Fête-Dieu (B)

Lecture thomiste de Jn 6, 55-59

En cette fête du Corps et du Sang de Jésus-Christ appelée aussi Fête-Dieu, méditons ce court évangile à la lumière de S. Thomas d’Aquin.

Vérité de la manducation du corps du Christ

Une nourriture vraie dans tous les sens du terme

« Ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson » (v. 55) montre la vérité de la manducation car ses paroles ne doivent pas être comprises au sens allégorique (ni de parabole ni de figure) comme le pensent les Protestants ou bien des modernistes. La chair du Christ se retrouve réellement dans les miracles eucharistiques : un morceau de chair humaine vivante, provenant du cœur avec des globules blancs ainsi que du sang de groupe AB (seulement 3,2% de la population mondiale, mais très présent au Nord de la Palestine).

Nous ne parlons pas là que du miracle de Lanciano (VIIIe s.) ville de S. Longin qui transperça de sa lance le Cœur Sacré de Jésus ; ni de Bolsano (1263) car nombreux sont les miracles eucharistiques (134 officiellement reconnus par l’Église, recensés en 2017[1]). De plus récents apportent des résultats identiques. Le 15 août 1996 à Buenos Aires, un fidèle communia dans la main et fit tomber l’hostie qu’il ne voulut pas récupérer car elle lui parut souillée. Une femme en avertit un curé qu’une hostie avait été retrouvée. Mise dans l’eau pour y être dissoute, suivant la procédure canonique, elle se transforma. L’archevêque Jorge Bergoglio, actuel pape François, fit procéder à des analyses en Californie et à New York (université Columbia) et le professeur en médecine légale Frederick Thomas Zugibe y reconnut en 2004-2005 un morceau du ventricule gauche du myocarde, soumis à un stress aigu « comme si son détenteur avait été violemment frappé à la poitrine ». Enfin, à Noël 2013, à Legnica en Basse-Silésie polonaise, une hostie tombée à terre subit le même traitement de dissolution et se transforma en muscle. Elle fut authentifiée par l’Église en 2016 après analyse qui montrèrent sur ce muscle des « altérations qui apparaissent souvent pendant l’agonie ».

Une nourriture donnant accès à la vie éternelle

La nourriture et la boisson sont indispensables à l’homme pour survivre corporellement, pour le restaurer. Mais l’homme est un composé de corps et d’âme (hylémorphisme : l’âme est la forme du corps qui est la matière). La partie principale n’est pas – comme on le croit aujourd’hui en ces temps de folie sanitaire – le corps, mais l’âme. Celle-ci a aussi besoin d’être nourrie car c’est elle qui fait la différence spécifique d’avec tous les animaux, les brutes irrationnelles. « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre » (Ps 22, 1-3).

On dit encore qu’une chose est réellement lorsqu’elle produit bien son effet. L’effet de la nourriture est de rassasier. Le corps et le sang du Christ sont réellement nourriture et boisson car ils conduisent à l’état de gloire où il n’y a ni faim ni soif (Ap 7, 16). Cette nourriture spirituelle donne donc accès à la vie éternelle. L’union donnée par la manducation du corps et du sang du Christ unit l’âme à Dieu dans la vie éternelle.

Syllogisme pour l’union sacramentelle

Majeure

Le Christ fait un syllogisme. Il pose d’abord la majeure puis la mineure et en tire sa conclusion. Pour la majeure, on pourrait comprendre l’incorporation au sens mystique, spirituel : en mangeant, on serait incorporé au corps mystique par l’union de foi et de charité puisque la charité fait que Dieu est dans l’homme et réciproquement (Jn 4, 16), ce qui advient par l’Esprit-Saint aussi (Jn 4, 13).

Mais l’autre interprétation est la consommation sacramentelle. Et là, de tous ceux qui mangent la chair et boivent le sang du Christ, tous ne demeurent pas en Dieu car il y a plusieurs manières de manger cette chair et de boire ce sang. Il y a ceux qui sont en vérité par rapport à la réalité signifiée du vrai corps charnel et divin du Christ. Mais d’autres approchent ce sacrement avec un cœur mensonger lorsque ce qui est signifié à l’extérieur ne trouve pas de correspondance intérieure. Et alors le sacrement n’y produit aucun effet. L’incorporation au Christ du communiant est signifiée extérieurement mais celui qui n’a pas dans son cœur le désir de cette union et qui ne s’efforce pas d’écarter tout ce qui y fait obstacle comme le péché, est mensonger. C’est pourquoi le Christ ne demeure pas en lui, ni lui dans le Christ.

Mineure

La mineure est : celui qui est uni au Christ a la vie. Elle est induite par une similitude. Le Fils, à cause de son unité avec le Père, reçoit la vie du Père et celui qui est uni au Christ, reçoit la vie du Christ. Ces paroles peuvent s’expliquer de deux manières au sujet du Christ : selon sa nature humaine ou selon sa nature divine.

En tant que Fils de Dieu, le « comme » implique une similitude du Christ avec la créature sur un seul point : le fait d’être d’un autre. Mais comme dans toute analogie, la dissimilitude est encore plus grande, parce que le Fils se distingue de nous, créatures, en recevant du Père toute la plénitude de la nature divine (Col 2, 9). Tout ce qui par nature est au Père est aussi par nature au Fils alors que la créature, elle, reçoit une certaine perfection et une nature particulières. Comme le Père a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui-même (Jn 5, 26). Il ne dit pas : ‘Comme je mange le Père et que moi je vis à cause du Père’ puisqu’il procède du Père. Il est engendré par lui, tout en lui est égal de nature. Nous rejettons l’arianisme. Le Christ possède la nature du Père et non une partie de celle-ci — elle est simple et indivisible — mais toute la nature du Père. Ainsi le Fils vit à cause du Père, l’engendrement éternel ne lui apportant pas une nature autre, ni numériquement ni spécifiquement. Tandis que nous participons à son corps et à son sang par manducation, ce qui nous rend meilleurs.

L’autre interprétation est suivant la nature humaine du Christ. « Comme » implique alors, sur un point, une similitude entre le Christ-homme et nous : il reçoit la vie spirituelle par l’union à Dieu et nous par la communion au sacrement. Mais la dissimilitude réside dans le fait que le Christ-homme reçoit la vie par union au Verbe avec lequel il n’est qu’une unique personne, alors que nous sommes unis au Christ par le sacrement de la foi.

« De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » signifie donc :

  1. soit suivant la nature divine : je vis à cause du Père car le Père est vivant
  2. soit suivant la nature humaine : parce qu’il m’a envoyé, le Père a fait que je m’incarne.

Conclusions

Le Seigneur tire deux conclusions car les Juifs controversaient sur deux points : l’origine de la nourriture spirituelle et sa vertu.

Au sujet de l’origine, les Juifs avaient été troublés par ce qu’il avait dit : ‘Moi je suis le pain vivant descendu du ciel’ (Jn 6, 51). Contre eux, il réaffirme descendre du ciel, tenir son origine du ciel parce que le Fils vit par le Père. Le Christ est celui qui descend du ciel : quant à la divinité, « du ciel » montre qu’il procède du Père tandis que « descendu » évoque son corps formé par l’Esprit Saint. Voilà pourquoi ceux qui mangent ce pain ne meurent pas à la manière dont sont morts leurs pères avec la manne qui ne descendait pas du ciel véritable et n’était pas le pain vivant.

La conclusion suivant la vertu renvoie à l’éternité à laquelle participera celui qui sait discerner par la foi le vrai corps et sang de Jésus-Christ.

[1] Les 132 premiers sont recensés par Sergio Meloni, Les miracles eucharistiques dans le monde, François-Xavier de Guibert, 2009.