Trinité (B)

Lecture thomiste de Mt 28, 18-20

Jésus annonce son pouvoir

Différentes puissances

Les disciples étaient divisés. Certains révéraient le Seigneur. D’autres doutaient. Ils avaient donc besoin qu’il se manifestât à eux et les réconfortât. Jésus s’avança vers tout le peuple : « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière » (Is 9, 1). Le pouvoir fut donné à celui qui avait auparavant été crucifié par le peuple (S. Jérôme).

La puissance de Dieu n’est autre que sa toute-puissance. Elle n’a pas été donnée au Christ car elle ne lui convient pas selon son humanité. Quelque chose lui convient selon qu’il est homme et quelque chose selon qu’il est Dieu. Selon qu’il est homme, le Fils a une volonté et une science, tout comme selon qu’il est Dieu. Il y a donc une double volonté dans le Christ : une volonté créée et une incréée. Il a aussi une double science. Mais pourquoi, alors que toute connaissance lui a été communiquée, la toute-puissance ne le lui a-t-elle pas été ?

Science et connaissance se réalisent quand le connaissant s’assimile la chose à connaître. Les espèces (species) des choses connues entrent en lui soit qu’il les connaisse par leur essence, soit qu’elles soient infuses, soit qu’elles soient reçues des choses. Potentiellement, tout peut donc être connu sans que le connaissant soit l’essence de toutes choses, mais qu’il soit capable de toutes. Telle est la façon d’exister d’une réception infinie, comme c’est le cas de la matière première au sens métaphysique d’être en devenir potentiel. Mais la puissance active est différente de la connaissance : elle suit l’acte, car elle agit dans la mesure où elle est en acte. Celui qui possède la toute-puissance active possède une puissance portant sur l’acte de toutes choses, ce qui n’appartient qu’à Dieu.

Don de la puissance

Le don de cette puissance peut être interprété de deux manières (S. Hilaire). Soit quant à la divinité, car le Père a de toute éternité communiqué son essence au Fils ; et parce que son essence est sa puissance, il lui a donc donné sa puissance. Soit quant à l’humanité du Christ qui, en vertu de la grâce de l’union hypostatique, a reçu quelque chose de propre à Dieu. Mais elle a aussi reçu quelque chose qui découle de l’union comme un effet : par exemple la plénitude de la grâce (Jn 1, 14).

« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (v. 18) n’indique donc pas une double puissance mais celle qui est unie au Verbe en tant que Fils de Dieu par nature, et au Christ en vertu de la grâce de l’union. Cela intervient après la résurrection plutôt qu’avant car dans l’Écriture, on dit que quelque chose arrive lorsqu’on en prend connaissance pour la première fois. Avant cette toute-puissance n’était pas aussi manifeste, bien qu’il l’eût possédée ; mais, après, elle fut manifestée au plus haut point, alors qu’il pouvait convertir le monde entier.

On peut encore interpréter la puissance comme un honneur lié à la préséance à la manière des podestats (= puissant étymologiquement) des villes médiévales italiennes. Le Christ qui, depuis l’éternité, exerçait sa royauté sur le monde en tant que Fils de Dieu en a reçu la mise en œuvre par sa résurrection, comme s’il disait : ‘Maintenant, je la possède effectivement’ (cf. Dn 7, 26). Il s’agit d’une présidence effective, comme si le Fils était élevé à l’exercice d’un pouvoir qu’il possédait naturellement : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange » (Ap 5, 12).

Jésus confie une mission

Le Seigneur confie une triple mission.

Enseigner

‘Tout pouvoir m’a été donné par Dieu, afin que, non seulement les Juifs, mais aussi les Gentils soient convertis à moi. Puisque c’est maintenant le moment, allez donc enseigner à toutes les nations’. Cela évoque la chaîne successive des envois : le Père envoie le Fils ; le Père et le Fils envoient l’Esprit-Saint ; le Fils et l’Esprit-Saint envoient les apôtres. « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21 ; cf. Lc 22, 29).

L’enseignement renvoie à la foi, car c’est la première chose dont nous devions être instruits : « sans la foi, il est impossible d’être agréable à Dieu ; car, pour s’avancer vers lui, il faut croire qu’il existe et qu’il récompense ceux qui le cherchent » (He 11, 6). L’Église catéchise d’abord les adultes qui doivent être baptisés. Ce pouvoir s’étend au monde entier qui doit venir à la connaissance de la foi. Toutes les nations doivent se laisser éclairer par cette lumière : « je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49, 6). Avant de baptiser, donc promouvoir à la dignité de fils adoptif de Dieu, il faut faire connaître cette éminente dignité afin que, par la suite, le catéchumène ait du respect envers Jésus puisque c’est le Christ qu’on revêt par le baptême (Ga 3, 27).

Baptiser

Tout sacrement a une matière et une forme. La forme du baptême est « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). Jésus est le chemin : « Par lui (…) nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père » (Ep 2, 18). Mais ce chemin n’est pas éloigné du terme. Il y est même joint, c’est pourquoi Jésus ajoute : « la vérité et la vie ». Il est lui-même est à la fois le chemin et le terme. Le chemin en tant qu’homme, terme en tant que Dieu, recherché par le désir humain. Or, l’homme désire principalement deux choses : d’abord la connaissance de la vérité, ce qui lui est propre en tant qu’animal rationnel ; ensuite la continuation de son existence, ce qui est commun à tous les êtres, même animaux et plantes. Le Christ est le chemin pour parvenir à la connaissance de la vérité, alors pourtant qu’il est lui-même la vérité : « Montre-moi ton chemin, Seigneur, que je marche suivant ta vérité » (Ps 85, 11, S. Thomas intervertit les deux). Et le Christ est le chemin pour parvenir à la vie, alors pourtant qu’il est lui-même la vie : « Tu m’apprends le chemin de la vie » (Ps 15, 11).

Si donc tu cherches par où passer, prends le Christ, puisque lui-même est le chemin : « Voici le chemin, prends-le ! » (Is 30, 21). « Marche en suivant l’homme et tu parviendras à Dieu » (S. Augustin). Il vaut mieux boiter sur le chemin que marcher à grands pas hors du chemin. Car celui qui boite sur le chemin, même s’il n’avance guère, se rapproche du terme ; mais celui qui marche hors du chemin, plus il court vaillamment, plus il s’éloigne du terme.

Jésus nous dit donc : ‘Je ne veux pas que vous vous arrêtiez en route, c’est-à-dire à l’humanité, mais que vous poursuiviez jusqu’à la divinité’. Il fallait donc que deux choses soient indiquées : l’humanité et la divinité. Par le baptême, l’humanité était signifiée puisque « par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui » (Rm 6, 4) or seul un homme est mortel. Et par la forme des paroles, la divinité est signifiée, en sorte que la sanctification se réalise par la divinité : « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ».

Le baptême opère une régénération. Pour qui ? Pour Dieu le Père : « il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom » (Jn 1, 12). Par qui ? Par le Fils : « Dieu a envoyé son Fils (…) pour que nous soyons adoptés comme fils » (Ga 4, 4-5) car, par l’adoption, nous sommes fils à l’image de celui qui est Fils par nature. Comment ? Par le don de l’Esprit Saint : « Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions ‘Abba !’ (= Papa) » (Rm 8, 15). De même les trois étaient présents au baptême de Jésus : le Fils était celui par qui, le Père celui de qui, et le Saint-Esprit était [représenté] par la colombe.

Le Seigneur dit : « au nom », c’est-à-dire par l’invocation du nom et par la puissance du nom (« Toi, Seigneur, tu es au milieu de nous, ton nom est invoqué sur nous ; ne nous délaisse pas ! », Jr 14, 9). Le nom est au singulier et non au pluriel pour confondre les hérésies comme Arius qui réduisait le Christ à un humain divinisé par adoption.

Étrangement, S. Paul semble se démarquer de cet ordre divin de baptiser : « Le Christ, en effet, ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile » (1 Co 1, 17), donc se limitant à la première étape d’enseignement de la foi. Il baptisait pourtant par l’intermédiaire d’autres, comme le Christ ne baptisait pas lui-même, mais par ses disciples.

Former les mœurs

Enfin, Jésus ajoute : « apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé ». Il ne suffit pour être sauvé de croire et d’être baptisé ! L’instruction sur les mœurs est aussi nécessaire. Raison pour laquelle un catéchisme traditionnel décline après le Credo les 10 commandements. « Toi, tu promulgues des préceptes à observer entièrement » (Ps 118, 4). Ce n’est pas qu’un conseil comme pour les conseils évangéliques (chasteté, pauvreté et obéissance) émis par des religieux. Car on peut être sauvé sans les professer, sans être religieux. Mais cela est nécessaire au salut et vaut pour tous : « ce que je vous dis là, je le dis à tous » (Mc 13, 37).

Jésus promet son aide

Enfin, en disant « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde », Jésus promet son aide, désarmant par avance une réplique disant notre insuffisance à cette tâche surhumaine, car divine, d’évangéliser le monde. Cette aide est promise à tous et pas qu’aux apôtres : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi » (Jn 17, 20).

Son aide s’étend aussi à l’ensemble du temps. Par la consommation, nous serons alors dans la gloire, quand sera complété le nombre des élus et que l’Église des fidèles sera achevée. La génération des fidèles est plus forte que le monde car le nom de Jésus est Emmanuel (Is 7, 14) qui veut dire « Dieu parmi nous ».