand les « enfants de 68 » ou les « enfants du Concile », formés par la nouvelle pédagogie catéchétique, sont devenus eux-mêmes des parents, le nombre des baptêmes s’est effondré, et celui des enfants catéchisés est devenu dérisoire. Quant aux foyers catholiques « progressistes », qui ont vécu avec enthousiasme l’événement de Vatican II, ils ont vu l’entière génération de leurs enfants abandonner paisiblement toute référence religieuse.
La prise de conscience de la faillite a eu lieu à la fin du siècle dernier. En 1994, le rapport Dagens, approuvé par l’assemblée des évêques de France, constatait que « pour beaucoup d’enfants de notre pays, l’initiation aux valeurs fondatrices de l’existence s’effectue en dehors ou à l’écart de la “tradition catholique” » [1]. Pour le Portugal, le cardinal José Policarpo da Cruz évoquait des problèmes analogues : parents qui ont cessé en grand nombre d’être pratiquants, accaparement de plus en plus grand de l’école pour les enfants [2]. Les évêques d’Italie constataient que « dans sa forme plus massive et traditionnelle, la catéchèse ecclésiale montre des signes évidents d’une grave crise » [3]. Mgr Georg Eder, archevêque de Salzbourg témoignait : « Une grande partie de ceux qui fréquentent les messes dominicales ne savent pratiquement plus rien de la nature de la messe. […] Dans les facultés catholiques, durant des décennies, des professeurs ont dénaturé le dogme eucharistique et d’autres encore. Dans les cours d’instruction religieuse, les vérités concernant l’eucharistie ont été et sont encore transmises de manière gravement lacunaire » [4].
Combien de catholiques savent aujourd’hui ce qu’est le « jugement particulier » – ceci pour la science – et admettent la possibilité de la damnation – ceci pour la foi ? « Le clergé a cessé assez brutalement de parler de tous ces sujets délicats, écrit Guillaume Cuchet, comme s’il avait arrêté d’y croire lui-même, en même temps que triomphait dans le discours une nouvelle vision de Dieu, de type plus ou moins rousseauiste : le « Dieu Amour » (et non plus seulement « d’amour ») des années 1960-1970 » [5].
En outre, la cohérence nécessaire pour la transmission entre les différentes instances éducatrices (famille, école, milieux de vie, médias) a disparu. Et un autre facteur aggrave l’inculture religieuse : l’affaiblissement de l’enseignement de l’histoire, et particulièrement l’effacement des références au catholicisme dans cet enseignement.

La catéchèse du vide

Cette faillite est pour partie imputable à la compréhension du concile Vatican II, par les prêtres et les fidèles, comme une consécration de la liberté de la conscience de chaque catholique. D’où le développement d’une « religion à la carte », où chacun module en quelque sorte son propre Credo. Les normes gênantes sont désormais passées sous silence, le clergé lui-même ayant désinstallé les règles qu’il avait tant œuvré à faire respecter depuis le Concile de Trente. Et pour partie due aux instruments nouveaux de pastorale, tels l’emblématique Catéchisme hollandais (1966), qui ont offert un contenu nouveau.
En France, sont spécialement en cause les instruments catéchistiques mis en service en place des anciens manuels, des « parcours » catéchétiques (le plus fameux d’entre eux étant Pierres vivantes de 1981 [6]) qui ont suivi le courant général de réforme de la pédagogie. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le résultat fut semblable à celui du nouvel enseignement de l’histoire et des matières littéraires : des idées fausses sans doute, mais surtout le néant culturel. Or, il s’agissait ici du contenu du Credo.
Le Catéchisme de l’Église catholique, qui est venu après près de trente ans de vacatio dans l’enseignement officiel du catéchisme, remplissait-il le vide opéré ? En fait, le CEC de 1992 – avec sa deuxième édition de 1997 contenant des rectifications dont nous parlerons dans un prochain article – enchâssait, malgré tout, un esprit de novation. Il intégrait à l’exposé des vérités traditionnelles les propositions les plus discutables de Vatican II, qu’il faisait en sorte de « traditionaliser » au maximum. Par exemple, le numéro 856 du nouveau Catéchisme universel tente de faire du dialogue avec les religions non chrétiennes un élément de la mission évangélisatrice (« La tâche missionnaire implique un dialogue respectueux… »). Mais dans le même temps, la nouveauté doctrinale de Nostra ætate, le texte du Concile qui prône un « respect » sincère non pas pour les croyants des autres religions mais pour les religions en tant que telles, est confirmée et même accentuée. Le CEC n’est-il pas l’image la plus rectifiée possible, mais l’image tout de même de ce magistère qui véhicule un certain impressionnisme novateur ?

Abbé Claude Barthe
[1]. « La proposition de la foi dans la société actuelle », La Documentation catholique, 4 décembre 1994, p. 1044.
[2]. La Documentation catholique, 2 décembre 2001, pp. 1038-1041.
[3]. « Communicare il Vangelo in un mondo che cambia », Il Regno-documenti, 13-2001.
[4] . Lettre pastorale du 12 novembre 2000, « Früherer Salzburger Erzbischof Georg Eder verstorben » Der Standard, 19 septembre 2015.
[5]. Guillaume Cuchet, Comment notre monde a cessé d’être chrétien Anatomie d’un effondrement, Seuil, 2018.
[6]. Pierres vivantes. Recueil catholique de documents privilégiés de la foi (Éditeur Catéchèse 80, 1981). Pierres vivantes se voulait un ensemble de documents avec lequel les autres « parcours » devaient être utilisés, le tout en conformité d’un Texte de référence voté par les évêques de France, lors de leur assemblée de 1979. Le recueil Pierres vivantes sera remanié en 1985 puis en 1994.
Y a-t-il une affaire Becciu ?
La chute spectaculaire du cardinal Giovanni Angelo Becciu, dans les derniers jours du mois de septembre, aura beaucoup agité la Rome bergoglienne. Il convient cependant de remettre l’affaire dans son contexte, quitte à la relativiser.
Giovanni Angelo Becciu a fait toute sa carrière dans la diplomatie vaticane depuis 1984. Alors qu’il était nonce à Cuba, il fut nommé en 2011 par Benoît XVI Substitut pour les Affaires générales à la Secrétairerie d’État, c’est-à-dire premier personnage après le Secrétaire d’État. Il est confirmé par le pape François, alors que le Secrétaire d’État Bertone était remplacé par Pietro Parolin.
Une des caractéristiques de la manière de gouverner du pape François, selon une vieille habitude contractée à Buenos Aires, est de faire jouer ses collaborateurs les uns contre les autres. Ainsi accepta-t-il que Pietro Parolin et Angelo Becciu torpillent la réforme financière menée par le cardinal Pell : ils ont sorti la Secrétairerie d’État, et notamment ce qui relevait de la gestion financière d’Angelo Becciu, de l’audit de l’ensemble des entités financières du Vatican ordonné en juin 2016 par le cardinal Pell. Puis le pape les laissa écarter le très compétent mais incommode cardinal Pell, du Secrétariat pour l’Économie, sans lever le petit doigt.
De la même manière, les fonctions effectives du cardinal Burke, cardinal-patron de l’Ordre, furent suspendues lors du règlement de l’affaire de l’ordre de Malte : Mgr Becciu, fut nommé délégué spécial du pape pour diriger l’ordre à la place du Grand Maître. Le tout cette fois sans que Parolin ait son mot à dire.
On était en avril 2017 : Angelo Becciu était alors au comble de la faveur. Mais en 2018, intervenait pour lui ce qui ressemblait à une placardisation dorée, obtenue par le cardinal Parolin : Mgr Becciu était fait cardinal, puis nommé Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints. Pietro Parolin le faisait remplacer comme Substitut pour les Affaires générales par un prélat vénézuelien Edgar Peña Parra.
Or dans le même temps, montaient au sein du gouvernement pontifical les critiques contre les manières d’agir d’Angelo Becciu : en 2012, l’Institut pour les œuvres religieuses (IOR), la « banque du Vatican », avait été invitée sans explications par les services de Mgr Becciu de venir à l’aide d’une transaction complexe et qui pouvait paraître risquée en faisant un versement de 150 millions d’euros pour boucler le rachat final d’un immeuble de 17.000 m2 dans le très chic quartier londonien de Chelsea.
Le 1er octobre 2019, fut lancée une descente de la Gendarmerie pontificale pour saisir ordinateurs et documents confidentiels dans les locaux de la section des Affaires générales de la Secrétairerie d’État (et dans ceux de l’AIF, l’Autorité des Informations Financières, organisme indépendant chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent !) Quelques prélats fusibles sautèrent, dont Mgr Mauro Carlino, qui avait été le bras droit du cardinal Becciu. [
Vint l’acte final, typique lui aussi du gouvernement bergoglien depuis la période d’Argentine, où des exécutions retentissantes entretenaient un climat de crainte estimée salutaire : le 24 septembre 2020, le pape François, à l’issue d’une entrevue orageuse de part et d’autre, « acceptait la démission » du cardinal Becciu de sa fonction de Préfet de la Congrégation pour les Causes des Saints et l’informait qu’il était privé de « tous les droits liés au cardinalat ». Et La Repubblica de saluer immédiatement le courage du pape qui ne craignait pas de faire le ménage au plus haut niveau, malgré les entraves d’une Curie qui se refuse à la réforme. C’est manifestement le message qu’on voulait envoyer : « En le chassant, écrit Jean-Marie Guénois dans Le Figaro du 25 septembre 2020, citant des sources vaticanes très informées, le pape donnerait un « signe spectaculaire » du ménage qu’il mène actuellement contre la corruption financière au Vatican « avec la même vigueur que sa bataille pour la transparence contre les affaires de pédophilie  » ».
Au moment de ce limogeage, l’enquête s’étant poursuivie, des médias de gauche, L’Espresso et La Repubblica, avaient sous presse des articles évoquant des enrichissements familiaux suspects. Becciu, le lendemain de sa démission, niera toute malversation : admettant avoir envoyé 100 000 euros à la Caritas dirigée par son frère dans son diocèse d’origine, Ozieri, il affirmera qu’ils auraient été utilisés correctement. Il est sûr que pour « faire travailler » l’argent du Saint-Siège, il n’a jamais hésité à user de montages et des circuits financiers complexes impliquant des hommes d’affaires proches.
Car en définitive, il faut bien comprendre que cette affaire, simple épisode au fond, bien que particulièrement spectaculaire, dans le déroulement habituel d’un mode de gouvernement très typé, se déroule sur fond d’inquiétudes toujours plus grandes sur l’avenir financier du Saint-Siège, privé notamment de ressources étatsuniennes (sans parler de celles, substantielles, venant des musées du Vatican devenus des déserts pour cause de crise sanitaire).
Pio Pace
Reconstruire la catéchèse

1ère partie – État des lieux : le contenu actuel

La catéchèse est un des pans de la vie de l’Église où le désarroi de certains acteurs se mêle à l’insatisfaction d’autres, sur fond d’une désaffection presque généralisée. Prêtres et catéchistes peinent à trouver des formules, des méthodes, des parcours qui non seulement portent des fruits de vie chrétienne (quels sont les enfants catéchisés qui participent à la messe dominicale? Quels sont ceux qui « restent », une fois les rites de passage accomplis ?), mais simplement limitent l’hémorragie continue du nombre des enfants catéchisés. Quant aux parents, lorsqu’ils sont attentifs à ce que le catéchisme soit aussi une instruction des vérités de la foi, ils en viennent parfois à se demander s’il ne vaudrait pas mieux qu’ils l’enseignent eux-mêmes à leur progéniture ; à moins qu’ils ne trouvent un autre groupe, hors des structures paroissiales ou diocésaines, avec ce goût amer de se mettre en marge… ou d’être mis…
Des structures éclatées
État, presque toujours de dispersion, très souvent de dissolution. Représentons-nous une ville d’importance moyenne : on y trouve la catéchèse dans les paroisses et les écoles catholiques, dont on pourrait croire que les parcours approuvés par l’évêque y sont suivis. Or l’autonomie ou le laisser-faire y est souvent grand et les responsables peuvent ne recevoir aucune indication, il ne s’exerce sur eux aucun contrôle. Pour le meilleur ou pour le pire… Une partie des enfants de cette ville pourront aller au catéchisme prodigué dans le cadre d’une communauté religieuse ou assuré par le prêtre de la communauté traditionnelle locale, quand bien même la famille ne va pas là à la messe dominicale. Que le catéchisme soit assuré par un prêtre, un religieux ou une religieuse, a pu être un élément important dans un tel choix. D’autres enfants encore s’agrégeront à des groupes qui au point de départ sont des groupes de prière, mais assurent une vraie formation dans les réunions et par leurs revues, avec parfois un sérieux quasi-scolaire. Enfin, certains suivront le catéchisme à la maison, les parents utilisant des ouvrages classiques, maintenant réédités ou disponibles sur internet, ou s’appuyant sur un cours par correspondance, avec éventuellement corrections par un prêtre ou une religieuse. Ces familles pourront aussi, dans un effort de mutualisation, s’organiser et mettre en place une organisation parallèle qu’on appellera par exemple « catéchismes familiaux ». On le voit : la diversité est grande. Dans le monde rural, l’éventail des propositions est plus réduit, à moins d’accepter de faire des kilomètres, parti que certaines familles prennent. Certaines unités scoutes intègrent un cours de catéchisme dans leurs activités de week-end, drainant enfants et familles sur plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. N’oublions pas internet : l’isolement géographique a depuis longtemps suscité un usage de l’informatique en ce domaine, en complément ou en remplacement des revues papier auxquelles on pouvait être abonné. Le récent confinement, dû à la COVID-19, a considérablement amplifié le phénomène et créé une offre presque pléthorique, beaucoup de curés ou de communautés utilisant qui son téléphone portable, qui un matériel plus sophistiqué, pour filmer les cours de catéchisme rendus impossibles sous leur modalité habituelle. Ces expériences dureront-elles ? Cela n’est pas certain, tant elles sont chronophages ; toutefois, les archives existent maintenant, à disposition de tous.
Avant que d’être des opportunités qui s’offrent éventuellement, ce sont d’abord autant de signes d’un désordre, allant jusqu’à des situations ubuesques comme celle de cette classe de 6ème d’un collège catholique où les deux seuls enfants à ne pas lever la main quand on demanda qui avait l’intention de faire sa profession de foi, étaient les deux seuls à aller à la messe le dimanche… car, en plus du parcours dans l’établissement, ils suivaient un cours de catéchisme dans un autre cadre, et c’est là que se déroulerait pour eux cette cérémonie. Ou comme cette déclaration, ingénue on veut le croire, d’un jeune vicaire de paroisse à qui s’ouvraient des parents troublés par l’ennui persistant manifesté par leurs enfants vis-à-vis du catéchisme paroissial qu’ils jugeaient limité, répétitif, « bébête » : « La paroisse ne peut rien pour vos enfants »…
Un contenu éclaté
Si la catéchèse nouvelle a sans doute contribué à la déchristianisation des sociétés occidentales, elle en est aussi une victime : par exemple, quel enseignement, quel parcours proposer à des enfants qui, à la maison, ne reçoivent ni ne vivent rien de chrétien : prière quotidienne, références culturelles, messe dominicale ? Pour nombre de parents, le catéchisme paroissial vaut comme lieu d’initiation à des valeurs morales assez vagues, et l’école catholique est choisie en fonction de la qualité de l’instruction ou de la discipline, de la fréquentation sociale. On sera alors tenté de se mettre en adéquation sur une telle demande, par peur que ces enfants-là aussi disparaissent, sur pression de parents qui ont la force du nombre ou de l’argent, parce que la tâche paraît insurmontable. Et voilà le cercle vicieux enclenché.
Le catéchisme a été un des enjeux de la tentative de reprise en main wojtylo-ratzinguérienne entre 1980 et 2013. Dans une célèbre et retentissante conférence prononcée à Lyon puis à Paris en janvier 1983, le cardinal Ratzinger, s’il avait évoqué les motifs de la crise du catéchisme liés à la société moderne, avait aussi dénoncé « une première et grave faute de supprimer le catéchisme et de déclarer “dépassé́” le genre même du catéchisme », et lancé au final cet appel : « il faut oser présenter le catéchisme comme un catéchisme ». Qu’est-ce qui était alors visé ? D’un côté, l’enflure des questions de pédagogie – la forme prenant la place du contenu – et des commentaires humains où se noyait la Parole de Dieu et qui en limitaient la portée à des perspectives humaines, psychologiques et sociologiques, souvent circonstancielles. D’un autre côté, une approche immédiate et narrative de l’Écriture Sainte, où l’expérience – celle du personnage biblique, celle du lecteur – prime : « Si, auparavant, la Bible n’entrait dans l’enseignement de la foi que sous l’aspect d’une doctrine d’Église, maintenant on essaie d’accéder au christianisme par un dialogue direct entre l’expérience actuelle et la parole biblique. » Mêlée à une tentation pédagogiste, cela conduit à oublier, au moins négliger la médiation ecclésiale, la Tradition, le dogme, l’objectivité rationnelle de la révélation et de la foi.
Cette conférence venait après l’exhortation apostolique Catechesi tradendæ, écrite par Jean-Paul II en 1979, qui serait suivie en 1997 par le Directoire général pour la catéchèse publié par la Congrégation pour le Clergé.
Ces documents ont-ils eu quelque effet ? Le dernier a connu, au début de l’année 2020, une nouvelle mouture, sous la houlette du Conseil pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Évangélisation, à qui a été transférée la compétence en cette matière. Certes, dans la continuité des documents précédents il affirme : « La catéchèse d’initiation chrétienne est une formation de base, essentielle, organique, systématique et intégrale de la foi ». Mais ces bonnes intentions sont insérées dans un cadre qui les stérilise largement, cadre dont on veut signaler quelques traits :
1°/ Réticence devant la part dogmatique du catéchisme : En accord avec le Directoire de 1997, celui de 2020 insiste sur le catéchuménat comme modèle de la catéchèse, avec un fort primat donné à l’expérience et à sa maturation. Mais, dans celui-ci comparé à celui-là, la mention de l’apprentissage se trouve réduite. On n’y rencontre plus ce que le premier avançait : « La catéchèse fait partie de la “Mémoire” de l’Église qui garde vivante au milieu de nous la présence du Seigneur. L’exercice de la mémoire est donc un aspect constitutif de la pédagogie de la foi depuis les premiers temps du christianisme. (…) L’apprentissage des formules de la foi et leur profession entrent dans le cadre de l’exercice traditionnel de la “traditio” et “redditio” ; c’est ainsi qu’à la transmission de la foi dans la catéchèse (traditio) correspond la réponse du sujet, lors du parcours catéchétique d’abord, puis dans la vie (redditio). » (n° 154 et 155) Il y a une réticence à distinguer et honorer pour elle-même la part rationnelle et dogmatique de la catéchèse, qui n’est pourtant pas niée mais est systématiquement assimilée à l’expérience : « Ces caractéristiques de la catéchèse d’initiation s’expriment de manière exemplaire dans les synthèses de la foi déjà élaborées à partir des Écritures (telles que la triade de la foi, de l’espérance, de la charité) puis dans la Tradition (la foi crue, célébrée, vécue et priée). Ces synthèses sont un moyen de comprendre de manière harmonieuse la vie et l’histoire, car elles énoncent des positions théologiques toujours abrégées tout en proclamant la foi même de l’Église. » (n°71)
2°/ Ne pas imposer la vérité : Dans le même sens, doit être noté l’insistance sur le kérygme, comme élément central de l’annonce de l’évangile et en particulier de la catéchèse, et non pas simplement comme première (chronologiquement) annonce. D’où ce texte, dont on se demande comment il sera concrètement mis en œuvre : « De cette centralité du kérygme pour l’annonce, découlent certains accents également pour la catéchèse : “qu’elle exprime l’amour salvifique de Dieu préalable à l’obligation morale et religieuse, qu’elle n’impose pas la vérité et qu’elle fasse appel à la liberté, qu’elle possède certaines notes de joie, d’encouragement, de vitalité, et une harmonieuse synthèse qui ne réduise pas la prédication à quelques doctrines parfois plus philosophiques qu’évangéliques” (Evangelii gaudium, n°165). Les éléments que la catéchèse, en écho au kérygme, est invitée à valoriser sont : le caractère de proposition ; la qualité narrative, affective et existentielle ; la dimension de témoignage de la foi ; l’attitude relationnelle ; la tonalité salvifique. » (n°59)
3°/ Un laboratoire du dialogue : Enfin, dans la logique bergoglienne, la catéchèse, parce qu’elle est au service de la nouvelle évangélisation, doit être « en sortie missionnaire », se déployer « sous le signe de la miséricorde », être vécue « comme “laboratoire” du dialogue » (n°49 à 54), car « elle rencontre la vivacité et la complexité, le désir et l’envie de chercher, les limites et parfois également les erreurs de la société et des cultures du monde contemporain ». Pour autant, lit-on, elle ce sera sans relativisme, ni négociation sur l’identité chrétienne (n°54).
***
Ces insistances ont pour corollaire un regard négatif sur les catéchismes d’antan, jugés trop intellectuels, secs et déconnectés de la vie. Telle n’était pourtant pas leur structure, qu’à tort on réduit aux questions-réponses, et les instructions des évêques, qui les avaient édités, en déployaient avec ampleur le déroulement, ainsi que la portée ecclésiale, familiale, existentielle.
Avec raison, comme un modèle et une exhortation pour aujourd’hui, le cardinal Ratzinger terminait sa conférence de 1983 par une citation du Catéchisme du Concile de Trente (à l’usage des curés, premiers catéchistes de leurs ouailles) : « Toute la finalité de la doctrine et de l’enseignement doit être placée dans l’amour qui ne finit pas. Car on peut bien exposer ce qu’il faut croire, espérer ou faire ; mais surtout on doit toujours faire apparaître l’amour du Christ, afin que chacun comprenne que tout acte de vertu parfaitement chrétien n’a pas d’autre origine que l’amour et pas d’autre terme que l’amour. » C’est bien de là dont il faut partir, de cette intention d’un catéchisme qui s’assume comme catéchisme.
Abbé Jean-Marie Perrot