Le salut – un enjeu sérieux, résumé de la thèse de Mgr. Kruijen par l’Abbé C. Debris

Eschatologie :

l’enfer existe et il est bien plein !

Résumé de la thèse de Mgr. Christophe Kruijen Peut-on espérer un salut universel ? Étude critique d’une opinion théologique contemporaine concernant la damnation, Parole et Silence, 2017 par M. l’Abbé Cyrille Debris à partir d’un article de l’auteur dans la Revue Thomiste

Peut-on espérer un salut universel ?

Le salut : un enjeu sérieu

Jésus « reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts » (Credo). Or, on entend par eschatologie l’une des branches de la théologie traitant des fins dernières, parmi lesquelles figure la grande question du jugement. Question qui n’est absolument plus comprise ni prise au sérieux aujourd’hui à tous les niveaux de l’Église dominée par les « miséricordieux » alors que les tenants de la foi intégrale et bimillénaire de l’Église sont taxés « d’infernalistes » (dixit Hans Urs von Balthasar).

L’eschatologie voit pulluler les hérésies diaboliques qui visent unanimement à tempérer l’enfer et le nombre d’âmes qui y tombent. Quelques exemples d’erreurs

  • il serait de notre devoir d’espérer que l’enfer serait vide (l’espérance pour tous ou le salut universel).
  • on aurait une option finale à la mort pour se décider, en un dernier bilan pour ou contre Dieu.
  • l’enfer ne serait fait et donc peuplé que pour Satan et ses démons mais pas pour les hommes
  • à la fin des temps, tout serait racheté, même Satan (apocatastase).
  • il serait quasi impossible, concrètement, de tomber dans la catégorie de « péché mortel » alors que l’Église a toujours enseigné qu’on allait alors en enfer si on mourrait dans cet état.

Tout cela n’est qu’une ruse de Satan pour faire croire que tout le monde irait au Paradis et donc qu’on aurait pas à se battre pour être sauvé et à demander la grâce nécessaire. C’est faux. Il est du devoir du catholique d’être bien conscient que son salut est un enjeu sérieux.

La méconnaissance actuelle sur la damnation

Nous mériterions l’enfer si nous n’avions reçu la grâce de l’amour de Dieu

Aujourd’hui, les gens n’ont plus conscience du péché : tant originel qu’actuel. Ils font comme si le salut leur serait dû ! On oublie un peu vite que la seule chose qui soit due à l’homme, c’est l’enfer dans une optique de justice rétributive stricte ! En effet, n’oublions pas que les portes du Paradis (certes terrestre : le jardin d’Éden) ont été fermées par la faute d’Adam : « Il expulsa l’homme, et il posta, à l’orient du jardin d’Éden, les Kéroubim, armés d’un glaive fulgurant, pour garder l’accès de l’arbre de vie » (Gn 3, 24).

Le démon ne change pas une tactique qui fonctionne à merveille. Il propose des choses au rabais mais sous les oripeaux d’un vrai bien promis par Dieu. Au lieu de se laisser diviniser (« N’est-il pas écrit dans votre Loi : ‘J’ai dit : ‘Vous êtes des dieux ?’’ », Jn 10, 34), il propose un mauvais succédané : « vous serez comme des dieux » (Gn 3, 5). De même, au lieu de l’immortalité, son « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! » (Gn 3, 4) n’est rien d’autre qu’un ersatz à la petite semaine, une vision purement horizontale : prolonger la vie terrestre aussi longtemps que possible[1] alors que seul l’au-delà compte, étant la vraie vie. La véritable immortalité n’est toutefois que pour les bienheureux puisque les damnés souffrent éternellement une forme de mort faite de souffrance et d’angoisses. En effet, le diable peut nous faire mourir deux fois : physiquement, nul n’en réchappe, mais à notre jugement personnel aussi, comme le dit NSJC : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps » (Mt 10, 28).

 

La transcendance divine oubliée

« Beaucoup de nos frères vivent comme s’il n’y avait pas d’au-delà, sans se préoccuper de leur salut éternel »[2]. « L’homme d’aujourd’hui n’a pas clairement conscience de se tenir devant Dieu chargé d’une faute irrécusable, digne de sa damnation »[3]. On oublie la crainte de l’Ancien Testament que l’homme ne peut pas se tenir devant Dieu sans mourir à cause de ses péchés. Il doit être purifié. Qu’on pense à St Pierre : « À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur » (Lc 5, 8) car, quand il comprit qu’il avait affaire à Dieu, il se rappela sa triste condition humaine. Vouloir balayer certaines des références parce qu’elles sont tirées de l’Ancien Testament serait absurde car le marcionisme qui le rejette est une hérésie. D’autre part, la loi évangélique du Nouveau Testament est plus exigeante car elle regarde aussi les actes intérieurs : on est adultère sans avoir touché une femme, juste en la désirant ; on est meurtrier sans avoir pris d’arme, juste en méprisant son ennemi ! Mais tout aussi intérieure est la grâce divine abondamment distribuée dans les sacrements auxquels le pécheur peut recourir sans se lasser : confession, Eucharistie. Si cette crainte révérencielle de l’Ancien Testament a bien été transformée dans la nouvelle alliance dans un sens filial et non plus servile, en lien avec le don de piété, elle est perfectionnée mais non supprimée ! Heureusement, puisque c’est un don de l’Esprit-Saint : le don de crainte.

Le sens du péché émoussé

Dire que St Augustin parlait de massa damnata[4] ! La foule damnée ! Ou bien que la grande Ste Thérèse de Jésus n’hésitait pas à écrire : « Dieu voulut me montrer la place que les démons m’y avaient préparée et que j’avais mérité par mes péchés »[5].

Avant, c’était à l’homme de se justifier[6], maintenant c’est à Dieu ! « La faute est vue désormais comme inhérente à une condition humaine imparfaite. L’homme s’estime maintenant victime de cet état de fait et a l’impression qu’au vu de la misère du monde, c’est à Dieu de se justifier »[7].

Quelques fausses objections à balayer

La miséricorde de Dieu l’empêcherait de damner les mauvais[8]

L’argument des « miséricordieux » de la fin de l’Antiquité repose sur l’incompatibilité prétendue entre la miséricorde infinie de Dieu (sa bonté prévaut sur sa justice et sévérité) et une peine éternelle jugée trop impitoyable. Or, pardonner suppose un dialogue : si Dieu n’attend aucun mérite préalable de notre part pour nous accorder sa miséricorde (Rm 5, 6-8), il faut une réponse humaine par le repentir et l’obéissance (Ac 3, 19 ; He 5, 9). La justification : « n’est pas seulement rémission des péchés, mais à la fois sanctification et rénovation de l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons » (Concile de Trente, décret sur la justification, ch. 7, DH 1528).

Le sacrifice de la Croix ne dispense pas de la conversion ! Il y a des conditions. Il nous par exemple faut être nous-mêmes miséricordieux envers les autres (« Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »). Le feu de la lumière du Paradis qui veut réchauffer devient, face au refus obstiné, le feu infernal[9].

C’est la faute de l’homme s’il va en enfer : « Si quelqu’un choisit de continuer à accumuler les fautes au milieu des plaisirs et préfère les jouissances d’ici-bas à la vie éternelle, s’il se détourne quand le Sauveur lui donne son pardon, qu’il n’accuse ni Dieu ni la richesse ni ses chutes antérieures, qu’il ne s’en prenne qu’à son âme qui se perd volontairement (…) sauver les hommes malgré eux relève de la violence ; sauver ceux qui ont choisi de l’être, c’est leur montrer qu’on les aime » »[10].

« Le fait que certains n’arrivent pas à la possession de la béatitude vient de la défaillance du libre arbitre qui produit l’obstacle du péché, et non d’une défaillance de la toute-puissance de Dieu ou de sa miséricorde »[11]. « Si l’on voulait recourir à l’image d’un navire en perdition, on pourrait dire que le refus de certains matelots de monter à bord de l’hélicoptère de sauvetage ne contredit ni la capacité ni la volonté du pilote de les sauver tous ! (…) ‘Celui qui t’a fait sans toi, ne te justifie pas sans toi’ ne manquerait pas de rappeler ici saint Augustin »[12]. Il faut donc prendre au sérieux les causes secondes, leur libre arbitre. Chaque acte humain est ainsi lesté de son poids d’éternité, ce qui fait toute la dignité humaine !

Attention, nous n’entendons pas souscrire pour autant à une autre erreur : que ce serait le pécheur qui se jugerait lui-même. Jugement il y a bien, et c’est la prérogative de la majesté divine auquel Dieu associe quelques justes, dont les apôtres (Sg 3, 8 ; Mt 19, 28 ; 1 Co 6, 2-3 ; Ap 20, 4). Mieux vaut dire qu’il y a continuité entre la vie d’ici-bas et dans l’au-delà. L’homme pécheur se sépare de Dieu dès ici-bas, se privant de la grâce sanctifiante, et continue à l’être après sa mort. « L’enfer n’est rien d’autre que le péché maintenu et parvenu à maturité »[13]. St Augustin écrit : « Donc, quand Dieu punit, il punit comme juge ceux qui transgressent sa loi non en leur infligeant un mal qui vient de lui, mais en les repoussant dans cela même qu’ils ont choisi »[14]. Avec le jugement, il y a une sorte de fixation de l’état déjà présent, choisi, avant la mort : « l’arbre reste où il est tombé » (Qo 11, 3). L’enfer n’a donc rien d’une peine disproportionnée ou infinie pour un mal fini ! C’est en ce sens qu’on doit entendre que la colère de Dieu demeure sur quelqu’un (Jn 3, 36). L’amour, qui est la manière d’être du Ciel, ne s’impose pas[15] ! L’homme est fait pour le Ciel et il souffre en enfer du fait qu’il ait choisi l’autre issue durant sa vie.

Dieu veut la damnation comme peine, en tant qu’elle exprime sa justice. Mais il ne veut pas la faute, c’est-à-dire le péché, qui conduit à cet état de damné ! Et c’est la faute qui en est la cause première[16] ! « Dieu ne prend pas plaisir aux châtiments pour eux-mêmes ; mais il prend plaisir à l’ordre de sa justice, qui les exige » (I-II, 87, 3, ad 3). Les châtiments sont donc bons en tant qu’ils rétablissent l’ordre corrompu par le péché, et partant la paix qui n’est autre que la tranquillité de l’ordre. En le punissant, il rend justice même au réprouvé.

N’oublions jamais que, si le jugement individuel n’est pas propre au christianisme, chez nous, le juge s’identifie avec le sauveur crucifié pour le rachat des pécheurs. Il n’y a donc pas plus miséricordieux. Les stigmates sont les traces de son amour gratuit pour des gens agissant mal (Ga 2, 20) ! Il n’est pas un cacique ou tyran sanguinaire. Le juge doit faire régner la justice. Il exauce ceux qui crient pour que leur sang soit vengé car certains péchés crient vengeance contre le Ciel[17]. Miséricorde, justice et vérité sont étroitement liées : « Autant que sa miséricorde, autant est grande sa réprobation, il jugera les hommes selon leurs œuvres. Il ne laissera pas impuni le pécheur avec ses larcins, il ne frustrera pas la patience de l’homme pieux » (Si 16, 12-14).

Les « miséricordieux » tombent dans une forme du péché de présomption, qui n’est pas que pélagien : je me sauve par mes propres efforts. Eux anticipe le salut en présumant de la miséricorde de Dieu ! Cela s’enracine chez Luther qui croit que le salut vient exclusivement de l’œuvre rédemptrice et de la grâce de Dieu (la sola gratia tirée jusqu’en ses ultimes conséquences)[18]. Autant le désespéré méprise de la miséricorde divine, autant le présomptueux méprise la justice divine[19]. Il peut y avoir un excès dans l’espérance : il espère de la miséricorde et puissance divines ce qui n’est pas possible, « obtenir son pardon sans pénitence ou la gloire sans mérites »[20], ce qui est la façon normale d’être sauvée, l’ordre voulu par Dieu.

  • Le prétendu manque de charité

D’aucuns pensent que refuser d’espérer pour tous serait peccamineux. Hans Urs von Balthasar entend abandonner la certitude de la réprobation au judaïsme et à l’islam. Ces gens-là prétendent donc qu’on ne pourrait envisager la réprobation au pire que comme une possibilité pour soi, jamais pour les autres ! Même si, contrairement aux béatifications et canonisations, l’Église n’a jamais fait de damnatio memoriæ qui serait nominale pour un mort, elle le fait pour des vivants (qu’on repense aux excommunications majeures : les anathèmes et interdits par exemple jetés autrefois contenaient explicitement de lourdes malédictions !). Par ailleurs, elle enseigne que certaines catégories de morts vont en enfer : ceux morts en état de péché mortels.

Pourtant Jésus et nombre de saints[21] envisageaient bien leur salut propre et la damnation des autres. Ce fut même là l’un des moteurs de leur apostolat ! Qu’on pense à St Dominique qui pleurait en priant et intercédant la nuit pour les pauvres pécheurs qui allaient se perdre. De même, Ste Faustine constate « j’ai remarqué une chose : qu’il y a là-bas (en enfer) beaucoup d’âmes qui doutaient que l’enfer existe »[22].

  • La damnation gênerait la béatitude des élus[23]

Il est faux de prétendre qu’on ne pourrait être heureux au Ciel si l’on savait que des proches, en particulier, serait en enfer[24]. L’apocatastase d’Origène ou restauration finale totale (âmes damnées, démons et même Satan seraient finalement sauvés), hérésie qui a été condamnée, utilisait aussi ce genre d’argument[25]. Pourtant, le Seigneur dit bien que les solidarités humaines céderont le pas sur la séparation eschatologique (Mt 24, 40-41). Personne dans la parabole, ne proteste contre l’expulsion de l’homme dépourvu de la tenue de noces (Mt 22, 11-13), les vierges sages ne sont pas considérées comme égoïstes de ne pas partager leur huile (Mt 25, 21-30). Les vieillards de l’Apocalypse rendent même grâces pour le jugement de Dieu : « Ô Ciel, sois dans l’allégresse sur (Babylone), et vous, saints, apôtres et prophètes, car Dieu, en la condamnant, a jugé votre cause » (Ap 18, 20).

Par ailleurs, la réprobation est certes un rejet spatial : les réprouvés sont écartés par ordre du juge, éloignés de sa face, contraints d’aller loin de lui, dans les ténèbres extérieures. Mais en plus, ils sont hors de la connaissance et mémoire : inconnus au Fils de l’Homme, reniés par lui devant son Père et ses anges (Mt 7, 23 ; 10, 33 ; Lc 12, 9 ; 2 Tm 2, 12). Sans cesser d’exister, ils ne font plus partie du champ de conscience des bienheureux ! Leurs noms ne sont pas inscrits dans le livre de vie (Ap 20, 15), leur mémoire retranchée (Ps 34, 17), en sorte qu’elle périsse (Sg 4, 19). Les saints du Ciel ne saurait éprouver la moindre tristesse pour le sort des réprouvés. Sinon, ce ne serait pas le Paradis. Dieu comble tous leurs désirs. La damnation n’est en rien une tragédie[26] car Dieu est infiniment parfait et bienheureux en Lui-même (CEC 1). Les damnés ne gâchent en rien le bonheur des élus comme des gens qui détruisent la joie des autres. Ils n’ont que ce qu’ils méritent et ne sont pas les pauvres victimes d’une sentence inhumaine !

Le « que vont devenir les pauvres pécheurs ? » de St Dominique n’a de sens que pour les vivants, quand on espère qu’ils vont encore se convertir à temps. Il n’est en aucun cas source de sollicitude pour les bienheureux. Ceux qui prétendraient refuser de vouloir aller au Ciel par solidarité avec les pécheurs pècheraient gravement : on ne doit rien préférer à Dieu, pas même sa femme ou sa mère ou son fils, comme l’a indiqué Jésus lui-même ! On préférerait la créature au Créateur, ce qui est l’essence du péché : aversio a Deo et conversio ad creaturas ! La preuve : l’ordo caritatis indique Dieu en première place, soi-même et seulement après autrui : « l’homme doit s’aimer soi-même de charité plus que son prochain. Le signe en est que l’homme ne doit pas, pour préserver son prochain du péché, encourir lui-même le mal du péché, qui contrarierait ainsi sa participation à la béatitude » (II-II, 26, 4). Croire qu’on serait malheureux au Ciel parce qu’un être cher serait damné est une aberration et signe d’un péché d’orgueil : on serait au-dessus du juge bon et miséricordieux par excellence, qui l’a prouvé par la Croix !

Non seulement, les bienheureux ne sont pas tristes mais encore, ils se réjouissent du triomphe de la justice divine. La tristesse vient d’une volonté contrariée. Or, là, leur volonté adhère joyeusement, totalement à celle de Dieu : « Qui est ma mère ? Et mes frères ? (…) Quiconque fait la volonté de Dieu » (Mc 3, 33.35). On ne peut aimer Dieu réellement qu’absolument et ne pas être prisonnier de considérations psychologiques de bas étage, « humain, trop humain » (Nietzsche).

  • La prétendue incapacité de se perdre[27]

Pour échouer à un examen, il ne faut aucune capacité ! Pour le réussir, oui, obtenue par des dons innés et par le travail humain. Certains croient pourtant que l’homme, être fini, n’aurait pas la capacité « infinie » de se perdre, donc à refuser Dieu[28]. C’est un paralogisme : l’homme ne peut, certes, se sauver seul mais il peut tout à fait se perdre seul. Il y a dissymétrie. Le Paradis est surnaturel, hors de notre portée. L’enfer ne l’est pas.

D’ailleurs, on indique classiquement le principe : bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu. Pour faire une action bonne, il faut que tout soit juste dans ce qui compose l’action (la matière objective, l’intention et la connaissance subjectives). Pour agir mal, il suffit qu’une seule composante soit défaillante, ce qui est à la portée de toute créature ! Autrement dit, il est plus difficile de faire le bien que le mal. Jésus ne dit rien d’autre avec la parabole des deux voies : large est la voie de la perdition, resserrée et sinueuse la voie du salut, tout comme la porte en est étroite (Mt 7, 13-14). Les « miséricordieux » cherchent donc à inverser l’enseignement de Jésus en faisant croire qu’il serait compliqué de se perdre ! Ce qui est grave moralement pour eux et catastrophique, pastoralement, pour l’Église.

Dieu veut le salut et donc n’aide que pour ce but là ! Le démon, qui est beaucoup moins puissant que lui et donc peut être battu par l’arme de la foi, la prière et le jeûne, chercher à tirer vers le bas pour peupler l’enfer. On peut dire que Dieu ne veut positivement que le salut mais par volonté conséquente, aussi la justice de l’enfer. Ce qui montre l’inanité de l’hérésie calviniste avec sa double prédestination (Dieu aurait de toute éternité choisi souverainement que certains iraient en enfer, avant même leur naissance et l’exercice de leur libre arbitre !).

  • La damnation n’est pas un « mal absolu »[29]

Pour certains, l’enfer serait lié à une forme de manichéisme : « pour toujours, au terme de l’histoire, un anti-Dieu » (Martelet, DTC, p. 470). Satan n’est pas comme Dieu régnant sur les élus, même s’il y a beaucoup de réprouvés qui lui sont assujettis ! Il reste soumis à Dieu, au moins ontologiquement (du simple fait qu’il est).

Rappelons rapidement que le mal est l’absence d’un bien attendu. Il n’a pas d’existence ontologique propre mais fonctionne comme un parasite en se greffant sur un bien. Parler de mal absolu est donc un non-sens métaphysique. Cela n’existe pas. Dieu a créé bon tous les anges, même les déchus comme Satan (qui a donc au moins pour lui la bonté de l’existence : mieux vaut être que ne pas être) mais « ayant mal usé de son excellence il n’est pas passé à une substance contraire mais il s’est séparé du souverain bien auquel il devait rester uni »[30] (St Léon le Grand). En effet, il est pire que le péché soit plutôt que certaines créatures ne défaillent en manquant leur fin surnaturelle qu’est le Paradis. En effet, le mal de faute, moral, est incommensurablement plus grave que le mal de peine, physique (CEC 311).

La damnation est un bien car elle rétablit la justice, met un terme au chaos induit par la révolte de l’ange et de l’homme contre Dieu : « ce qui semble s’écarter de la divine volonté dans un certain ordre y retombe dans un autre. Le pécheur, par exemple, autant qu’il est en lui, s’éloigne de la divine volonté en faisant le mal ; mais il rentre dans l’ordre de cette volonté par le châtiment que lui inflige sa justice » (ST I, 19, 6[31]). La réprobation est préférable au non-être qui serait l’anéantissement (retour à l’inexistence) des damnés. En effet, l’enfer fait que la volonté de Dieu règne partout, tout lui sera soumis (1 Co 15, 27-28), que tout genou fléchisse, sur terre, au ciel et aux enfers (Is 45, 23 ; Ph 2, 10) : ses ennemis seront placés sous ses pieds. Cette soumission de toute chose s’accompagne donc de contrainte : les mauvais seront mis hors d’état de nuire et punis à la parousie. Et même plus : l’enfer est encore un signe de miséricorde divine (de toute façon, « en toute œuvre de Dieu apparait (…) comme sa racine première, la miséricorde ») car « Dieu punit en-deçà de ce qui est mérité » (ST I, 21, 4, ad 1).

Il est crucial de comprendre que, dans la métaphysique thomiste, il importe qu’il y ait, dans la hiérarchie de l’être, tous les degrés remplis. « La perfection de l’univers requiert qu’il y ait inégalité entre les créatures, afin que tous les degrés de bonté s’y trouvent réalisés » (ST I, 48, 2). En plus d’être qui ne peuvent défaillir, il doit donc exister des êtres qui puissent défaillir à l’égard du bien. « Il est conforme à la nature des êtres que ceux qui peuvent défaillir défaillent quelquefois » (ad 3). Dieu a choisi un ordre où la perte était possible parce qu’une telle économie permet le bien supérieur de l’amour de préférence de la créature pour Dieu (Journet).

  • Espérer contre toute espérance ne peut s’appliquer à l’enfer[32]

On ne peut invoquer l’exemple d’Abraham (Rm 5, 5 ; 4, 18) pour prouver une prétendue nécessité d’espérer un salut pour tous ou par une charité qui espérerait tout (1 Co 13, 7). Qui oserait espérer ce que Dieu n’aurait pas daigné promettre[33] ? « L’espérance repose sur le fondement de la foi divine. Elle est la force avec laquelle la foi, qui n’est pas encore parvenue au terme, s’étend vers les promesses qui lui sont données. Mais parce que la foi de l’Église ne comprend pas la promesse de la non-existence de l’enfer, il n’est également pas possible qu’une espérance surnaturelle (en un salut de tous) se dégage d’elle »[34]. En plus, on ne peut espérer sans la foi : ne seront sauvés que ceux qui auront cette vertu et il est manifeste que tous ne la possèdent pas ! Seuls les croyants sont sauvés !

Espérer que tous pourraient être sauvés n’est pas la vertu surnaturelle de l’espérance mais une espérance purement humaine, utopique, aussi privée de fondement que souhaiter ne pas mourir.

Conclusion

On peut être à juste titre choqué que certains bagatellisent le péché originel et actuel. Pourtant, celui qui ne confesse pas le nom de Jésus sauveur ne peut être sauvé ! Si même les païens endurcis étaient sauvés, vain serait le baptême et vaine serait la croix du Christ par la même occasion puisque nous sommes baptisés par la mort et la résurrection du Christ. Le fameux « extra Ecclesiam nulla salus » méritera un développement qui lui sera propre.

Je n’entre pas dans le cas des enfants morts sans baptême sans qu’il y soit de leur faute. Le baptême de désir, valable pour des catéchumènes, peut tout à fait être adapté à ce cas lorsque les parents ont fait baptiser rapidement toute la fratrie et qu’un de leur frère ou sœur meurt dans le ventre de sa mère ou à la naissance ou juste après. On pourrait aussi citer par analogie (qui vaut ce qu’elle vaut) l’Immaculée Conception : la Vierge Marie fut préservée du péché originel par anticipation du sacrifice de la Croix. Certes, les personnes nées avant Jésus et donc n’ayant pu être baptisées étaient considérées dans les limbes de patriarches d’où l’on a dû faire dériver les limbes des enfants. Sauf que le premier fut vidé par le Christ le samedi saint.

Mais, pour des cas normaux d’êtres ayant dépassé l’âge de raison, croyons-nous vraiment qu’ils ne commettraient pas des péchés mortels durant leur vie ? Déjà une série de péchés véniels y prépare. De plus, que fait-on de tous les exorcismes du baptême traditionnel ? Ils sont si nombreux et puissants (imprécatifs, directement contre Satan). Croyez-vous qu’ils ne servent à rien ? Celui qui n’est pas baptisé et marqué d’une forme d’emprise de Satan.

Une tradition théologique précise que le retour du Christ n’interviendra que lorsque le nombre de sauvés ou élus sera atteint. Élus qui sont aussi conçus comme remplaçant les anges déchus qui n’ont donc pas occupé la place qui leur était destinée au Paradis. Suivant cette hypothèse, soit il y eut énormément d’anges déchus, soit peu d’homme réussissent à être sauvés ! Alors prions et œuvrons !

[1] G. Lafontaine, « La condition humaine », in Études, 2008, p. 328 : « la volonté de prolonger indéfiniment la vie ici-bas se substitue au désir d’atteindre l’immortalité dans l’au-delà », cité par Kruijen, Christophe J., Peut-on espérer un salut universel, étude critique d’une opinion théologique contemporaine concernant la damnation, Parole et Silence, 2017, p. 39, note 101.

[2] Benoît XVI, homélie des vêpres à Fátima le 12 mai 2010, ibid. note 103.

[3] Rahner, Karl, Grundkurs des Glaubens 98, ibid. p. 40, note 106.

[4] St. Augustin, De civitate Dei XXI, 12 in Bibliothèque Augustinienne 37, p. 432-434 : « la faute originelle a pour suite à elle seule, en principe, de faire du genre humain une massa damnationis condamnée aux supplices de l’enfer ; seuls sont sauvés ceux que la miséricorde divine sort de cette masse et qui sont baptisés ».

[5] Livre de la vie, 32, 1 in Œuvres complètes, Paris, Cerf, 1995, p. 248.

[6] Benoît XVI, homélie des vêpres œcuméniques à Ratisbonne (12 septembre 2006) : « La justification est un thème fondamental en théologie, mais à peine présent dans la vie des croyants aujourd’hui, à ce qu’il me semble (…). Que le pardon vienne initialement de Dieu, que nous ayons besoin d’être rendus justes par lui, cela vient à peine à la conscience. Que nous ayons sérieusement des dettes envers Dieu, que le péché soit une réalité qui ne peut être surmontée que par Dieu : cela est devenu largement étranger à la conscience moderne », ibid. p. 40.

[7] Kruijen, p. 41, citant Rahner, Grundkurs,98-99.

[8] Kruijen, p. 559ss.

[9] H. Verweyen, « Was ist die Hölle ? », IKaZ 37, 2008, p. 266. Cité par Kruijen, p. 561, note 111.

[10] St Clément d’Alexandrie, Quel riche sera sauvé ?, 42, 18 : SC 537, 223 et 21, 2 (p. 155). Kruijen, p. 563.

[11] ST II-II, 18, 4, ad 3.

[12] Kruijen, p. 565 citant Sermon 139, 11, 13 in PL 38, 923.

[13] L. Scheffczyk, « Der Irrweg der Allversöhnungslehre » in S. Stühr (hg), Die letzten Dinge im Leben des Menschen, St. Ottilien, EOS, 1994, p. 105.

[14] Enarrationes in Psalmos, 5, 10, in Corpus Christianorum, Series Latina, Turnhout, Brepols 38, 24.

[15] M. Schmaus, Katholische Dogmatik IV/2, 505-506.

[16] Cf. ST I-II, 112, 3, ad 2 : « Quand la grâce nous fait défaut, c’est en nous qu’il faut chercher la cause première ; quand elle nous est donnée, sa cause première vient de Dieu ». Toutefois, ce n’est pas comparable au soleil qui ne peut pénétrer dans une maison parce que le propriétaire en a fermé les volets (Dieu serait alors complètement passif) : « Dieu, au contraire, s’il n’envoie plus les rayons de la grâce dans les âmes où il trouve un obstacle, c’est par son propre jugement » (I-II, 79, 3).

[17] Gn 3, 10 ; 2 Ch 24, 22, 2 M 8, 2-4 ; Mt 23, 34-36 ; Lc 18, 7-8 ; Ap 6, 9-10.

[18] J. Pieper, Über die Hoffnung, 1936, p.70. Kruijen, p. 565, note 122.

[19] Certes, la présomption est moins grave que le désespoir car « être miséricordieux convient à Dieu par sa nature même ; être justicier lui convient à cause de nos péchés » (II-II, 21, 2).

[20] II-II, 21, 1 ; cf. CEC 2092. Cité par Kruijen, p. 594, note 214 : « St. Thomas considère la présomption par laquelle on s’appuie de manière désordonnée sur la force divine comme une espèce de péché contre le Saint-Esprit ‘car elle fait qu’on rejette ou méprise l’aide du Saint-Esprit, aide par laquelle l’homme est retiré du péché’ (ibid.). Cette sorte de présomption est jugée plus grave que de présumer des forces humaines (pélagianisme) car rechercher ce qui ne convient pas à Dieu revient à diminuer la puissance divine, ce qui, étant un péché contre Dieu, est plus grave que de surfaire sa valeur personnelle (ibid., ad 1) ».

[21] St Paul était « infernaliste » : il envisage la réprobation des autres, et même de beaucoup (Ph 3, 18-19) tout en étant certain de son paradis (2 Tm 4, 8.18).

[22] Petit Journal, p. 283 (2/161), cité par Kruijen, p. 578, note 166 ajoutant « le doute quant à la réalisation de la damnation risque fort de conduire à négliger le souci du salut ».

[23] Kruijen, p. 578ss.

[24] Même Ratzinger, tendant vers l’universalisme lui aussi, se trompe sur ce point : « Comment une mère pourrait-elle être heureuse, pleinement, sans réserve, tant que souffre l’un de ses enfants ? » in Eschatologie – Tod und ewiges Leben, 155.

[25] Homélie sur le Lévitique 7, 2.

[26] Balthasar, Theodramatik IV, 272.

[27] Kruijen, p. 584ss.

[28] G. Martelet, « Enfer – (B) théologie historique et systématique », in DCT, 470 ; H. Vorgrimmler, « Hölle », in Neues Theologisches Wörterbuch, 296.

[29] Kruijen, p. 586ss.

[30] Lettre Quam laudabiliter à l’évêque Turribius d’Astorga, 21 juillet 447, chap. 6, in DH 286), cité par Kruijen, p. 586, note 190.

[31] Cf. ST I, 23, 5, ad 3 : si « Dieu choisit certains et réprouve les autres », c’est en raison de sa bonté ; celle-ci apparaît dans les prédestinés « sous la forme de la miséricorde qui pardonne » et dans les réprouvés « sous la forme de la justice qui punit ».

[32] Kruijen, p. 590ss.

[33] St Augustin, In Iohannis evangelium tractatus 34, 9, in BAug 73A, p. 136.

[34] Scheffczyk, Leo, « Apokastasis : Faszination und Aporie », in Communio 14, 1985, p. 44.