Pentecôte (B)
Lecture thomiste de Jn 14, 23-27
Méditons le début de l’évangile de la Pentecôte car il est très riche
Le Christ se manifestera aux disciples
Capacité des disciples à recevoir cette manifestation
Trois conditions sont requises pour voir Dieu et c’est la charité qui est alors à l’œuvre pour les remplir. Il faut d’abord s’approcher de lui : « Ceux qui s’approchent de leurs pieds recevront de sa doctrine » (Dt 33, 3 Vulg.). La charité unit l’âme de l’homme à Dieu : « qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui » (1 Jn 4, 16). Ensuite, il faut élever les yeux pour le voir : « Levez les yeux et regardez : qui a créé tout cela ? » (Is 40, 26) et on regardera Dieu si on le chérit : « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur » (Mt 6, 21 et le cœur est souvent associé aux yeux : Qo 11, 9 ; Jn 12, 40 ; 1 Jn 2, 16). Enfin, il faut vaquer à cette vision car pour voir les réalités spirituelles, il faut se vider de celles de la terre : « Vaquez/Arrêtez et voyez que je suis Dieu » (Ps 45, 11 Vulg). Si l’âme acceptait « de se bien purifier et évacuer de toutes les formes et images appréhensibles, (…) l’âme, désormais simple et pure, se transformerait en la simple et pure Sagesse, qui est le Fils de Dieu ». « C’est ce que Notre-Seigneur nous demande par David, disant : ‘Apprenez à vous évacuer de toutes choses (à savoir intérieurement) et vous verrez que je suis Dieu !’ » S. Jean de la Croix (La Montée du Carmel, II, ch. 15 et 32, in Œuvres complètes, DDB 1967, p. 174 et 328). Autrement, « si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui » (1 Jn 2, 15).
De cette charité découle l’obéissance : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole » (v. 21). L’amour de Dieu est actif, il réalise une œuvre (S. Grégoire). En effet, la charité réside dans la volonté qui meut toutes les puissances vers leurs actes pour atteindre sa fin propre qui est Dieu. L’homme mû par la charité entreprend donc tout ce qui conduit vers lui, dont garder les commandements « La charité du Christ nous presse » (2 Co 5, 14, Vulg) et l’obéissance au commandement nous ouvre l’intelligence qui permet au Ciel de voir Dieu (cf. Ps 118, 104).
Déroulement de cette manifestation
L’amour divin du Père est le premier aspect. Il est au futur (« mon Père l’aimera ») car, si l’amour est éternel dans la volonté divine, en tant que manifesté dans la réalisation d’une œuvre, il est temporel.
Ensuite vient la visitation divine (« et nous viendrons à lui ») : le mouvement n’est pas tellement de Dieu toutefois, car immobile, que nous serons mus/attirés par lui par la grâce qui nous fait accéder à Dieu. S. Augustin envisage trois manières. Dieu nous remplit de ses effets, et nous les recevons : « Venez à moi, vous qui me désirez, rassasiez-vous de mes fruits » (Si 24, 19 = 26 Vulg). Dieu nous illumine et nous le considérons : « Approchez-vous de lui, et vous serez illuminés » (Ps 33, 6 Vulg). Dieu nous aide et nous lui obéissons.
L’Esprit-Saint n’est pas mentionné ici explicitement mais quelques versets plus haut (v. 16). Et, en tant que lien d’amour entre le Père et le Fils, c’est lui qui opère cette inhabitation évoquant la persévérance, indiquée par la notion de demeurer. Il faut adhérer fermement à Dieu et ne pas la foi d’un instant : « ils croient pour un moment et, au moment de l’épreuve, ils abandonnent » (Lc 8, 13) comme dans la parabole du semeur. D’autres regrettent leur péché, ce qui attire Dieu vers eux mais il n’y demeure pas car ils retournent à leurs péchés « comme le chien retourne à son vomi » (Pr 26, 11). Dieu demeure pour toujours chez les prédestinés (Mt 28, 20). Ainsi s’établit une familiarité du Christ à l’égard des hommes qui sont ses vrais amis (I-II, 28, 2) : « trouvant mes délices avec les fils des hommes » (Pr 8, 30-31).
Le Christ ne se manifestera pas au monde
La séparation d’avec le monde
Un tableau exactement a contrario de ce que Jésus vient d’établir est dressé symétriquement pour expliquer pourquoi le Seigneur ne se manifestera pas au monde. En effet, ceux du monde sont privés des raisons pour lesquelles Jésus allait se manifester à ses fidèles : ils ne l’aiment pas ni ne lui obéissent, sauf pour un dessein particulier de sa Providence comme avec la conversion de S. Paul. De fait, l’amour sépare les saints d’avec le monde. Une mise à part qui a été prise à rebrousse-poil par l’Église moderne.
Celui qui n’écoute pas sa parole, ne rejette pas seulement Jésus mais aussi le Père qui l’avait envoyé. Celui qui l’aime, aime le Père et mérite une manifestation de l’un et de l’autre. La parole que les disciples ont entendue et que Jésus a proférée en tant qu’homme, est à la fois sienne dans la mesure où il la prononce, et n’est pas sienne dans la mesure où elle est d’un autre : « mon enseignement n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé » (Jn7, 16) et « les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même » (Jn 14, 10).
S. Augustin remarque que le Seigneur emploie le pluriel quand il parle de ses paroles, tandis qu’il use du singulier pour la parole du Père. Il a voulu être compris comme Verbe du Père unique. Toutes les paroles qui sont dans nos cœurs proviennent de l’unique Verbe du Père.
La promesse de ses dons par l’Esprit-Saint
Après avoir promis l’Esprit-Saint et lui-même, Jésus leur montre les dons qui proviennent de cette venue de l’Esprit-Saint, puis de lui-même (qui ne peuvent être présentés ici).
L’un des grands dons provenant de l’Esprit-Saint est de rappeler aux disciples les enseignements du Christ et de leur donner l’intelligence de toutes les paroles du Christ. Jésus a communiqué sa doctrine par l’instrument de son humanité, par une présence corporelle. Avec l’Incarnation, c’en était fini des intermédiaires entre Dieu et les hommes (patriarches ou prophètes). Dieu lui-même se révéla pour dire sans ambages qui il est : « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils » (He 1, 1-2).
Jésus présente d’abord l’Esprit-Saint de trois façons : Paraclet, Esprit et Saint. Paraclet signifie littéralement « appelé à nos côtés » (para-klétos en grec = ad-vocatus en latin qui donne avocat). Il nous console de nos tristesses, tant du passé que du présent ou de l’avenir (en tant qu’inquiétude/sollicitude). À ceux qui pleurent leurs péchés passés suivant la seconde béatitude, il apporte la consolation donnant l’espérance du pardon : « recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis » (Jn 20, 23) comme le proclame David dans le célèbre Miserere : « Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne » (Ps 50, 14). Face aux tristesses du présent : « Dans toutes nos détresses, il nous réconforte » (2 Co 1, 4) et « au-dehors, des conflits, et au-dedans, des craintes » (2 Co 7, 5), il console en tant qu’Amour. Il nous fait aimer Dieu et reconnaître sa grandeur pour pouvoir souffrir les outrages avec la joie des saints comme les Apôtres qui « repartaient tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus » (Ac 5,41), suivant en cela la huitième et dernière béatitude (Mt 5, 12). En effet, quand quelqu’un souffre de l’absence de la réalité aimée, il est consolé s’il reçoit une autre réalité davantage aimée. C’est pourquoi les hommes sont consolés, quand à la place des réalités temporelles ils reçoivent des réalités spirituelles et éternelles. Ils reçoivent l’Esprit-Saint. Enfin, quant à la tristesse de ne pas encore voir Dieu dans la patrie céleste, il nous apporte l’espérance par la vie éternelle : « Je change leur deuil en joie, les réjouis, les console après la peine » (Jr 31, 13 ; cf. Is 66, 13).
Il est l’Esprit parce qu’il meut nos cœurs à obéir filialement à Dieu de l’intérieur de nos cœurs (2 Co 3, 3) et non pas comme une loi extérieure gravées sur la pierre (Ez 36, 26 et He 8, 10) telle que le fut l’ancienne Alliance, irréalisable : « tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu » (Rm 8, 14). Il est Saint parce qu’il nous consacre à Dieu nous mettant à part du profane : « votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint (…) vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes » (1 Co 6, 19).
Jésus présente ensuite sa mission au sens étymologique d’envoi (comme la messe ou les apôtres qui en sont dérivés en latin ou grec). L’Esprit-Saint est envoyé par le Père et le Fils d’une manière nouvelle, autre que celle selon laquelle il était en nous auparavant « Envoie ton Esprit et ils seront créés » (Ps 103, 30 Vulg), c’est-à-dire dans un exister (esse) spiritue1 : l’état de grâce et l’adoption filiale (ST III, 45, 4) : « vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions ‘Abba !’, c’est-à-dire : Père ! » (Rm 8, 15, cf. Ga 4, 6).
Puis vient l’effet de l’Esprit-Saint. Comme l’effet de la mission du Fils fut de conduire au Père, ainsi l’effet de la mission de l’Esprit-Saint est de conduire les croyants au Fils. Or le Fils, étant la Sagesse engendrée, la Vérité elle-même (Jn 14, 6), l’effet de sa mission est de rendre les hommes participants de la sagesse divine et de leur donner la connaissance de la vérité. Si le Fils nous transmet son enseignement, l’Esprit-Saint nous rend capables de le recevoir. Quoi que l’homme enseigne au-dehors, si l’Esprit-Saint n’en donne de l’intérieur l’intelligence, c’est en vain qu’il travaille : « L’homme, par ses seules capacités (= l’homme charnel : animalis), n’accueille pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu » (1 Co 2, 14). À tel point que même le Fils, parlant par l’instrument de son humanité, ne peut rien s’il n’est lui-même mû de l’intérieur par l’Esprit-Saint d’après S. Grégoire. De même que celui qui a le goût infecté n’a pas la vraie connaissance des saveurs, celui qui est infecté par l’amour du monde ne peut goûter les réalités divines.
L’Esprit-Saint ne rappelle pas les choses comme les inférieurs doivent parfois le faire (une secrétaire à son employeur). En effet, il ne met pas en nous radicalement la science, mais dans le secret, il procure des forces pour connaître en nous faisant participer à la sagesse du Fils. Il rappelle en tant qu’il nous donne la force motrice de l’amour. Il nous remet aussi en mémoire au moment opportun ce que nous savons par ailleurs. Comment Jean, quarante ans après, aurait-il pu se souvenir de toutes les paroles du Christ qu’il a écrites dans son Évangile, si l’Esprit-Saint ne les lui avait rappelées ?