Compte-rendu de la retraite du 19 au 23 août 2019

Retraite du 19 au 23 août 2019 avec l’Abbé Henri Vallançon

La retraite a été donnée par l’abbé Henri Vallançon, du diocèse de Coutances, reprenant le thème de celle qu’il avait prêchée à l’abbaye Notre-Dame de Triors en octobre 2017 : Action et contemplation dans l’apostolat et dans l’oraison selon le Bienheureux Marie Eugène de l’Enfant-Jésus.

Quand on entre en retraite, il faut échapper au monde et le dominer ; il nous faut échapper à la fascination du monde – même s’il présente un vernis spirituel – et c’est ainsi que nous lui serons utiles. C’est par ce type de recommandations que, vers 1950, le Bx. Marie-Eugène commençait les retraites qu’il prêchait ; il constatait à cette époque que les prêtres, même s’ils voulaient s’opposer à lui, étaient fascinés par le communisme et que les théologiens s’orientaient vers le temporel. Le risque devenait alors de regarder « Dieu dans l’homme » et de ne plus regarder Dieu en Lui-même. La fascination pour le monde ne se porte plus sur les mêmes éléments mais le risque est toujours là : on se laisse fasciner par le mal que l’on veut vaincre. Or, toute méthode d’apostolat qui ne part pas du divin ne peut porter de fruits. Et l’antichristianisme contemporain peut nous amener à ne plus chercher qu’à lutter contre cet antichristianisme, alors qu’il faut regarder Dieu d’abord et avant tout et étudier les principes de l’apostolat là où ils se trouvent : dans les Saintes Ecritures et la vie des Saints. L’apostolat se nourrit d’oraison et y retrouve la lumière pure de Dieu. Si nous nous détachons dans les temps de retraite et dans l’oraison quotidienne des combats apostoliques et théologiques que nous avons à mener, c’est en vue de mieux nous donner à notre apostolat.

C’est par ce vigoureux préambule que l’abbé Henri Vallançon a introduit une retraite très riche de contenu, nourrie de citations du Bx. Marie-Eugène, de Sainte Thérèse d’Avila, de Saint Jean de la Croix et des maîtres de l’école carmélitaine qu’il connaît parfaitement ; nourrie aussi d’études exégétiques précises de nombreux passages scripturaires. Mais le but de notre prédicateur, prêtre du diocèse de Coutances et Avranches, curé de Cerisy-la-Salle, professeur d’exégèse au séminaire de Rennes et au Centre d’études théologiques de Caen, fin connaisseur de l’apport de l’Institut Notre-Dame de Vie, n’a jamais été autre que de nous inviter à ne jamais séparer action et contemplation : l’oraison est une action (et il nous a souvent cité Sainte Thérèse  comme celle qui fonde des Carmels pour être autant de « petites places-fortes où se sont retirés les bons chrétiens » et qui n’ont de raison d’être que de tendre à l’efficacité de la prière) et l’apostolat ne peut avoir de résultats que s’il est mené « les yeux constamment fixés sur Jésus-Christ ». L’image de la citadelle assiégée, tant décriée de nos jours, est une image très juste de l’Eglise ; elle l’est aussi de l’âme du chrétien et du prêtre : rentrant en moi-même, je trouve Dieu présent, et l’efficacité de ma prière et de mon apostolat sera proportionnelle à la robustesse de ma citadelle.

Sur cette base solide se sont élevées les instructions suivantes. La deuxième portait sur le sacerdoce dans la Nouvelle Alliance. Le Prophète Ezéchiel (ch.34) annonce qu’il n’y aura plus qu’un seul pasteur et l’Epitre aux Hébreux parle du sacerdoce selon Melchisédech (ch.7) avec le Grand Prêtre assis en majesté (ch.8). Ces fondements scripturaires définissent donc que ce qui est exigé du prêtre de la Nouvelle Alliance est d’être et d’agir avec le Christ : « l’œuvre que Tu m’as donnée à faire » doit devenir la sienne. La foi est principe d’apostolat pour que nos actions soient œuvre de Dieu.

La troisième instruction, « la foi, principe de l’oraison et de l’apostolat », nous a fait entrer dans le fondement de la prière : la science du Père. Nos facultés naturelles accueillent la grâce, comme le pied de vigne (nos qualités naturelles) accueille par la greffe (le baptême) le greffon (les vertus théologales). « L’apostolat est une collaboration que Dieu demande pour la réalisation de son dessein éternel qu’est l’Eglise » (Bx. Marie-Eugène, retraite en 1952). Les caractéristiques de la connaissance de foi que définit St Jean de la Croix (la foi est obscure ; la foi est certaine) valent autant pour l’apostolat que pour l’oraison.

« L’entrée dans la vie mystique » : s’appuyant sur un tableau intitulé « progression spirituelle », cette instruction a défini très précisément (en y incluant ce que St Jean de la Croix dit des « défauts du commençant », de la « sainte folie »…) les deux phases du développement de « l’organisme théologal » : modalité naturelle où Dieu laisse place à l’intelligence humaine ; modalité spirituelle où Dieu intervient par le secours spirituel.

La retraite, poursuivant un itinéraire de montée vers Dieu, a approfondi ensuite les difficultés dans l’oraison causées par ce nouveau mode d’action de Dieu, ce que cela induit dans l’apostolat, ce que produisent en nous les dons du Saint-Esprit. Le Bx. Marie-Eugène rappelait souvent que, dans le processus de pacification progressive de la vie spirituelle, « l’emprise » de Dieu dans l’âme n’est pas uniforme : elle atteint d’abord la volonté puis généralement l’intelligence mais ne touche que rarement la mémoire et l’imagination. Le fonds paisible de l’âme est distinct des « faubourgs » bruyants et les facultés volages restent volages. Ste Thérèse a développé le fait que l’unique remède est l’oraison de quiétude qui ne fait plus cas de l’imagination, « folle que l’on abandonne à son thème ». L’apostolat constitue alors une sage diversion aux agitations et tensions de l’oraison. Et c’est par les dons du Saint-Esprit que la Sagesse divine peut entrer directement dans l’âme et y établir Son règne parfait. L’action de ces dons est passive ; ils vont libérer les vertus surnaturelles de leur dépendance vis-à-vis des facultés naturelles et ils vont assouplir et pacifier les vertus naturelles ; dans l’oraison, ils vont apaiser les sens et donner des clartés à l’intelligence ; dans, l’apostolat, ils feront découvrir la présence du Christ dans le prochain.

La sixième instruction traitait des purifications en général, de la purification des sens et des 5ème et 6ème demeures. « Celui qui fait la vérité vient à la lumière » (St Jean,3,21) : seul l’Esprit peut pénétrer nos péchés invétérés, le fomes peccati ; la purification passive va s’accomplir par le sacrement de pénitence ; l’hymne de la Dédicace ne dit-il pas : « il faut que toute pierre se livre à l’ouvrier » ? Cela se fera en deux grandes étapes, la nuit des sens et la nuit de l’esprit – et ce en trois phases qui correspondent à celles de la nuit naturelle : d’abord les sens ne distinguent plus les choses qui les entourent (partie à la fois sensitive et spirituelle) ; le milieu de la nuit où tout est obscur, temps de la foi ; l’aurore correspondant à la proximité de la lumière de Dieu (partie spirituelle comme la deuxième). Tant dans l’oraison (inquiétudes, manques, sècheresses) que dans l’apostolat (Moïse –Nombres, 11 à 14– ou St Paul –voir les Epîtres aux Corinthiens- avec un paroxysme du sentiment de stérilité apostolique dans les chants du Serviteur souffrant d’Isaïe), ce passage ne se fait pas sans souffrances extérieures et intérieures. Mais, par elles, on parvient à l’union de volonté, union au Christ total ; cette union donnera naissance (elle n’a pas d’autre raison d’être) à des œuvres. Mais elle suppose que l’âme se laisse conduire par le détachement et par l’obéissance (Ste Thérèse de Lisieux : « le chemin le plus rapide pour arriver au sommet de la perfection »). La devise de la Compagnie des Indes à l’île de La Réunion n’était-elle pas : florebo quocumque ferar ? Je fleurirai partout où je serai portée ?

La dernière instruction a porté sur la purification de l’esprit et l’union par ressemblance d’amour (6ème et 7ème demeures). Après les purifications actives des 4ème et 5ème demeures, les purifications passives qui sont, elles, l’œuvre des dons du Saint-Esprit, on peut en arriver à une période de plénitude, la nuit de l’esprit, étape nécessaire en vue de la divinisation mais redoutable avec des souffrances purement spirituelles portant sur les racines de nos facultés : l’âme sent un vide profond et le démon suscite en nous des angoisses telles que celles de St François d’Assise décrites dans « Sagesse d’un pauvre » lorsque ses frères trahissent le charisme fondateur de l’Ordre. Cette nuit de l’esprit, ce vide radical des facultés amènent à un retournement psychologique profond : désormais l’intelligence et la volonté n’agissent plus que sous la motion de Dieu venue des profondeurs de l’âme. On en arrive à la configuration au Christ, au partage de Ses souffrances purificatrices et corédemptrices, à la connaissance véritable du Mystère de Dieu : toute l’âme entre en son centre qui est Dieu (Ste Thérèse de Lisieux date ce jour, pour elle, du 9 juin 1895). St Jean de la Croix note que si peu de gens y parviennent, ce n’est pas que Dieu veuille en restreindre le nombre, c’est parce que peu veulent entreprendre une œuvre si haute et si sublime : la plus légère épreuve les trouve faibles.

Remarquable retraite ! Un seul regret, celui d’avoir été très peu nombreux à y participer, si peu à profiter du cadre priant et accueillant de la très belle et toute récente hôtellerie de Triors et de la délicate sollicitude dont nous ont entourés le TRP Don Courau et le RP Hôtelier. Il est vrai que cette retraite n’a été décidée et annoncée qu’au printemps 2017 alors que les agendas étaient déjà bien remplis ; notons donc déjà celle de la Toussaint 2018, du 21 au 25 octobre, et soyons-y nombreux. Je ne saurais personnellement assez remercier l’abbé Vallançon d’avoir si profondément ENRACINE notre sacerdoce dans l’essentiel : Dieu seul. Dans sa remarquable conférence finale, il nous rappela que, face à l’athéisme des masses qui est un fait dans notre France actuelle, « l’urgence des urgences » est de brûler de foi ».

 

Abbé Vincent Richard

Prêtre du diocèse de Dijon