18e dimanche – guérison du paralytique – Abbé Cyrille Debris

La guérison du paralytique (Mt 9, 1-8) – lecture thomiste

 

Après les dangers corporels, S. Matthieu présente des miracles contre les dangers spirituels. Jésus reçut d’abord ceux qui accourraient vers lui, pour le paralytique ou quand il était à table (v. 10) avant d’aller vers les autres (Mt 9, 35). L’évangéliste présente le remède contre le péché (v. 1-17) avant celui contre la mort (v. 18). Ce remède est la rémission des péchés.

Jésus s’était éloigné parce que les Géraséniens l’en avaient prié après que les deux possédés eurent été guéris au prix du troupeau de porcs qui s’était précipité de la falaise (Mt 8, 28-34). Comme s’il leur faisait peur : « Ils disent à Dieu : ‘Écarte-toi de nous ; nous ne désirons pas connaître tes chemins !’ » (Jb 21, 14). Il avait aussi guéri là mais Dieu ne s’impose pas. Jésus retourna de l’autre côté de la mer de Galilée car sa ville désignée ici est Capharnaüm. Sa puissance dérange. Il l’a montrée sur les démons mais encore sur les éléments en calmant la tempête (Mt 8, 23-27). Il va encore en faire preuve autrement aujourd’hui.

La foi du paralytique – le spirituel et le matérielLa paralysie du péché

La paralysie symbolise l’engluement dans le péché qui nous empêche de faire le bien que nous voudrions mais nous fait commettre le mal que nous ne voudrions pas. « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas (…). Moi qui voudrais faire le bien, je constate donc, en moi, cette loi : ce qui est à ma portée, c’est le mal. Au plus profond de moi-même, je prends plaisir à la loi de Dieu. Mais, dans les membres de mon corps, je découvre une autre loi, qui combat contre la loi que suit ma raison et me rend prisonnier de la loi du péché présente dans mon corps. Malheureux homme que je suis ! Qui donc me délivrera de ce corps qui m’entraîne à la mort ? » (Rm 7, 19. 21-24).

Le paralytique est mû par une foi puissante mais aussi aidé par de fidèles amis dont la foi déplace les montagnes. Le parallèle (Mc 2, 4 ; Lc 5, 19) précise même que, trouvant la porte bloquée par la foule, ils firent passer le grabat par le toit. Jésus admire donc leur foi. Le Seigneur guérit parfois en raison de la foi du malade, parfois en raison de ses prières et de celles des autres : « tout ce que vous demandez dans la prière, croyez que vous l’avez obtenu, et cela vous sera accordé » (Mc 11, 24). Les porteurs du grabat sont comparables à ceux qui intercèdent pour les pauvres âmes du Purgatoire qui ne peuvent plus rien faire pour se rapprocher de Dieu et ont besoin de nos suffrages, sacrifices et surtout messes pour être définitivement purifiées.

La foi est indispensable pour être sauvé

Cette foi est requise pour être sauvé : « il a purifié leurs cœurs par la foi » (Ac 15, 9). Jésus invite à la confiance. Pourtant ici, point de paroles des requérants. Un geste concret manifeste suffisamment leur foi. On pourrait s’interroger. Venaient-ils pour la guérison physique ou spirituelle ? Furent-ils déçus d’entendre : « tes péchés sont pardonnés » (Mt 9, 2) s’ils attendaient qu’il remarchât ? Dieu sait mieux que nous ce dont nous avons besoin et Jésus fait la volonté du Père. « Dieu tout-puissant et éternel, qui dépassez par l’abondance de votre bonté les mérites et les vœux de ceux qui vous prient, répandez sur nous votre miséricorde : pardonnez les fautes qui agitent la conscience, accordez même ce que n’ose formuler la prière » (collecte du 11e dimanche après la Pentecôte). Les oraisons post communion expriment souvent le double bénéfice physique et spirituel. L’eucharistie cachée derrière le pain terrestre refait surtout nos âmes (mentis et corporis). Les sacrements, signifient visiblement une grâce invisible : « Faites, nous vous en supplions, Seigneur, que nous trouvions dans la réception de votre Sacrement le secours de l’âme et du corps, afin que, sauvés dans l’un et l’autre, nous rencontrions notre gloire dans le plein effet du céleste remède ». Pour S. Thomas, le Seigneur a agi comme un bon médecin qui guérit la cause de la maladie, le péché : « Leurs maladies se sont multipliées en raison de leurs iniquités » (Ps 15, 4 Vulg). Certes, il est délicat depuis Job de relier trop systématiquement un mal physique à un mal moral car nous savons qu’un juste et innocent peut souffrir s’il suit le Christ.

Guérison physique – salut moral

La double nature du Christ

Vient ensuite la controverse (v. 4). La double nature du Christ, vrai Dieu et vrai homme, fait qu’on peut se méprendre, d’où l’accusation de blasphème. Les scribes voyaient un homme et ne voyaient pas Dieu, or il appartient à Dieu seul de remettre les péchés.

Puisqu’ils gardaient ces mauvaises pensées dans leurs cœurs, en sachant les lire par cardiognosie, Jésus se révèle être Dieu ! Lui seul « scrute les cœurs et les reins » (Ps 7, 10) car il est notre créateur.

Le Seigneur réfute les scribes en guérissant physiquement le paralytique. Pour des hommes englués dans le matériel plus accessible que les réalités spirituelles, la guérison d’un mal physique serait plus difficile que la rémission des péchés. Mais il n’en est rien. En réalité, le mal moral du péché (mal de faute) est plus difficile à guérir que le mal physique (mal de peine). Ses détracteurs comme tout un chacun estiment qu’il est plus facile de dire que de faire : « il est vrai que, pour ce qui est du geste posé, une plus grande force [est requise] pour guérir l’âme que le corps ; mais, pour ce qui est de la puissance, la même puissance [est à l’œuvre] dans les deux cas » (S. Jérôme).

Dieu entend partager sa substance : la divinisation proposée

Jésus durant sa vie terrestre comme après par l’intermédiaire des saints, opère des miracles de guérison ou d’autres plus extravagants en apparence (bilocation, lévitation, stigmatisation, inédie). Mais le plus grand miracle demeure la consécration eucharistique par la transsubstantiation. Nous y sommes tellement habitués que nous en oublions qu’elle ne peut s’opérer que le prêtre a bien vécu un changement ontologique au jour de son ordination (il est de l’ordre de la puissance obédientielle en métaphysique), malgré ses péchés et ses habitudes mauvaises qui peuvent demeurer. Le prêtre transformer la substance, invisible, du pain en substance du Corps du Christ malgré l’apparente inertie due aux accidents (goût, forme, couleur) qui, eux, sont visibles mais demeurent inchangés pour ne pas nous dégoûter par l’aspect repoussant d’une chair sanglante que nous aurions du mal à avaler autrement.

À Lourdes ou Međugorje, la plupart des miracles sont des guérisons intérieures, des conversions invisibles, suivant la logique sacramentelle. Les prières ne sont pas là pour expliquer ou raconter mais performer. Ainsi l’eau du baptême symbolise la mort du déluge sous Noé ou de la Mer Rouge sous Moïse qui tuent ceux qui ne sont pas avec le bois salvifique (l’arche ou le bâton).

« Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir, sur la terre, de pardonner les péchés… – Jésus s’adressa alors au paralysé – lève-toi, prends ta civière, et rentre dans ta maison » (v. 6) permet de rejeter une double erreur. Nestorius prétendait que le Fils de l’homme et le Fils de Dieu seraient deux personnes et qu’on ne pourrait dire « Mère de Dieu » car la Vierge Marie n’aurait été que la mère de Jésus mais pas du Fils. En disant « le Fils de l’Homme », Jésus signifie que seul Dieu remet les péchés mais que ce même Dieu, dans l’unité de la personne du Fils, a assumé une nature humaine. Photin pensait que le Christ aurait pris origine de la Vierge Marie et acquis la divinité par son propre mérite (à partir de « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre », Mt 28, 18). Mais il agit en tant que Dieu, le Fils du Père.

Un pouvoir partagé

Le pouvoir dont il use ne lui était toutefois pas propre ni exclusif puisque S. Pierre guérit aussi un paralysé de naissance devant la Belle-Porte du Temple (« ‘Regarde-nous !’. L’homme les observait, s’attendant à recevoir quelque chose de leur part. Pierre déclara : ‘De l’argent et de l’or, je n’en ai pas ; mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche’. Alors, le prenant par la main droite, il le releva et, à l’instant même, ses pieds et ses chevilles s’affermirent. D’un bond, il fut debout et il marchait. Entrant avec eux dans le Temple, il marchait, bondissait, et louait Dieu » (Ac 3, 1-8). Mais les apôtres avaient ce pouvoir par voie d’administration et non d’autorité. Jésus leur faisait participer à ce pouvoir, comme à tous les hommes qui opèrent des miracles en son nom, consciemment ou pas.

Dieu agit par sa parole : « Il parla, et ce qu’il dit exista ; il commanda, et ce qu’il dit survint » (Ps 32, 9). Le malade avait trois traits. Ainsi, parce qu’il gisait sur son grabat, Jésus lui dit : « lève-toi » ; parce qu’il était porté par d’autres, il lui ordonna de porter son grabat ; parce qu’il ne pouvait se déplacer, il dit : « marche ». Mais cela ne vaut que pour la dimension physique. Ajoutons-y la dimension morale de rémission du péché. Au pécheur gisant dans le péché, il est dit : lève-toi par la contrition ; porte ton grabat par la satisfaction (« Je porterai la colère du Seigneur, car j’ai péché contre lui », Mi 7, 9) ; et rentre dans ta maison pour signifier la demeure de l’éternité (« Entrant dans ma maison, je m’y reposerai », Sg 8, 16).

Conclusion : quel pouvoir est si grand ?

Le pouvoir si grand que craint la foule est-il celui de guérir ou de devenir fils adoptif de Dieu dans le Fils par nature ? « Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu » (Jn 1, 12-13). Devenir enfants de Dieu (ἐξουσίαν τέκνα Θεοῦ γενέσθαι à rapprocher de ἐξουσίαν ἔχει ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου) passe par la double nature du Fils qui est la porte ouverte, pour nous les hommes, de la divinité. Ce pouvoir ou autorité (ἐξουσία), émane (ex) de sa substance même (housia). En Dieu le dire et le faire sont unis. Ils ne laissent pas de place à la moindre incohérence de vie comme chez l’homme pécheur qui dit mais ne fait pas. « Tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas » (Mt 23, 3). La crainte servile de la foule ou haineuse des scribes remise en place doit se muer en crainte filiale, en piété reconnaissante pour l’amour que Dieu le Père nous porte dans le Fils.