Res novæ – novembre 2023
Res novæ novembre 2023
Évêques, notre souffrance, évêques, notre espérance
Le Concile les a magnifiés. On peine aujourd’hui à leur trouver de la consistance. Et pourtant, dans la grande déréliction que traverse l’Église du Christ, c’est vers eux, pasteurs et docteurs, qui ont tout ce qui est nécessaire pour « jeter le feu sur la terre », que l’on se tourne nécessairement dans l’espérance.
Vatican II, le concile de l’exaltation de l’épiscopat
Après Vatican I, qui fut le concile du pape et s’était terminé trop tôt pour aller au-delà de la définition de l’infaillibilité pontificale, Vatican II allait être un concile de rééquilibrage, le concile des évêques, disait-on à l’époque de son ouverture.
Une participation par la consécration épiscopale à la juridiction universelle
En témoigne la reconnaissance de la sacramentalité de l’épiscopat (Lumen Gentium, n. 21), mais elle ne soulevait pas de débat passionné. En revanche, son affirmation était suivie de ce qu’on peut bien qualifier de tour de passe-passe doctrinal. Au lieu de dire que la consécration épiscopale donne une capacité à recevoir une juridiction[1] sur une part déterminée du peuple chrétien (généralement un diocèse), Lumen Gentium affirmait que « la consécration épiscopale, en même temps que la charge de sanctification, confère aussi les charges d’enseigner et de gouverner, lesquelles cependant, de par leur nature, ne peuvent s’exercer que dans la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres. » Autrement dit, par la seule consécration épiscopale est directement conférée une « charge de gouverner », à savoir une juridiction, dont l’exercice concret sera déterminé par la nomination à la tête d’un diocèse. Exercice déterminé par la nomination comme évêque diocésain, mais pas vraiment réduit, si l’on comprend bien ce texte difficile à bien saisir. Il donne en effet à chaque évêque une participation à la juridiction universelle, et non pas seulement cette sollicitude sur toute l’Église que lui reconnaissait la doctrine traditionnelle (Pie XII, Fidei Donum, 21 avril 1957). Lumen Gentium au n. 23 rappelle d’ailleurs cette sollicitude universelle traditionnelle en acte, mais en la rattachant à une juridiction universelle en puissance : « même si elle ne s’exerce pas par un acte de juridiction ».
Un collège épiscopal, pape et évêques, sujet de la juridiction universelle ?
Cette participation de chaque évêque à la juridiction sur toute l’Église débouche sur la doctrine de la collégialité, contre laquelle la minorité conciliaire s’est particulièrement battue, mais sans succès, parce qu’elle lui trouvait une saveur parlementaire et la considérait, non sans raison, comme une atteinte à la primauté pontificale.
L’intention des évêques de Vatican II semblait donc être de donner à l’ensemble de l’épiscopat uni au pape un pouvoir collégial permanent sur toute l’Église. Pour ce faire, il fallait qu’il y eût formellement un collège. L’affirmation que le collège des Apôtres, censé avoir exercé en permanence un gouvernement pastoral collégial, se continuait dans le collège épiscopal, paraissait apte à établir que l’ensemble des évêques constituait, en dehors même de la réunion en concile, un collège épiscopal formel exerçant ce même gouvernement universel. Dans le passage-clé sur ce point, le n. 22 de Lumen Gentium, deux termes distincts étaient prudemment employés, « ordre » et « collège, « l’ordre des évêques » et « le collège apostolique », mais aussi un terme commun, « corps », « corps apostolique » et « corps épiscopal » : «Le collège ou corps épiscopal n’a d’autorité que si on l’entend comme uni au Pontife romain, successeur de Pierre […]. L’ordre des évêques, qui succède au collège apostolique dans le magistère et le gouvernement pastoral, bien mieux dans lequel le corps apostolique se perpétue sans interruption constitue, lui aussi, en union avec le Pontife romain, son chef, et jamais en dehors de ce chef, le sujet du pouvoir suprême et plénier sur toute l’Église » [les soulignements sont de nous]. Si l’on comprend bien, l’épiscopat uni au pape n’est plus seulement un sujet de l’infaillibilité, comme on l’affirmait traditionnellement (le pape seul étant l’autre sujet de cette infaillibilité), mais il est aussi un sujet du pouvoir plénier sur toute l’Église.
Les évêques diocésains tiennent leur juridiction immédiatement du Christ et non par l’intermédiaire du pape
En cohérence avec ce qui précède – à savoir que chaque évêque, selon Lumen Gentium, reçoit lors de sa consécration une participation à la juridiction universelle – Lumen Gentium prenait position, et ce beaucoup plus clairement, sur l’origine de la juridiction des évêques diocésains. Au n. 27, la constitution sur l’Église, les qualifiait de vicari et legati Christi, vicaires et envoyés du Christ, ce qui n’aurait rien de notable si le titre de « Vicaire du Christ » n’avait été jusque-là généralement réservé au pape[2]. Mais le n. 27 continuait : le pouvoir, potestas, que les évêques diocésains exercent ainsi au nom du Christ est « propre, ordinaire et immédiat » [c’est nous qui soulignons]. Le terme de potestas est moins précis et surtout moins technique que celui de juridictio (le pouvoir de gouverner), mais c’est bien de la juridiction de l’évêque diocésain qu’il s’agit ici, du fait des deux premiers adjectifs utilisés classiquement pour qualifier la juridiction épiscopale, qui est en effet « propre » (exercée par le titulaire, ici l’évêque, en son nom et pas par délégation) et « ordinaire » (inhérente à la fonction, ici sa fonction épiscopale diocésaine).
En revanche la troisième qualification, « immédiate », est une considérable nouveauté. Pie XII, en effet, avait enseigné à trois reprises que la juridiction de droit divin des Successeurs des Apôtres, émanant du Christ (comme toute juridiction d’ailleurs), est reçue par l’intermédiaire du Successeur de Pierre, par sa médiation. Dans Mystici Corporis, du 29 juin 1943 : « S’ils [les évêques diocésains] jouissent du pouvoir ordinaire de juridiction, ce pouvoir leur est immédiatement [c’est nous qui soulignons] communiqué par le Souverain Pontife ». Et, dans le contexte du schisme de l’Église patriotique de Chine, dans Ad sinarum gentem, du 7 octobre 1954 : « Le pouvoir de juridiction [en général, et notamment celui des évêques diocésains] est directement conféré, de droit divin, mais seulement par l’intermédiaire du successeur de Pierre » ; et de même dans Ad Apostolorum Principis, du 29 juin 1958 : « La juridiction ne parvient aux évêques que par l’intermédiaire du Pontife romain. »
D’ailleurs, comme pour corriger son affirmation que la juridiction est donnée immédiatement à l’évêque diocésain par le Christ, Lumen Gentium ajoutait : « Il [ce pouvoir] est soumis cependant dans son exercice à la régulation dernière qui lui vient de l’autorité suprême de l’Église et, en considération de l’utilité de l’Église ou des fidèles, il peut être, par cette autorité, resserré en certaines limites[3]. »
Ajoutons que les Pères de Vatican II, dans ce même mouvement d’auto-affirmation épiscopale, se sont évertués à réduire les entraves que pouvaient constituer d’autres pouvoirs. Ainsi, l’exemption des religieux (à savoir leur soustraction à la juridiction de l’évêque) qui participent à la vie pastorale du diocèse est rognée : il était habituellement expliqué qu’ils étaient soumis à « l’autorité » de l’évêque pour la bonne organisation de cette vie pastorale ; le Concile a quant à lui ajouté qu’ils sont soumis à sa « juridiction » pour cette même organisation pastorale diocésaine (décret Christus Dominus sur la charge pastorale des évêques, n. 35). Mais surtout, le n. 31 de Christus Dominus supprimait pratiquement la traditionnelle inamovibilité dont jouissaient un grand nombre de curés : « On révisera et simplifiera la manière de procéder à la translation et au déplacement des curés, afin que l’évêque puisse dans le respect de l’équité, aux sens naturel et canonique du terme, pourvoir plus commodément aux exigences du bien des âmes. » Christus Dominus disait cependant que « chaque curé doit jouir, en son office, de la stabilité que requiert le bien des âmes ». Par le biais de cette « stabilité », le canon 522 du nouveau Code de Droit canonique a essayé de trouver un succédané de l’inamovibilité, une sorte de CDI : « Le curé doit jouir de la stabilité et c’est pourquoi il sera nommé pour un temps indéterminé. » Sauf que le canon 522 ajoute : « L’Évêque diocésain ne peut le nommer pour un temps fixé que si cela a été admis par un décret de la conférence des Évêques. » Ce qui est pratiquement toujours le cas. La mobilité des curés est donc devenue, selon l’intention du Concile et via les décisions des conférences épiscopales, la règle. Par exemple, la charge curiale est généralement conférée en France pour 6 ans, avec des renouvellements possibles, ce qui fonctionnarise inévitablement cette charge.
Des évêques recadrés par un pape qui a plus de pouvoir que jamais
L’histoire dira sans doute que les papes conciliaires ont joui d’une autorité plus grande que celles leurs prédécesseurs, toutes choses égales par ailleurs et dans un tout autre contexte, un peu comme les dirigeants de démocraties ont plus de pouvoirs que les princes qu’ils ont remplacés. Comme Louis XVIII octroyant la Charte, Paul VI, au début de la dernière session du Concile, institua lui-même, par le motu proprio Apostolica sollicitudo du 15 septembre 1965, ce qui est apparu comme le principal organe de la collégialité épiscopale, et qui en même temps la cantonnait singulièrement, le Synode des Évêques. Le pape se donnait donc un conseil, nommé Synode des Évêques, dont les assemblées composées en majorité d’évêques nommés par les conférences épiscopales, se réuniraient sur sa convocation ; il en fixerait l’ordre du jour ; il n’aurait qu’un un rôle consultatif, le pape pouvant exceptionnellement lui donner pouvoir délibératif, mais se réservant alors de ratifier ses décisions. Ce qu’entérina le Concile (Christus Dominus, n. 5).
Pour autant ce Synode n’a pas un rôle mineur dans l’Église d’après Vatican II. Ses assemblées régulières, à l’image de ce qui se passe dans les sociétés modernes, entrent dans le jeu d’élaboration d’accords de compromis, qui remplacent de fait, aujourd’hui dans l’Église la traditionnelle obéissance de la foi, ciment de la communion au Christ. Le tout, dans ces synodes, avec une forte dose de ce qu’il faut bien appeler manipulation, soit dans un sens de modération des poussées progressistes lorsque la ligne romaine était celle de « l’herméneutique du renouveau dans la continuité » (sous Benoît XVI, sous Jean-Paul II et même sous Paul VI), soit au contraire dans un sens progressiste, lorsqu’elle s’inspire, comme aujourd’hui sous François, de « l’herméneutique de la discontinuité et de la rupture ». Les forces conservatrices sont quant à elles de toute façon pénalisées par le fait que le Synode, comme le dernier concile, reste sur le mode pastoral, et que toute critique strictement doctrinale (sous forme de questions, de dubia par exemple) reste vaine.
Plus encore, Paul VI accentua son autorité sur l’épiscopat par une autre interprétation du Concile. Le décret Christus Dominus en son n. 21 voulait que « les évêques diocésains et tous les autres qui relèvent des mêmes dispositions du droit, [soient] instamment priés de donner leur démission, soit d’eux-mêmes, soit sur l’invitation de l’autorité compétente, si, du fait de leur âge avancé, ou pour toute autre raison grave, ils deviennent moins aptes à remplir leur tâche. » Paul VI fixa « l’âge avancé » à 75 ans leur démission. Pour les évêques en général, pas pour l’évêque de Rome. Il décida que les évêques diocésains et équivalents seront « instamment priés de présenter spontanément, au plus tard à l’âge de 75 ans » (Lettre apostolique Ecclesiæ Sanctæ, n. 11). Ce qui fut plus tard consigné dans le canon 401 de Code de 1983. Le pape échappant à cette obligation, puisque personne n’est en droit de lui faire cette demande instante.
Certes, les évêques ne sont pas strictement obligés de présenter leur démission, mais de fait ils se plient tous à cette règle (l’unique exemple d’un refus de présenter sa démission a été celui, en 2011, de l’archevêque de Buenos Aires, le cardinal Jorge Bergoglio). Ce qui donne à Rome une capacité de renouveler les épiscopats qu’elle n’avait jamais eue à ce degré. Du même coup, l’évêque, « époux » de son Église (cf. 1 Tm 3, 2), tend à devenir une sorte de préfet-fonctionnaire provisoire. Ce plus encore sous le présent pontificat, centralisateur au maximum, où le pasteur d’un diocèse se considère comme un simple représentant du pape, comme on le voit par exemple dans l’application de Traditionis custodes, malgré toutes déclarations contraires.
Et enserrés par un système d’opinion majoritaire
Par ailleurs, si le Synode octroyé par Paul VI apparaît comme le principal organe de la collégialité, les conférences épiscopales généralisées par Christus Dominus (n. 37), regroupant les évêques d’un pays ou d’un territoire, sont aussi considérées comme des témoins de la collégialité. On s’aperçoit que si celle-ci accroît (théoriquement) le rôle collectif des évêques, elle est un instrument de réduction, d’auto-réduction par conséquent, de leur autorité individuelle.
En réalité, la réunion d’évêques pour se concerter et prendre des décisions n’a rien que de traditionnel, sauf que cela se déroulait jadis dans une Église où le premier souci était celui de la transmission du message du Christ. Les synodes ou conciles particuliers, nationaux ou régionaux du passé, réunis ponctuellement pour débattre de questions de foi (sous réserve de l’approbation du pape) ou bien de pastorale au sens classique, c’est-à-dire en rapport direct avec la foi, n’étaient nullement réducteurs, au contraire, de l’autorité épiscopale. Mais les conférences actuelles sont des organisations permanentes, alourdies par ailleurs d’administrations très contraignantes, qui traitent en quelque sorte administrativement de sujets d’organisation pastorale et dont les décisions vont s’imposer, au moins par obligation morale, à l’ensemble de leurs membres.
Le fait est qu’on évolue aujourd’hui dans l’Église en dessous du magistère, lequel ne s’impose plus en permanence comme il le faisait jadis, soit pour préciser ce qu’est la vérité à croire ou la règle morale à suivre, soit pour condamner l’erreur. La communion par la foi est remplacée par un vaste mouvement d’opinion majoritaire semblable à celui qui est finalement le moteur des sociétés modernes, qui enserre l’évêque. La conférence épiscopale formate ses membres par le haut, et le réseau des organes et conseils de l’administration de son diocèse entravent l’évêque par le bas. Ce n’est qu’en catimini qu’un évêque arrivera à être non conforme, comme par exemple, celui qui encourage certains de ses prêtres à user d’un catéchisme traditionnel à la place des instruments ayant officiellement cours dans le diocèse, ou bien celui qui laissera un espace conséquent à la liturgie ou aux prêtres traditionnels, ou encore qui organisera un séminaire d’esprit classique. Incartades à la marge de ce qui est devenu un « système », qui ne sont tolérées que jusqu’à une intervention romaine pour remettre le diocèse en question aux normes générales (Albenga, San Luis, Ciudad del Este, San Rafael, Fréjus-Toulon,).
Pasteurs inconsistants regrettions-nous en commençant : la sécularisation extrême, qui fait d’eux aujourd’hui des personnages inconnus du public, et le ralliement à la société démocratique qu’ils cultivent en en rajoutant à ce qu’elle exige (comme à l’occasion des scandales sexuels, de la crise du Covid), font d’eux des fantômes d’évêques, et même souvent des fantômes terrorisés. À quoi s’ajoute le fait que ces Successeurs des Apôtres, qui se taisent ou qui balbutient la Parole, ne président plus que des presbyteriums faméliques, sauf quelques secteurs cléricaux encore florissants, et des communautés de fidèles en nombre toujours plus réduit, sauf quelques ilots encore prospères.
Mais évêques en attente de confirmation dans la foi
« Simon, Simon voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment. Mais moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point. Et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères » (Lc 22, 31-32).
L’espérance des catholiques conscients de l’état de déréliction de l’Église est aujourd’hui une espérance sèche, comme certains auteurs spirituels qualifient une espérance sans consolations sensibles.
Elle est en somme fondée sur une sorte de syllogisme de foi qui leur promet que leurs pasteurs ne peuvent pas indéfiniment rester dans cet état démissionnaire :
- Ils croient en effet fermement, ces catholiques, à la parole du Christ qui assure que les portes de l’enfer – aujourd’hui représentées précisément par le fait que le magistère reste silencieux et ne condamne plus l’erreur –, ne prévaudront pas contre son Épouse.
- Or, la divine constitution de cette Église repose sur l’évêque de Rome, Successeur de Pierre, et sur les autres évêques unis au pape, Successeurs des Apôtres.
- Il est donc certain que le présent assaut de l’enfer sera repoussé par ces évêques, notamment par le premier d’entre eux, qui de silencieux deviendront à nouveau les instruments du Verbe.
Il y a certes un paradoxe à adjurer des pasteurs de l’être vraiment, puisque ce sont les enseignements qu’ils émettent eux-mêmes, qu’ils assument ou qu’ils tolèrent qu’il leur est reproché de ne pas condamner (l’œcuménisme, la liberté religieuse, Amoris lætitia, la transformation de l’Église en Église synodale). C’est en définitive une rétractation, sous une forme ou une autre, qui est attendue des évêques. Pourquoi, dira-t-on ? N’est-ce pas, à la fin, le pape qui confirmera ses frères ? N’est-ce donc pas du pape qu’on attend qu’il se reprenne ? Certes, mais justement, ces frères qu’il doit confirmer ce sont d’abord les évêques. Lesquels, auparavant, conservent toute leur responsabilité d’évêques, même si le pape ne les confirme pas, ne les confirme pas encore. D’ores et déjà, ls peuvent et même doivent intervenir au titre de leur sollicitude de pasteurs de l’Église. Nous avions proposé d’appeler ces paroles d’évêques pour condamner l’erreur alors que le pape ne le fait pas (encore), des actes de communion prévenante[4] : ces pasteurs se montrent ainsi unis au pape, vraisemblablement au pape de l’avenir, qui ne peut manquer de faire un jour son devoir. Ce faisant, et par le fait même, plus encore que tous les fidèles et prêtres réunis, ces évêques ont le devoir de préparer les voies d’une restauration du magistère.
Abbé Claude Barthe
[1] Vatican II n’a pas formellement abandonné la distinction entre ordre et juridiction, que conserve le Code de Droit canonique de 1983, même si les imprécisions dont nous faisons état ici ont conduit des auteurs à soutenir que la distinction était dépassée. Voir : Laurent Villemin, Pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction. Histoire théologique de leur distinction, préface par Patrick Valdrini, postface par Hervé Legrand, Cerf, coll. « Cogitatio Fidei », 2003.
[2] Jusqu’à ce que le pape François ne retire de titre de « Vicaire du Christ » de l’Annuaire pontifical 2020, l’annuaire annuel du Saint-Siège, et ne relègue à une note de bas de page, comme « titre historique».
[3] S’appuyant sur cette restriction, il est des théologiens et canonistes, tel Alphonse Borras évoqué ci-après, pour soutenir que Vatican II n’a rien tranché définitivement sur ce point. Il est vrai qu’un concile pastoral, par définition ne définit pas, si l’on peut dire et donc ne tranche rien…
[4] Si le pape se tait, que parlent les évêques ! – Res Novae – Perspectives romaines
Alphonse Borras : nous sommes tous ensemble, synodalement, pasteurs de l’Église
Dans un article de la Nouvelle Revue théologique, « La sacra potestas, la seule voie pour la participation des laïcs au gouvernement de l’Église ? » (octobre 2022, pp. 612-628), Alphonse Borras, professeur de droit canonique à l’Université catholique de Louvain, spécialiste enthousiaste de la synodalité[1], membre de la commission doctrinale de l’assemblée du Synode sur la synodalité, propose un contournement du pouvoir de juridiction du pape et des évêques, un contournement synodal.
Le Concile, explique-t-il, tout en conservant sous la sacra potestas le binôme pouvoir d’ordre/pouvoir de juridiction, a mis en valeur la trilogie des fonctions de l’évêque, fonctions prophétique, sacerdotale et royale. Mais ces tria munera sont plus larges que la potestas sacra. Par ailleurs, pourquoi ne pas se souvenir, demande-t-il, que la cura animarum, la sollicitude pour les âmes, incombe à toute la communauté ? Autrement dit que les munera sont l’affaire de tous ?
On délègue à des laïcs, remarque A. Borras, en les nommant chanceliers, chancelières, chargé ou chargées de missions diverses, non une participation au pouvoir sacré, c’est-à-dire à la juridiction, mais une coopération à « l’exercice de ce pouvoir »[2]. On confie aussi à des laïcs des offices non juridictionnels institués ou instituables selon les besoins (canon 145). Mais on peut aussi, encore plus largement, procéder à « l’attribution de charges au service des communautés ou des aumôneries qui ne supposent pas l’intervention de l’autorité compétente pour la provision d’offices (munera). »Autrement dit, des munera confiés et assumés en dehors de l’intervention de l’autorité, des charges d’Église auto-distribuées à la base.
« Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? », demande benoitement notre auteur. Le droit issu du Concile, quand on sait bien le comprendre, permet d’« offrir un autre visage d’Église », un visage vraiment synodal.
[1]. Voir son ouvrage : Communion ecclésiale et synodalité, CLD, 2018, où il souligne l’essence démocratique de la synodalité en développant le thème suivant : La synodalité est un processus qui édifie l’Église en suscitant la participation des baptisés à sa mission dans le monde ; elle apparaît alors comme l’un des principes de gouvernance dans l’Eglise.
[2]. Cette subtile distinction est tirée du canon 129 : « § 1. Au pouvoir de gouvernement qui dans l’Église est vraiment d’institution divine et est encore appelé pouvoir de juridiction, sont aptes, selon les dispositions du droit, ceux qui ont reçu l’ordre sacré. § 2. À l’exercice de ce pouvoir, les fidèles laïcs peuvent coopérer selon le droit. »