Louis Bouyer, Mémoires – recension du P. Paul Cocard, fsj
Louis Bouyer, Mémoires, Le Cerf, 2014, 327 p.
La publication en était attendue. Elle est due à Jean Duchesne, son exécuteur testamentaire, qui les a utilement complétés par des notes. Dix ans après sa mort (2004), ses Mémoires qui s’arrêtent à l’année 1990, permettent de découvrir un théologien et liturgiste français du Concile, à la fois traditionnel et original, usant d’une langue si riche en tournures et en images, qu’elle en devient parfois compliquée. Né à Paris, en 1913, au sein d’une famille protestante et après avoir évolué dans les milieux protestants français et fréquenté ses théologiens les plus en vue, il se convertit au catholicisme en 1939. La moitié de ses Mémoires retracent son itinéraire et sa formation dans le monde protestant français. Il milite alors en faveur d’un ‘protestantisme catholique’ ou d’un ‘catholicisme évangélique’ dans la ligne de sa première thèse Newman et le christianisme alexandrin à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, mais aussi dans L’Église Corps du Christ dans la théologie de saint Athanase, publiée après son entrée dans l’Église catholique. Dans cette première période, il noue plusieurs contacts avec les milieux orthodoxes en France. En 1941, à l’exemple de Newman et à la suite de bon accueil qu’il a reçu au collège de Juilly, il entre à l’Oratoire de France, malgré un profond attrait pour la vie bénédictine. Ordonné prêtre en 1944 à Juilly, il fait paraître, peu après, son ouvrage Le mystère pascal, dont le titre lui fut suggéré par le père Roguet, à la place de l’expression du Moyen-Age, Le sacrement pascal. Débute alors la deuxième partie de sa vie, marquée par de nombreux voyages, notamment en Grande-Bretagne, puis aux États-Unis, pour y donner des cours ou des conférences et durant lesquels il lie de solides amitiés, tant dans le monde catholique que dans le monde protestant. Dans le même temps, il s’attire, non seulement les foudres du CNPL, mais aussi celles des Jésuites de la Catho de Paris, notamment à cause de son Histoire de la spiritualité. Après un séjour en Bretagne et Normandie, il participe au Concile Vatican II, à travers les travaux du nouveau Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, de la Commission Théologique Internationale et du Consilium pour la réforme des livres liturgiques. Il en retire la conviction, comme Newman, de « l’incapacité des Commissions en général à produire rien qui vaille » (p.194). Il faut lire particulièrement le chapitre 12 : Autour d’un Concile, pour mieux comprendre les manœuvres auxquelles les réformes du Concile et le pape Paul VI n’ont pas échappé et les déceptions qui ont suivi. Dans les années postconciliaires, il fit paraître ses deux petits livres, La décomposition du catholicisme (1968) et Religieux et clercs contre Dieu (1975), qui lui vaudront de nombreuses inimitiés, mais qu’il préfère à ses ouvrages plus volumineux et plus académiques, qu’il évoque incidemment. Dans cette ligne, il partage à propos du dernier concile les réflexions désabusées de saint Grégoire de Nazianze après le premier concile œcuménique de Constantinople (381), reprises, d’une certaine manière, par le cardinal Joseph Ratzinger (p.195 et 205). Les deux derniers chapitres sont des compléments et des retours sur ses meilleures amitiés, celles de Julien Green et d’Elizabeth Goudge, mais aussi celles des jeunes alors de la revue Communio et sur les lieux visités les plus aimés et autres réflexions.
P. Paul Cocard, fsj