Roberto de Mattei, Apologie de la Tradition – recension du P. Paul Cocard, fsj

Roberto de Mattei, Apologie de la Tradition, Editions de Chiré, 2015, 172 p.

Cet ouvrage se présente comme une Postface du Concile Vatican II, Une histoire à écrire, du même auteur. Il s’agit aussi d’une nouvelle édition, complétée notamment au niveau des notes, et d’une nouvelle traduction, par rapport à celle de 2011. Il se divise en deux parties presque égales en nombre de pages. La première donne une rapide histoire des moments les plus difficiles de l’Église, par rapport au dépôt de la Foi (Depositum Fidei). Elle relate donc les différentes crises qu’a connues l’Église, depuis le concile de Jérusalem, où elle se sépare de la Synagogue et refuse, par ailleurs, tout syncrétisme avec les religions païennes de l’Empire romain, jusqu’à nos jours. L’auteur évoque ainsi la crise arienne, les ombres et les lumières des premiers Conciles œcuméniques, l’attitude ambigüe de certains Papes face au nestorianisme et au monophysisme, le sæculum obscurum [le siècle obscur, selon l’expression du cardinal Baronius, pour désigner la « longue et sinistre période qui vit se succéder, entre 882 et 1046, 45 Papes et antipapes, avec 15 dépositions, 14 assassinats, divers emprisonnements et autres bannissements » (p. 45)], la lutte du Sacerdoce et de l’Empire, les Croisades, l’exil à Avignon suivi par le grand Schisme d’Occident, les Conciles et les théories conciliaristes du XVe siècle, l’humanisme et le protestantisme, les tentatives de réforme au début du XVIe, le concile de Trente, le jansénisme, le gallicanisme, les philosophies des Lumières, la Révolution Française, les luttes des Papes Pie IX et Pie X. Il étudie ces différentes crises, notamment à partir des œuvres de deux grands historiens de l’Église, Joseph Hergenröther (1824-1890) et Ludwig Von Pastor (1854-1928).

Dans la seconde partie, il expose la Regula Fidei dans les époques de crise pour la Foi. Il se réfère à l’herméneutique de la continuité du Pape émérite Benoît XVI (Discours à la Curie du 20 décembre 2005) et surtout à la méthode des ‘lieux théologiques’ du dominicain Melchior Cano (auteur De locis theologicis, en 1562). Il souligne ainsi le primat de la Tradition sur l’Écriture ; la Parole de Dieu a été transmise avant sa mise par écrit, et de plus l’Écriture n’exprime pas tout ce qu’ont transmis les Apôtres. D’autre part, il relève que le Magistère ne figurait pas alors parmi les ‘lieux théologiques’ ; le terme, d’origine protestante, n’apparaît officiellement qu’au XIXe siècle ! Il définit ensuite ce qu’est la Tradition, montre son rapport avec l’Église, notamment comme Corps mystique du Christ. Il présente le magistère comme un pouvoir de juridiction. La Tradition, étant la Regula Fidei, ne peut être objet d’interprétation ! L’Église ne peut que la clarifier, la définir, la recevoir et la transmettre. Il distingue ensuite l’Église enseignante et l’Église enseignée, avant d’étudier l’infaillibilité active et passive de l’Église en générale. Puis il précise le sens chrétien de la Foi (sensus Fidei), souligne son rapport à la Tradition et son rôle dans une éventuelle résistance aux autorités ecclésiastiques. Il continue en abordant la question de l’infaillibilité des Conciles, la signification du Magistère universel, la question de la nouveauté ou du progrès dans la doctrine. L’ouvrage s’achève par une évocation des problèmes du concile Vatican II et la nécessité de replacer ses textes dans la lumière de la Tradition dont il fait une ultime apologie.

L’auteur fait preuve d’une indéniable et rare érudition. Il connaît les ouvrages fondamentaux de la vieille Ecole romaine sur l’Église. Il montre, plusieurs fois, que le primat de la Tradition sur les autres lieux théologiques et notamment sur le Magistère, permet aux fidèles de se sentir, d’une certaine manière, responsables, à partir de leur sensus Fidei, du dépôt de la Foi. A ce sujet, il note : « L’erreur de vouloir transférer les fonctions de l’Église enseignante à l’Église enseignée se double de l’erreur opposée qui tend à réduire l’Église enseignée à un corps qui devrait suivre ses pasteurs de façon automatique et passive » (p. 114). En rappelant que le Magistère est au service de la Révélation, donc de la Parole de Dieu écrite et transmise, et même de la Tradition, on évite la tentative d’opposer Église enseignée et Église enseignante. Le primat de la Tradition permet effectivement de mieux apprécier les erreurs de certains Papes ou de redimensionner certains de leurs actes, sans pour autant relativiser la Foi catholique ou fragiliser la communion de l’Église.

Cette dernière édition comporte une postface de l’auteur où il présente la renonciation du pape Benoît XVI comme un échec de l’herméneutique de la continuité, « c’est-à-dire de la tentative d’expliquer la crise de notre époque comme la conséquence d’une mauvaise interprétation du concile Vatican II » (p. 166).

P. Paul Cocard, fsj