Voici une traduction de la Lettre ouverte du théologien dominicain P. Wojciech Gołaski : « Je dois témoigner du trésor des saints rites de l’Église ». Cette lettre ouverte au Pape François a été composée en polonais, puis publiée en anglais par Rorate Caeli. Ce dominicain témoigne de la joie qu’il a connu quand il a découvert la messe traditionnelle il y a 16 ans. Il dénonce ensuite Traditionis custodes, qui montre une conception hégélienne de l’Eglise, et annonce enfin rejoindre la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Traduction par Le Salon Beige :
Fr. Wojciech Gołaski O.P.
Jamna, le 17 août 2021
Sa Sainteté le Pape François
Domus Sanctae Marthae
Le saint-siège
Cité du Vatican
À l’attention de:
Rév. Général Maître de l’Ordre, Gerard Francisco Timoner III OP
Rév. Provincial de la Province de Pologne, Paweł Kozacki OP
S. Exc. l’Évêque du diocèse de Tarnów, Andrzej Jeż
Rév. Supérieur de la Maison de Jamna, Andrzej Chlewicki OP
Frères et Sœurs de l’Ordre
Rév. Supérieur du District Polonais de la Fraternité Saint-Pie X, Karl Stehlin FSSPX
Omnes quos res tangit
Très Saint-Père,
Je suis né il y a 57 ans et j’ai rejoint l’Ordre Dominicain il y a 35 ans. J’ai prononcé mes vœux perpétuels il y a 29 ans et je suis prêtre depuis 28 ans. Je n’avais que de vagues souvenirs de ma petite enfance de la Sainte Messe dans sa forme antérieure aux réformes de 1970. Seize ans après mon ordination, deux amis laïcs (inconnus l’un de l’autre) me pressèrent d’apprendre à célébrer la Sainte Messe dans sa forme traditionnelle. former. Je les ai écoutés.
Cela a été un choc pour moi. J’ai découvert que la Sainte Messe dans sa forme classique :
– dirige toute l’attention du prêtre et des fidèles vers le Mystère,
– exprime, avec une grande précision de paroles et de gestes, la foi de l’Église dans ce qui se passe ici et maintenant sur l’autel,
– renforce, avec une puissance égale à sa précision, la foi du célébrant et du peuple,
– ne conduit ni prêtre ni fidèle vers aucune invention ou créativité de leur propre chef pendant la liturgie,
– les place, bien au contraire, sur un chemin de silence et de contemplation,
– offre par le nombre et la nature de ses gestes la possibilité d’actes incessants de piété et d’amour envers Dieu,
– unit le prêtre et les fidèles, en les plaçant du même côté de l’autel et en les tournant dans le même sens : contre Crucem, contre Deum.
Je me suis dit : c’est donc ça la Sainte Messe ! Et moi, prêtre de 16 ans, je ne le savais pas ! C’était un eurêka puissant, une découverte, après laquelle mon idée de la messe ne pouvait pas rester la même.
Dès le début, il m’avait frappé que ce rite est à l’opposé du stéréotype. Au lieu de formalisme, libre expression de l’âme devant Dieu. Au lieu de frigidité, la ferveur du culte divin. Au lieu de la distance, la proximité. Au lieu de l’étrangeté, l’intimité. Au lieu de rigidité, la sécurité. Au lieu de la passivité des laïcs, leur lien profond et vivant avec le mystère (c’est à travers les laïcs, après tout, que j’ai été conduit à la messe traditionnelle). Au lieu d’un gouffre entre prêtre et fidèles, une étroite union spirituelle entre tous les présents, protégée et exprimée par le silence du Canon. En faisant cette découverte, il m’est apparu clairement : cette forme même est notre pont vers les générations qui ont vécu avant nous et ont transmis la foi. Ma joie dans cette unité ecclésiale qui transcende tous les temps était immense.
Dès le début, j’ai expérimenté la puissante force d’attraction spirituelle de la messe dans sa forme traditionnelle. Ce n’étaient pas les signes en eux-mêmes qui m’attiraient, mais leur signification, que l’âme sait lire. La seule pensée de la prochaine célébration me remplissait de joie. J’ai cherché toutes les occasions de célébrer avec empressement et nostalgie. Très vite, une certitude complète a mûri en moi, que si je ne célébrais la messe (ainsi que tous les sacrements et cérémonies) que sous sa forme traditionnelle jusqu’à la fin de mes jours, je ne manquerais pas du tout la forme post-conciliaire.
Si quelqu’un m’avait demandé d’exprimer d’un seul mot mes sentiments sur la célébration traditionnelle dans le cadre du rite réformé, j’aurais répondu « soulagement ». Car c’était bien un soulagement, d’une profondeur indescriptible. C’était comme celui de quelqu’un qui, ayant marché toute sa vie dans des chaussures avec un caillou dedans qui frotte et irrite ses pieds, mais qui n’a aucune autre expérience de la marche, se voit offrir, 16 ans plus tard, une paire de chaussures sans caillou et les mots : « Ici », « Mettez-les », « essayez-les ! » Non seulement j’ai redécouvert la Sainte Messe, mais aussi la différence étonnante entre les deux formes : celle qui était en usage depuis des siècles et celle post-conciliaire. Je n’avais pas connu cette différence parce que je n’avais pas connu la forme antérieure. Je ne peux comparer ma rencontre avec la liturgie traditionnelle à une rencontre avec quelqu’un qui m’a adopté et qui est devenu mon parent adoptif. C’était une rencontre avec une Mère qui a toujours été ma Mère, pourtant je ne l’avais pas connue.
J’étais accompagné dans tout cela de la bénédiction des Souverains Pontifes. Ils avaient enseigné que le missel de 1962 « n’avait jamais été légalement abrogé et restait donc, en principe, toujours autorisé », ajoutant que « ce qui avait été sacré pour les générations précédentes restait sacré et grand aussi pour nous, et ne pouvait soudainement devenir complètement interdit. ni même considérée comme nuisible. Il nous appartient à tous de préserver les richesses qui se sont développées par la foi et la prière de l’Église et de leur donner toute leur place » (Benoît XVI, Lettre aux évêques, 2007). On enseignait aussi aux fidèles : « En raison de son usage vénérable et ancien, la forma extraordinaria doit être maintenue avec l’honneur qui lui est dû » ; il a été décrit comme « un trésor précieux à préserver » (Instruction Universae Ecclesiae, 2011). Ces paroles font suite à des documents antérieurs qui ont permis aux fidèles d’utiliser la liturgie traditionnelle après les réformes de 1970, le premier étant le Quattuor abhinc annos de 1984. Le fondement et la source de tous ces documents reste la Bulle de saint Pie V, Quo primum temporaire (1570).
Saint-Père, si, sans oublier le document solennel du Pape Pie V, nous prenons en considération le laps de temps couvrant les déclarations de vos prédécesseurs immédiats, nous avons une durée de 37 ans, de 1984 à 2021, pendant lesquels l’Église a dit au fidèles, concernant la liturgie traditionnelle, et toujours plus fortement : « Il y a un tel chemin. Vous pouvez marcher tout le long.
J’ai donc pris le chemin que m’offrait l’Église.
Celui qui emprunte ce chemin, celui qui veut que ce rite, qui est le vase de la Présence divine et de l’Oblation divine, porte du fruit dans sa propre vie, doit s’ouvrir entièrement pour se confier et confier les autres à Dieu, présent et agissant en nous par le vase de ce saint rite. C’est ce que j’ai fait, en toute confiance.
Puis vint le 16 juillet 2021.
De vos documents, Saint-Père, j’ai appris que le chemin sur lequel je marchais depuis 12 ans avait cessé d’exister.
Nous avons des affirmations de deux papes. Sa Sainteté Benoît XVI avait dit que le Missel romain promulgué par saint Pie V « doit être considéré comme l’expression extraordinaire de la lex orandi de l’Église catholique de rite romain ». Pourtant, Sa Sainteté le Pape François dit que « les livres liturgiques promulgués par les Papes saint Paul VI et saint Jean-Paul II (…) sont la seule expression de la lex orandi du rite romain ». L’affirmation du successeur nie ainsi celle de son prédécesseur encore vivant.
Une certaine manière de célébrer la Messe, confirmée par la Tradition immémoriale et séculaire, reconnue par chaque Pape, y compris vous-même, Saint-Père, jusqu’au 16 juillet 2021, et sanctifiée par sa pratique depuis tant de siècles, peut-elle soudainement cesser d’être la lex orandi du rite romain ? Si tel était le cas, cela signifierait qu’une telle caractéristique n’est pas intrinsèque au rite mais est un attribut extérieur, soumis aux décisions de ceux qui occupent des postes de haute autorité. En réalité, la liturgie traditionnelle exprime la lex orandi du rite romain par chaque geste et chaque phrase et par l’ensemble qu’elles composent. Il est garanti aussi d’exprimer cette lex orandi, comme l’Église l’a toujours soutenu, en raison de son usage ininterrompu, depuis des temps immémoriaux. Nous devons conclure que la première affirmation papale [de Benoît] a des fondements solides et est vraie et que la seconde [de François] est sans fondement et est fausse. Mais bien qu’il soit faux, il est néanmoins doté d’un pouvoir de loi. Cela a des conséquences sur lesquelles j’écrirai ci-dessous.
Les concessions concernant l’utilisation du Missel de 1962 ont désormais un caractère différent des précédentes. Il ne s’agit plus de répondre à l’amour avec lequel les fidèles adhèrent à la forme traditionnelle, mais de donner aux fidèles le temps — combien de temps, on ne nous dit pas — pour « revenir » à la liturgie réformée. Les paroles du Motu Proprio et de votre Lettre aux Evêques montrent bien que la décision a été prise, et est déjà mise en œuvre, de retirer la liturgie traditionnelle de la vie de l’Eglise et de la jeter dans l’abîme de l’oubli : elle ne peut pas être utilisé dans les églises paroissiales, de nouveaux groupes ne doivent pas être formés, Rome doit être consultée si de nouveaux prêtres doivent le dire. Les évêques sont bien désormais Traditionis Custodes, « gardiens de la Tradition », mais pas au sens de gardiens qui la protègent, mais au sens de gardiens d’une prison.
Permettez-moi d’exprimer ma conviction que cela n’arrivera pas et que l’opération échouera. Quels sont les motifs de cette condamnation ? Une analyse minutieuse des deux Lettres du 16 juillet expose quatre composantes : l’hégélianisme, le nominalisme, la croyance en la toute-puissance du Pape et la responsabilité collective. Chacun est un élément essentiel de votre message et aucun d’entre eux ne peut être reconcilié au dépôt de la foi catholique. Ne pouvant se réconcilier avec la foi, ils ne s’y intégreront ni en théorie ni en pratique. Examinons chacun d’eux à tour de rôle.
1) L’hégélianisme. Le terme est conventionnel : il ne signifie pas littéralement le système du philosophe allemand Hegel, mais quelque chose qui dérive de ce système, à savoir la compréhension de l’histoire comme un processus bon, rationnel et inévitable de changements continus. Cette façon de penser a une longue histoire, depuis Héraclite et Plotin, jusqu’à Joachim de Fiore, jusqu’à Hegel, Marx et leurs héritiers modernes. La particularité de cette approche est de découper l’histoire en phases, de telle sorte que le début de chaque nouvelle phase se conjugue à la fin de la précédente. Les tentatives pour « baptiser » l’hégélianisme ne sont rien d’autre que des tentatives pour doter ces phases historiques supposées de l’autorité du Saint-Esprit. On suppose que le Saint-Esprit communique à la génération suivante quelque chose dont il n’a pas parlé à la précédente, ou même qu’il communique quelque chose qui contredit ce qu’il a dit auparavant. Dans ce dernier cas, nous devons accepter l’une des trois choses suivantes : soit dans certaines phases l’Église n’a pas obéi au Saint-Esprit, soit le Saint-Esprit est sujet au changement, soit il porte en lui des contradictions.
Une autre conséquence de cette vision du monde est un changement dans la façon dont nous comprenons l’Église et la Tradition. L’Église n’est plus vue comme une communauté unissant les fidèles en transcendant le temps, comme le veut la foi catholique, mais comme un ensemble de groupes appartenant aux différentes phases. Ces groupes n’ont plus de langue commune : nos ancêtres n’avaient pas accès à ce que le Saint-Esprit nous dit aujourd’hui. La tradition elle-même n’est plus un message continuellement étudié ; elle consiste plutôt à recevoir encore et encore des choses nouvelles de l’Esprit Saint. On en vient alors à entendre plutôt, comme dans Votre Lettre aux Evêques, Saint-Père, parler de « la dynamique de la Tradition », souvent avec une application à des événements particuliers. Un exemple en est lorsque vous écrivez que la « dernière étape de cette dynamique est le Concile Vatican II, au cours duquel les évêques catholiques se sont réunis pour écouter et discerner la voie montrée à l’Église par l’Esprit Saint ». Ce raisonnement implique qu’une nouvelle phase requiert de nouvelles formes liturgiques, car les anciennes étaient adaptées à l’étape précédente, qui est terminée. Puisque cette séquence d’étapes est sanctionnée par le Saint-Esprit, à travers le Concile, ceux qui s’accrochent aux anciennes formes malgré l’accès aux nouvelles s’opposent au Saint-Esprit.
De telles vues, cependant, sont contraires à la foi. L’Écriture sainte, norme de la foi catholique, ne fournit aucune base pour une telle compréhension de l’histoire. Au contraire, il nous enseigne une compréhension tout à fait différente. Le roi Josias, ayant appris la découverte de l’ancien livre de la Loi, ordonna que la célébration de la Pâque se déroule conformément à celui-ci, malgré une interruption d’un demi-siècle (2 R 22-23). De la même manière, Esdras et Néhémie à leur retour de la captivité babylonienne ont célébré la Fête des Tabernacles avec tout le peuple, strictement selon les anciens registres de la Loi, malgré plusieurs décennies après la célébration précédente (Neh 8). Dans chaque cas, les anciens documents de la loi ont été utilisés pour renouveler le culte divin après une période de troubles. Personne n’a exigé un changement dans le rituel au motif que des temps nouveaux étaient arrivés.
2) Le nominalisme. Alors que l’hégélianisme influence notre compréhension de l’histoire, le nominalisme affecte notre compréhension de l’unité. Le nominalisme implique que l’introduction de l’unité extérieure (au moyen d’une décision administrative descendante) équivaut à atteindre une unité réelle. En effet, le nominalisme abolit la réalité spirituelle en cherchant à la saisir et à la régler par des mesures matérielles. Vous écrivez, Saint-Père, que : “C’est pour défendre l’unité du Corps du Christ que je suis contraint de retirer la faculté accordée par mes prédécesseurs.” Mais pour atteindre ce but, la véritable unité, vos prédécesseurs ont pris la décision inverse, et non sans raison. Quand on comprend que la vraie unité comprend quelque chose de spirituel et d’intérieur, et diffère ainsi de la simple unité extérieure, on ne la cherche plus simplement par l’uniformité des signes extérieurs. On n’obtient pas ainsi la vraie unité, mais plutôt l’appauvrissement, et le contraire de l’unité : la division.
L’unité ne résulte pas du retrait des facultés, de la révocation du consentement et de l’imposition de limitations. Le roi Roboam de Juda, avant de décider comment traiter les Israélites, qui souhaitaient qu’il améliore leur sort, consulta deux groupes de conseillers. Les plus âgés préconisaient la clémence et l’allégement des charges du peuple : l’âge, dans l’Ecriture Sainte, symbolise souvent la maturité. Les jeunes, contemporains du roi, recommandent d’alourdir leurs fardeaux et d’employer des mots durs : la jeunesse, dans l’Écriture, symbolise souvent l’immaturité. Le roi suivit les conseils des jeunes. Cela n’a pas réussi à apporter l’unité entre Juda et Israël. Au contraire, il a commencé la division du pays en deux royaumes (1 R 12). Notre Seigneur a guéri cette division par la douceur, sachant que le manque de cette vertu avait causé la scission.
Avant la Pentecôte, les apôtres évaluaient l’unité selon des critères externes. Cette approche a été corrigée par le Sauveur lui-même, qui, en réponse aux paroles de saint Jean : « Maître, nous avons vu un homme chasser les mauvais esprits en ton nom, et nous ne l’avons pas laissé faire, car il n’était pas un de nous », répondit « Qu’il le fasse, car celui qui n’est pas contre vous est avec vous » (Lc 9,49-50, cf. Mt 9,38-41). Saint-Père, tu as eu plusieurs centaines de milliers de fidèles qui « n’étaient pas contre » toi. Et vous avez tant fait pour leur rendre les choses difficiles ! N’aurait-il pas été préférable de suivre les paroles du Sauveur indiquant un fondement spirituel plus profond de l’unité ? L’hégélianisme et le nominalisme deviennent fréquemment des alliés, puisque la compréhension matérialiste de l’histoire conduit à la conviction que chaque étape doit irrévocablement se terminer.
3) La croyance en la toute-puissance du Pape. Lorsque le pape Benoît XVI a accordé une plus grande liberté à l’utilisation de la forme classique de la liturgie, il a fait référence à une coutume et à un usus séculaires. Ceux-ci ont fourni une base solide à sa détermination. La décision de Votre Sainteté n’est basée sur aucun de ces fondements. Au contraire, elle révoque quelque chose qui existe et dure depuis très longtemps. Vous écrivez, Saint-Père, que vous trouvez un appui dans les décisions de saint Pie V, mais il a appliqué des critères qui sont exactement à l’opposé des vôtres. Selon lui, ce qui avait existé et avait duré des siècles continuerait sans être perturbé ; seul ce qui était plus récent était abrogé. La seule base qui reste à votre décision est donc la volonté d’une personne dotée de l’autorité papale. Cette autorité, si grande soit-elle, peut-elle empêcher les anciennes coutumes liturgiques d’être l’expression de la lex orandi de l’Église romaine ? Saint Thomas d’Aquin se demande si Dieu peut faire que quelque chose qui a existé n’ait jamais existé. La réponse est non, car la contradiction ne fait pas partie de la toute-puissance de Dieu (Summa Theologiae, p. I, qu. 25, art. 4). De la même manière, l’autorité papale ne peut pas faire que les rituels traditionnels qui ont exprimé la foi de l’Église (lex credendi) pendant des siècles, soudain, un jour, n’expriment plus la loi de la prière de la même Église (lex orandi). Le Pape peut prendre des décisions, mais pas celles qui violent une unité qui s’étend au passé et à l’avenir, bien au-delà de la durée de son pontificat. Le Pape est au service d’une unité plus grande que sa propre autorité. Car c’est une unité donnée par Dieu et non d’origine humaine. C’est donc l’unité qui prime sur l’autorité, et non l’autorité sur l’unité.
4) Responsabilité collective. Indiquant les motifs de votre décision, Saint-Père, vous faites des allégations diverses et graves contre ceux qui exercent les facultés reconnues par le Pape Benoît XVI. Il n’est toutefois pas précisé qui commet ces abus, ni où, ni en quel nombre. Il n’y a que les mots “souvent” et “beaucoup”. On ne sait même pas s’il s’agit d’une majorité. Probablement pas. Pourtant pas une majorité, mais tous ceux qui font usage des facultés précitées ont été touchés par une sanction pénale draconienne. Ils ont été privés de leur chemin spirituel, soit immédiatement, soit à un moment futur indéterminé. Il y a certainement des gens qui abusent des couteaux. Faut-il donc interdire la production et la distribution de couteaux ? Votre décision, Saint-Père, est bien plus grave que ne le serait l’absurdité hypothétique d’une interdiction universelle de fabriquer des couteaux.
Saint-Père : pourquoi faites-vous cela ? Pourquoi avez-vous attaqué la sainte pratique de l’ancienne forme de célébration du Très Saint Sacrifice de Notre-Seigneur ? Les abus commis sous d’autres formes, si répandus ou universels qu’ils soient, ne mènent à rien au-delà des mots, à des déclarations exprimées en termes généraux. Mais comment enseigner avec autorité que « la disparition d’une culture peut être tout aussi grave, voire plus grave, que la disparition d’une espèce végétale ou animale » (Laudato si 145), puis quelques années plus tard, avec un seul acte, voue-t-il à l’extinction une grande partie du patrimoine spirituel et culturel de l’Église ? Pourquoi les règles de « l’écologie profonde » formulées par vous ne s’appliquent-elles pas dans ce cas ? Pourquoi ne vous êtes-vous pas plutôt demandé si le nombre sans cesse croissant de fidèles assistant à la liturgie traditionnelle pouvait être un signe de l’Esprit Saint ? Vous n’avez pas suivi les conseils de Gamaliel (Actes 5). Au lieu de cela, vous les avez frappés d’une interdiction qui n’avait même pas de vacatio legis.
Le Seigneur Dieu, le modèle pour les dirigeants terrestres et, en premier lieu, pour les autorités ecclésiastiques, n’utilise pas sa puissance de cette manière. L’Ecriture Sainte parle ainsi à Dieu : « Car ta puissance est le commencement de la justice : et parce que tu es le Seigneur de tous, tu te fais grâce envers tous (…) : toi qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement, car tu n’as qu’à vouloir pour exercer ta puissance. » (Sg 12, 16-18). Le vrai pouvoir n’a pas besoin de se prouver par la dureté. Et la dureté n’est un attribut d’aucune autorité qui suit le modèle divin. Notre Sauveur lui-même nous a laissé un enseignement précis et fiable à ce sujet (Mt 20, 24-28). Non seulement le tapis a été tiré, pour ainsi dire, sous les pieds des gens qui marchaient vers Dieu ; on a tenté de les priver du sol même sur lequel ils marchent. Cette tentative n’aboutira pas. Rien de ce qui est en conflit avec le catholicisme ne sera accepté dans l’Église de Dieu.
Saint-Père, il est impossible d’expérimenter la terre sous ses pieds pendant 12 ans et d’affirmer soudain qu’elle n’est plus là. Il est impossible de conclure que ma propre Mère, retrouvée après de longues années, n’est pas ma Mère. L’autorité papale est immense. Mais même cette autorité ne peut pas faire cesser ma Mère d’être ma Mère ! Une seule vie ne peut supporter deux ruptures mutuellement exclusives, dont l’une ouvre un trésor, tandis que l’autre prétend que ce trésor doit être abandonné parce que sa valeur a expiré. Si j’acceptais ces contradictions, je ne pourrais plus avoir de vie intellectuelle, ni donc de vie spirituelle non plus. De deux déclarations contradictoires, toute affirmation, vraie ou fausse, peut être faite pour suivre. Cela signifie la fin de la pensée rationnelle, la fin de toute notion de réalité, la fin de la communication efficace de n’importe quoi à n’importe qui. Mais toutes ces choses sont des éléments fondamentaux de la vie humaine en général, et de la vie dominicaine en particulier.
Je n’ai aucun doute sur ma vocation. Je suis fermement résolu à continuer ma vie et mon service au sein de l’Ordre de Saint Dominique. Mais pour cela, je dois être capable de raisonner correctement et logiquement. Après le 16 juillet 2021 cela ne m’est plus possible au sein des structures existantes. Je vois en toute clarté que le trésor des saints rites de l’Église, le sol sous les pieds de ceux qui les pratiquent, et la mère de leur piété, continue d’exister. Il est devenu également clair pour moi que je dois en témoigner.
Il ne me reste plus d’autre choix que de me tourner vers ceux qui, dès le début des changements radicaux (des changements, notons-le, qui dépassent de loin la volonté du Concile Vatican II) ont défendu la Tradition de l’Église, ensemble avec le respect de l’Église pour les exigences de la raison, et qui continuent à transmettre aux fidèles le dépôt immuable de la foi catholique : la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. La FSSPX s’est montrée prête à m’accueillir, dans le plein respect de mon identité dominicaine. Cela me donne non seulement une vie au service de Dieu et de l’Église, un service qui n’est pas entravé par des contradictions, mais aussi une occasion de m’opposer à ces contradictions qui sont un ennemi de la Vérité et qui ont attaqué si vigoureusement l’Église.
Il y a un état de controverse entre la FSSPX et les structures officielles de l’Église. Il s’agit d’un différend interne au sein de l’Église, et il concerne des questions de grande importance. Les documents et les décisions du 16 juillet ont fait converger ma position sur ce sujet avec celle de la FSSPX. Comme pour tout litige important, celui-ci aussi doit être résolu. Je suis déterminé à consacrer mes efforts à cette fin. J’ai l’intention que cette lettre fasse partie de cet effort. Les moyens employés ne peuvent être qu’un humble respect de la Vérité et de la douceur, tous deux issus d’une source surnaturelle. Ainsi, nous pouvons espérer la solution de la controverse et la reconstruction d’une unité qui embrassera non seulement ceux qui vivent maintenant, mais aussi toutes les générations, passées et futures.
Je vous remercie de l’attention que vous avez accordée à mes paroles et vous prie, Très Saint-Père, de votre bénédiction apostolique.
Avec une dévotion filiale en Christ,
Père Wojciech Gołaski, O.P.