Orphelin de l’Église – témoignage de Jean-Marie Le Pen sur la crise de l’Église
Jean-Marie Le Pen, Mémoires 2 – Tribun du peuple, Éditions Muller, Paris, 2019.
« Maintenant, en bout de piste, je me demande, bien sûr, si je vais disparaître ou paraître ailleurs. L’Église, jadis, me donna une foi. Certains de ses ministres m’ont fâché avec eux, au point que j’ai cru qu’ils m’avaient fâché avec Dieu, je l’ai même écrit. Ma rupture avec l’Église fut brutale et non sans souffrance. J’ai été orphelin de l’Église et j’ai dû m’assumer moi-même sur le plan spirituel. Cela n’a rien de facile, ni d’agréable, ni de satisfaisant au bout du compte. La raison tourne vite en rond. La lanterne des philosophes n’a jamais éclairé personne. L’orgueil et le désespoir vous harcèlent tour à tour.
Il me paraît aujourd’hui que j’ai donné à un mouvement d’humeur une trop grande ampleur. J’ai confondu l’Église avec les prélats modernistes qui souvent parlent en son nom et semblent s’être donnés pour mission de la perdre. Nous sommes tous orphelins de quelque chose en Europe. J’ai regardé la foule qui se pressait aux funérailles de Johnny. Elle avait besoin d’être ensemble, besoin de sacré, besoin de communier. Beaucoup d’évêques en France, et la hiérarchie laïque qui les conseille, ne le satisfont plus. La pratique s’en est allée, c’est-à-dire le lien principal de la communauté chrétienne qui se retrouvait à l’église tous les dimanches et ne se retrouve plus qu’aux fêtes carillonnées, mariages, baptêmes, obsèques.
Je crois que l’Église a beaucoup erré après Vatican II, Elle aussi, Elle comme nous tous, Elle comme toute la société, Elle qui n’en avait pas le droit. Sans doute les découvertes scientifiques avaient-elles donné des coups de bélier dans le dogme, mais les arguties infinies des clercs et leurs abandons ont plus encore contribué à son affaissement. Le purgatoire a disparu, l’enfer aussi, pratiquement, et cela nous a rapprochés singulièrement du néant.
À cette attitude de flou et de mou généralisé se combine bizarrement une sorte de férocité. EN 1992, ils m’ont fermé un dimanche l’accès à la cathédrale de Reims. Pour quel motif avouable ? Si l’Église a une mission, elle n’est sûrement pas politique. J’ai peur qu’Elle ne mute, qu’Elle ne serve de supplétive, avec ses ors et ses orgues, au discours bisounours de l’humanisme maçon, sa politique de la bougie et du bouquet de fleurs face au terrorisme, le bêlement d’amour entendu comme me absolue des moutons contre les loups. Il me semble que c’est une attitude chrétienne devenue folle, une profanation du message évangélique par la sottise.
Je sens bien que l’espèce de passion que j’y mets avoue assez que je ne suis pas détaché tout à fait de Celle qui fut ma mère. Je pourrais dire à certains moments, comme Léon Bloy, j’attends les cosaques et le Saint-Esprit. Je pense à d’autres moments qu’il faut savoir finir simple et digne. Certains articles de la foi catholique me surprennent, mais je garde comme une confiance immense, qui me rassérène, et je demande sincèrement pardon à ceux que j’ai blessés du mal que je leur ai fait » (p. 488-489).
Publié par M. l’Abbé Cyrille Debris